Ⅳ - Faire illusion
Ils arrivèrent chez lui: une pitoyable habitation, faite de briques et de bois et d'un toit des plus aérés. Malgré la voûte rocheuse qui charpentait l'immense cavité de la strate, les infiltrations d'eau étaient courantes ; plicplocant en élégante harmonie du haut de cette cathédrale naturelle, les plus importantes étaient recueillies par des bassins au centre de grandes places. Dans ces fontaines, les gouttelettes venaient se diffracter en une douce note .
Ainsi, les jours d'orage, entendait-on chanter la roche, répondant au ciel d'une sourde mélodie orchestrée par le débit de pluie, tandis que les torrents souterrains rigolaient. Fiers de leur œuvre, les Artisans avaient baptisé cette mélodie l'«Aquaphonie» – bien que certains détracteurs jaloux l'aient renommé «l'Aquacophonie»...
Arsène était au cœur même de la caisse de résonance de l'énorme instrument à eau. Aux premières loges de ce spectacle grandiose, sa strate —dernière creusée— était unanimement la plus grande et belle de toutes, mais son éloignement de la surface la rendait peu attractive. Ici, la lumière du soleil cédait sa place à des larmes de Lune montées sur lampadaires, perçant les ténèbres souterrains, légèrement cotonneux.
Passant la porte, il débarrassa d'un revers de main les rouages et dessins jonchant table et chaises pour faire galantement s'asseoir Sereine. Entre eux, se plaça 'inconsciemment' sa plus grande et unique table, qu'il vint créneler de deux petites tasses brûlantes de thé — l'une de ces rares traditions qui survécut à la chute de l'Empire.
La discussion ne s'engagea pas. Bien qu'ayant agi sous le coup d'un impératif scientifique, Arsène était maintenant nerveux, son imagination hors de contrôle avait déjà imaginé treize scénarios possibles, dont un comportait la mort de la jeune fille, quand tous les autres se concentraient sur la fuite. À cela, s'ajoutait les milliers d'interrogations en suspend.
Sereine, elle, était paisiblement assise – mais si vous pouviez ouvrir les cerveaux, vous y verriez une réflexion intense sur comment raconter une histoire crédible, sans compromettre sa véritable nature. Tout en réfléchissant, son attention fut attirée par une machine étrange et encombrante, emmêlée de tuyaux comme pouvaient l'être les lacets de ses chaussures de cuir noir. Bien sûr, elle eut la bonne idée de ne pas y toucher, ce monde lui était aussi étranger, qu'elle l'était pour Arsène.
Après une grande réflexion et remise en question existentielle, Arsène revint à douze scénarios, ainsi qu'à une dizaine d'interrogations, bien ordonnées.
Ainsi, Arsène, armé de sa tasse de thé, lança ses premières questions sans ménagement :
— De quel pays viens-tu ? Et comment as-tu réussi à faire cette flamme ? Es-tu illusionniste ? Tu peux m'apprendre ?
Arsène en avait déjà vu, des étrangers quêtant des pièces pour un lapin sortant d'un chapeau, une disparition, ou un ballon de baudruche... Comme tous, il savait qu'en coulisse, la magie n'existait plus... Pourtant, des illusions si réalistes, il n'en avait jamais vu.
— Oui, je suis une illusionniste. Je veux bien consentir à t'apprendre quelques tours, mais ça ne sera pas gratuit. Déjà, un vouvoiement s'impose, ensuite il me faudrait disposer d'un toit pendant quelque jours. Et enfin, j'aimerais en apprendre plus sur cette ville et ce pays.
Arsène, bien que mitigé, accepta – la curiosité était trop forte.
— Ce thé était vraiment infecte,... fut le non-compliment qui sortit de la bouche de la jeune illusionniste. Bon, comme tu l'as promis, tu dois m'aider, à quitter ce pays. Avez-vous des cartes du continent ?
— Oui, on en a à la librairie, mais elles ne font pas beaucoup plus loin que nos murs... Quand-pourras tu m'apprendre tes tours ?
— Vouvoiement !
—Je veux dire, votre grandeur consentirait-elle à m'apprendre l'un de ces tours, un jour plutôt que l'autre ?
— C'est déjà mieux ! Je t'apprendrais, mais pas ici, et tu dois me promettre de ne le dire à personne. Déjà, fait ce que je t'ai dit et aide-moi à quitter le pays !
— Ça va être compliqué,... si je m'engage comme reporteur spécial pour le compte de l'«Artisan moderne», il pourrait m'avancer une partie des frais,... et je pourrais combler le reste en vendant ma machine... De toutes façons, j'ai toujours trouvé l'Université soporifique.
La grande Clepsydre —l'horloge à eau cadencée par un écoulement régulier— sonna le règne de la nuit, elle qui existait à toute heure, à cette profondeur.
— Nous en reparlerons demain, Votre Altesse peut prendre le canapé et je...
— Tu gardes ton canapé pour toi, sinon je ne t'apprendrais rien ! Et je prends ton lit, où est-il ?
— ...pour tous lit, je n'ai jamais eu que ce canapé, votre grandeur grandissime... Mais je vous suis infiniment reconnaissant que vous me le cédiez, merci encore.
...
...
— ...votre langue être vréman trè conplex, jé confondit le mo "sol" avec "canapé", ne vou en moqué pa, je vous en prie !
Arsène comprit bien vite qu'en aucun cas elle ne pourrait avoir tort – en connaissait-elle même concept ?
Mais cet orgueil démesuré, lui promettait beaucoup d'amusement dans ses futurs trajets.
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