Ⅶ - Mission divine
L'œuf était assez gros, d'un blanc ivoire, et contrasté de fines lignes noires, mystérieusement entrelacées. Posé et réchauffé précieusement entre ses mains, le temps passa sans que rien ne se passe.
Un peu exaspéré, Arsène redoubla son étreinte maternelle, qui devint alors un étau matériel. Une fissure apparue enfin, pour se répandre en serpentant, sur tout le dessus de l'œuf. Il déposa vite l'œuf sur la table la plus proche et se mit à espérer ne pas avoir trop serré.
— Toc, Toc, Toc, frappa-t-on derrière la coquille.
Et sans prévenir, le dôme se brisa, pour libérer un nouveau-né, duveté de plumes vertes, éblouis par la lumière. De sa démarche maladroite, il se mit à zigzaguer, déambulant ivre-nez sur la table. C'était un explorateur dans l'âme, il se mit à cartographier son monde, repoussant toujours plus l'inconnu. Il en vient alors à la conclusion que le monde était plat et rectangulaire. Curieux, il aperçut dans le lointain, deux créatures géantes, qui semblait le fixer avec intérêt. Sa timidité tout nouvelle, le poussa à fuir. Battant de ses petites ailes, il dépassa la fin du monde.
Ce qu'il regretta bien vite, car surplombant d'infinis et effrayants inconnus, ses ailes affolées inversèrent leurs mouvements pour tenter de faire marche arrière. Conséquence de quoi, il perdu son élan pour finalement s'immobiliser en l'air et chuter comme une pierre.
Dans ce genre de situation, il ne fallait surtout pas céder à la panique, il fallait rester calme, et réfléchir. Voyant que rien de bon n'allait lui arriver, il réfléchit donc. Étant donné sa vitesse, et sa distance avant l'impact, il était fort probable qu'il perde la vie ; mais qu'est-ce que la mort ? Il ne la connaissait pas encore, et venait tout juste d'inventer ce concept, en toute urgence.
Il se mit à méditer sur ce nouveau concept, et en dégagea l'idée du divin. Puis il se rassura en se répétant que le divin était la meilleur personne au monde et qu'elle allait le sauver, parce qu'il avait toujours était gentil. De plus, il prit du recul pour juger ce qui avait était sa vie: il avait exploré un monde entier à lui seul, et à la suite de raisonnements rigoureusement logiques, en avait conclut qu'il marchait sur une surface parfaitement plane et rectangulaire. Puis, de par son grand courage, il avait même voulu dépasser ses frontières qu'il avait lui-même tracées.
Maintenant, il en était sûr, quoi qu'il arrive, il n'aurait rien à regretter !
Mais avant qu'il ne touche le sol, la main du divin stoppa sa terrible chute. Ces deux mains avaient comme une chaleur maternelle, bien qu'elle serrait un peu trop. Le divin dit alors avec une divine sagesse:
— C'est pas l'heure de mourir, t'as encore mon courrier à transporter.
Le divin lui parler ? À lui, ce pauvre petit êtres sans existence ? Et de plus l'introniser au haut grade d'un de ses messagers célestes ? À ces mots, le volatile ne se sentit plus de joie. Et pour montrer sa foi, il ouvrit un large bec et becta le divin doigt. Dans l'espoir d'en garder à jamais, une relique sacrée.
Dans les cieux, la divine voix se chargea de jurons, et il l'entendit converser avec une autre déité:
— Bon Dieu, mais quel con se piaf, j'aurai mieux fait de le cuisiner en omelette !
— Il t'sera bien utile pour renvoyer tes écrits, si tout marche bien, sinon... T'pourras toujours enlever les plumes et le gésier... Et n'oublie pas d'bien prendre à manger, pour toi comme pour lui, si t'veux pas crever...
Bougon Arsène ressortit avec l'emplumé, accommodé d'une petite cage, sous le bras. Et dans son dos, le grincement de la petite porte lui chuchota faiblement : « ...trop tôt.» ; il voulu se retourner, mais trop tard. Enfin sorti de ce bâtiment oppressant, il regarda plus en détail son nouveau compagnon d'infortune.
Son doigt ne lui faisait presque plus mal, et une pensée étrange commença à le chatouiller:
— Tu veux que je te donne un nom ?, demanda-t-il au volatile.
Bien que l'oiseau ne sache parler, il interpréta son regard comme un oui. Il pensa d'abord à l'appeler Vaillant, mais une intuition n'apprécia guère ce nom, lui préférant un nom féminin. Par un rapprochement d'idée les plus saugrenues, il l'appela Éliza — Éliza étant le nom d'une amie, qui dans l'enfance l'avait mordue à diverses reprises et endroits.
Il se rappela alors avoir laissé Sereine à elle-même. Douteux des mauvaises surprises qu'elle pouvait lui réserver, il hâta un Vertikal, pour retourner à sa strate, la 53e.
Quelle ne fut pas sa surprise quand il découvrit Sereine, totalement ivre, étendu sur la table d'un bar des plus malfamés.
À côté d'elle, se déroulait une addition, donnant envie de boire encore plus pour oublier.
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