06. Education déplacée

18 minutes de lecture

Samedi 7 septembre 2013

J’ai pris mon petit-déjeuner tôt, avant-même que le soleil soit levé. Je me suis enfermée dans ma chambre, enfilé la robe et j’ai gobé une pilule en laissant l’autre cachée dans ma table de nuit. Assise sur mon lit, j’attends qu’il se mette à tanguer et à flotter comme sur un océan de champagne. Des lapins bleus, allongés dans l’eau, donnent des coups des pattes en rythme pour me faire avancer. Le papier peint de ma chambre s’efface pour laisser apparaître un soleil brûlant sur un horizon pétillant. Soudain, le lit sombre. Je suis violemment aspirée sous le champagne.

Je me réveille brutalement.

— Maîtresse Léna ! J’étais si inquiète !

— N’aie crainte, je reviens toujours.

— J’ai dit à Dame Irène que vous étiez souffrante à cause du bain.

— Tu as bien fait.

— C’est l’heure du bain glacé.

— Bien, ne les faisons pas attendre, soupiré-je.

Nous sortons de la chambre. Seule la brune qui avait pris de l’avance la dernière fois est déjà là, face à la vieille femme. Elle a fait marquer sa servante sur le front, ce que je trouve sinistre. Si elle échoue, la gamine gardera la marque à vie sur la face et sera cataloguée comme déchue. Afin de convenir aux désirs de notre hôtesse tarée, je laisse Fantou dénouer ma robe. Ensuite, je m’avance dans l’eau en serrant les dents, en me demandant si c’est si important d’obtenir le sceau d’une maîtresse es manières. Avec des courtes inspirations rapides, je parviens à avancer jusqu’à avoir l’eau sous le nombril. La brune, mise au défi, se baisse et s’immerge jusqu’aux épaules. Mes seins ne se sentant pas capables de plonger dans la glace, je lui laisse gagner cette manche. Fantou me rejoint une fois sa robe pliée, alors que les autres filles approchent. Leurs servantes sont des esclaves sans considération aucune de leur aînées. Elles sont nues, parées seulement de quelques bracelets aux bras ou à la cheville. La blonde m’octroie un regard noir, tandis que sa très jeune esclave, marquée sur la cuisse, délace son corsage. L’enfant a l’air si soumise que je doute qu’elles aient noué once de complicité, comme il y a entre Fantou et moi.

Dame Irène nous dévisage avec un air austère. Elle ne me fait aucune remarque sur mon absence. De toute manière, elle n’a qu’à me renvoyer lorsque bon lui semblera. Nous sommes sept candidates, l’une d’entre nous sortira bien du lot. Fantou s’applique à ne pas tremper mes cheveux, tandis que je compare les poitrines raffermies de mes concurrentes. Nous ne quittons l’eau qu’une fois la brune émergée. Cela nous permet à toutes les deux de voir comment nos rivales procèdent.

La pierre me semble brûlante sous mes pieds. Fantou se saisit d’une serviette puis m’éponge avec méticulosité pour ne laisser aucune perle d’eau. C’est avec un certain plaisir que j’enfile ma robe, puis laisse Fantou l’attacher, avant même qu’elle ait enfilé la sienne. À côtés des autres, elle fait trop habillée, mais je compte bien susciter la jalousie des autres courtisanes. Créer de la discorde avec leurs maîtresses peut m’aider à les faire échouer.

Alors que je les suis vers la salle à manger, la blonde a à peine passé la porte qu’elle déclare :

— Je refuse qu’elle vienne manger avec sa servante. J’ignore ce qu’elle peut cacher sous ses habits. Peut-être porte-t-elle du poison ou une arme.

— Si je voulais te tuer, je porterais moi-même l’arme, espèce de dinde.

— Mais toi, je garde un œil sur toi en permanence.

— Et bien utilise tes deux yeux, pétasse.

Une petite brune typée pouffe de rire. J’ajoute franchissant la porte, ma main dans mon dos comme pour en sortir une dague :

— Fantou est ma servante, pas mon jouet. Je lui rends le respect qu’elle me doit.

La blonde recule, alors je brandis ma main en criant. Elle se recroqueville en protection et je me moque d’elle :

— Je suis rassurée. L’Empereur ne choisira jamais une trouillarde.

Je m’approche de la table des aspirantes où les chaises séparent les filles de deux mètres les unes des autres. Ma rivale blonde siffle dans mon dos :

— Tu n’es pas encore sortie d’ici avec le sceau de Dame Irène.

— Même sans, je peux te surpasser.

Je m’assois. Les servantes, évidemment n’ont pas le droit à la table. Elles vont chercher les plats et viennent servir leur future reine. Je note le regard des autres sur Fantou. Je pense que bientôt, mes rivales vont devoir répondre aux revendications de leurs esclaves. Il faudra néanmoins que je donne quelques bijoux à Fantou et que je m’en pare également.

Les filles qui sont ici depuis plus longtemps que les autres ont un maintien impeccable à table. Elles tiennent leurs couverts du bout des doigts, n’ont aucune grimace en mangeant. Cela me fait rire. Je pose le coude et mon menton au creux de ma paume.

La patronne des lieux que je n’ai pas vue entrer, retire mon bras et je manque de m’effondrer dans mon assiette. Je retire mes cheveux de la soupe tandis qu’elle me sermonne :

— Vous êtes ici pour apprendre à présenter devant votre futur époux, l’Empereur, non pour apprendre à vous quereller.

Je me redresse en me retenant de lui exprimer ma façon de penser. Ses bains glacés et ses leçons de morale, elle peut se les garder. Elle poursuit :

— Toute l’animosité que vous pouvez avoir à l’égard des unes et des autres ne naît que de votre concurrence. Aucun de vos ressentiments ne doit jamais paraître en public. Cela vaut pour votre rôle d’Impératrice, cela vaut maintenant. Quant à votre courtisane, Léna Hamestia, lorsque l’Empereur vous rendra visite à vos appartements, il ne voudra nullement avoir à s’en méfier. Il doit pouvoir se sentir chez lui sans craindre de subir le même sort funeste que l’Empereur Fu. Après votre repas, je passerai à vos appartements pour votre première leçon.

Pourvu qu’elle me raconte l’histoire de Fu, je ne la connais pas.

Tout le repas, je me contente alors de singer mes rivales et leurs manières. Si effectivement, ce n’est pas un rêve mais un autre monde, mes chances de devenir l’Impératrice ne sont plus de 100%. Je me voyais héroïne de ma propre histoire, mais ce n’est plus le cas. Chacune, ici, a sa chance. J’ai intrigué l’empereur autant par mon arrivée dans le lavoir que parce qu’il a cru que je me moquais de lui en demandant son nom. Mais au final, je ne suis qu’une prétendante parmi des centaines d’autres.

Je rejoins ma chambre avec Fantou, les épaules lourdes de ce constat. Aussitôt que nous sommes enfermées, elle enlève sa robe.

— Que fais-tu ?

— Je ne veux pas que vous soyez disqualifiée à cause de moi.

— Mais, laisse, c’est stratégique. Les autres vont être jalouses et se disputer avec leurs maîtresses.

— Mais si elles se disputent, elles se feront fouetter.

Je soupire et me dirige vers le coffre à bijoux. Si je ne peux vêtir ma courtisane, alors je vais veiller à ce qu’elle ait les plus beaux bijoux. La première chose que je trouve, c’est une chaîne dorée. Je lui fais mettre autour de la taille et je plie en deux une écharpe légère de tissu blanc, que je suspends dessus après l’avoir passée entre ses jambes. Elle retombe jusqu’à mi-cuisse pour masquer le bas de son abdomen et le sillon de ses fesses. J’accroche la même étoffe autour de sa poitrine. Ensuite, je lui offre deux bracelets qui se resserrent autour de ses biceps, un collier en rivière.

Fantou se mire devant le miroir.

— C’est trop !

— Non. On ne peut t’accuser d’avoir d’arme cachée sur toi et tu es plus présentable. C’est moi l’Impératrice, ne l’oublie pas.

— Vous ne l’êtes pas encore.

Je fronce les sourcils, réalisant qu’avec mes écarts de conduite, elle commence à douter de mes chances de gagner. On frappe à la porte, alors je lui ordonne :

— Va ouvrir.

Elle obéit, tandis que je m’assois sur le lit et Irène pose alors des yeux de rapace sur elle avant d’entrer.

— Il y a du progrès. On sait quel est son rang.

— D’où je viens, il n’y a pas de rang.

— Quel que soit le pays d’où vous venez, il va falloir apprendre à vivre avec les codes qui ont cours ici… si vous voulez devenir impératrice.

Prononcer cette éventualité semble l’amuser.

— Je viens d’arriver et vous ne m’en croyez pas capable ?

— Vous êtes d’une beauté assez atypique, hélas vous n’avez aucune grâce ni sur l’instant, ni quand vous vous déplacez. Chaque geste d’une impératrice est mesuré. Pour l’Empereur comme pour le peuple, vous devez incarner la perfection. Si vous voulez que le seigneur Varrok vous remarque, vous devez savoir jouer de subtilité. Vous devez évoquer le désir sans trop en montrer, comme vous le faisiez avec le décolleté outrageux que vous portiez à votre arrivée ici. Il faut laisser apparaître une épaule, une cuisse, évoquer la sensualité par le regard ou des mots détournés.

— Si vous enseignez la même chose à chacune d’entre nous et que chacune s’y tient à la lettre, alors nous serons que des copies, et seuls nos traits nous distingueront. Il faut être soi-même.

— On peut être soi-même et avoir du savoir-vivre. — Je hausse les sourcils. — Bien ! À moins que vous méprisiez mes enseignements et auquel cas vous n’avez rien à faire ici, montrez-moi comment vous attireriez mon attention si j’étais le Seigneur Varrok.

— C’est-à-dire ?

— Je viens d’entrer dans cette pièce et vous êtes assise sur ce lit. Vous ne vous attendiez pas à me voir.

Je croise une jambe par-dessus l’autre pour essayer de me mettre dans le rôle et elle sourit satisfaite en voyant ma cuisse se découvrir.

— Bien, vous écoutez au moins ce que je dis, ça me fait plaisir.

Je ne lui dis pas que c’est un hasard fortuit. J’enchaîne :

— Et bien votre Altesse, vous n’avez rien à me dire ? Que me vaut l’honneur de votre visite ?

Irène me répond sans jouer son rôle :

— L’honneur de vous voir en ces lieux isolés, siérait mieux, mesurez votre langage. Ensuite, si j’avais été l’Empereur, vous vous seriez levée.

— Vous ignorez la teneur de ma relation avec l’Empereur. Ne me dictez pas comment me comporter face à lui.

— C’est pourtant ce que vous venez apprendre ici. Vous êtes trop insolente, Léna Hamestia. Maintenant invitez-moi à m’asseoir, je n’ai guère envie de rester debout.

Je me redresse, lui pousse une chaise et lui fait signe de s’installer. Tout en posant ses fesses, elle déclare :

— En ce qui vous concerne, je ferai autant votre éducation que celle de votre courtisane. Maintenant que vous êtes debout. Dîtes-moi qui a choisi cette robe trop étriquée et dont le rouge jure à côté celui de votre chevelure ?

— C’est moi Dame Irène, s’excuse Fantou.

— Tais-toi, lui dis-je. Si elle ne m’avait pas plu, je l’aurais refusée.

— Votre courtisane vous habille fort de mauvais goût et prend la parole sans que vous lui demandiez. Punissez-la.

— Non.

— Punissez-moi, me supplie Fantou en s’agenouillant.

— Voulez-vous que je vous montre ? questionne Irène en se levant pour décrocher un martinet du mur.

— Ce n’est pas à vous de décider si je dois punir ma courtisane, ni à vous de me dire comment. Vous voulez m’apprendre comment me comporter en société, soit, alors je vous laisse m’apprendre ces choses. J’accepte même certaines de vos humiliations, comme ce bain glacial que vous nous obligez à prendre tous les matins. Mais en aucun cas, vous n’avez à m’apprendre comment me faire respecter de ma courtisane. Et si je dois la punir, ce ne sera pas en frappant une enfant plus faible que moi, comme une lâche. Et si vous, vous osez une fois porter la main sur elle, je vous tue, Dame Irène.

Le ton la surprend, mais la vieille a la répartie facile :

— Bien. Vous êtes bien la première à refuser. Je doute que l’Empereur prenne une femme qui ne sait se faire obéir. Retenez le peu que je vous ai dit et demandez à votre courtisane de vous choisir une robe aux couleurs qui vous siéent. Dans une heure, à la salle de réception, vous aurez votre premier cours de danse.

Irène se lève. J’ordonne :

— Fantou, relève-toi et ouvre la porte.

Ma jeune amie voyageuse, les yeux en larmes se lève et ouvre la porte. Lorsqu’elle la referme, elle sanglote :

— Vous faites tout de travers !

— Arrête de pleurer et ne me dis pas ce que je dois faire, sinon, je vais vraiment me fâcher. Irène est une ancienne courtisane, une vieille peau sadique. Toi, t’es mon amie, d’accord, pas simplement ma courtisane. Le jour où je voudrai te punir, je n’aurai qu’à me séparer de toi. Choisissons une robe toutes les deux.

Tout en cherchant les couleurs et un ensemble qui me plaise, je réalise qui est Irène. C’est une vieille peau, comme je l’ai dit, une courtisane déchue que le temps a ridé. Chaque matin, elle nous regarde et fantasme sur notre jeunesse. Chacune ici lui obéit et elle a un malin plaisir à rabaisser celle qui sera peut-être la future impératrice. Si elle peut se vanter d’avoir soumis un temps l’épouse de l’Empereur, elle s’en vantera.

Fantou et moi-même fouillions dans les ensembles nombreux et plus splendides les uns que les autres. Il y a trop de robes à froufrous. Le placard est profond, et Fantou recherche ce qui m’irait mieux. Elle a déjà perdu son air contrit de culpabilité. L’influence de cette femme sur elle est déplorable.

J’aime le noir, hélas, il n’y a rien de sombre, à croire que pour se distinguer du peuple, une femme doit arborer des couleurs vives. Fantou ne trouve qu’une seule couleur qui peut accompagner le feu roux de mes cheveux, ce sont des robes couleur émeraude.

— Quand je serai impératrice, ce sera le noir ma couleur.

— Oui, c’est mieux, concède Fantou. Laquelle voulez-vous ?

— Je vais prendre celle-ci.

La robe est assez compliquée à enfiler. Elle me couvre jusqu’aux pieds, un col long et pointu remonte depuis l’épaule gauche derrière ma tête. L’épaule droite est nue. Une mitaine remonte jusqu’au-dessus du coude. Je n’aime pas du tout à l’exception des boucles dorées du bustier qui mettent mes formes bien en valeur.

— Il faudra fendre la jambe.

— Je pourrais vous faire ça ce soir. Je connais un peu la couture.

— J’ai l’impression d’être quelqu’un d’autre.

— Je vais mettre un peu de maquillage vert sur vos paupières.

— Fais, cédé-je avec lassitude.

Assise sur le lit, les yeux fermés, je laisse Fantou me maquiller. J’ouvre la porte pour rejoindre la salle de réception et demande à ma courtisane :

— Tu n’as pas froid ?

— Non, maîtresse.

— Appelle-moi Léna et ne me mens pas pour me faire plaisir.

— Je n’ai pas froid, maîtresse Léna.

Je lui octroie un regard fâché, puis gagne ma destination d’un pas impérieux. C’est une grande salle parquée, à la voûte lointaine et aux tentures rouges. Les fenêtres hautes font entrer la lumière du jour. J’ignore combien de temps nous avons mis pour m’habiller. Nous sommes les premières à arriver, mais des garçons de quinze ou seize ans sont déjà là à nous attendre. Irène le constate :

— Vous êtes la première. Choisissez votre cavalier.

Je m’avance vers le plus mignon. Irène fait signe aux musiciens.

— Rattrapons votre retard, Léna Hamestia.

Mes rivales me rejoignent alors que le cours a déjà commencé. Mon partenaire reste muet mais bon danseur. Irène est pointilleuse sur les déplacements, sur la souplesse des mouvements et sur le sourire sur le visage. Elle veut la perfection dès les premiers instants et si je ne réplique guère à ses remontrances, c’est que c’est la première leçon qui, je pense, peut réellement me servir.

La seconde leçon vient à midi. Irène sanctionne chacune de nous lorsqu’un couvert est mal employé, quand une main n’est pas à sa place ou lorsqu’on n’appelle pas assez discrètement sa servante. La mienne brille parmi les autres, parés de plus de bijoux, mais cette fois-ci, aucune ne peut me le reprocher.

L’après-midi, nous sommes toutes réunies à des pupitres pour apprendre à écrire. La calligraphie est quelque chose de compliqué, mais contrairement à mes rivales, venant de la Terre, je sais écrire. Si le bon dosage d’encre sur le bec de métal n’est pas toujours bon, la courbe de mes lettres me vaut les félicitations devant tout le monde.

Vient l’heure de la collation. Nous sommes réunies dans un salon pour apprendre à jouer à des jeux de société. Toute femme d’empereur se doit d’être incollable sur la façon de jouer, et nos courtisanes, tout en nous servant thé et biscuit, doivent bien observer car elles auront sans doute à jouer avec nous lors des absences de notre futur époux. Chacune ici vient dans l’idée d’apprendre, il n’y a aucune émulation à gagner pour elles, notamment parce qu’elles devront laisser vaincre leur époux.

J’ai du mal à comprendre les échecs, je suis plus douée aux dames. J’évite de crier de joie lorsque je prends une pièce à ma rivale.

— Bien Mesdemoiselles, conclut Irène. Je vous invite à regagner vos quartiers. Nous nous retrouverons pour le souper. Léna Hamestia, je vous retrouve à vos quartiers.

Je m’incline légèrement pour lui faire entendre que j’ai entendu.

À peine suis-je arrivée à ma porte qu’elle nous rejoint. Nous la laissons entrer, puis je propose :

— Voulez-vous vous asseoir ?

— Volontiers, face au bassin.

— Fantou, donne une chaise à notre hôte.

Ma courtisane s’exécute.

— Quelle est la leçon de ce soir ? demandé-je.

— Aujourd’hui, c’est votre courtisane qui va apprendre à faire votre toilette.

Quand je disais que c’était une vicieuse qui aimait regarder les plus jeunes se dénuder. Je la fixe pour essayer de deviner ses attentions. C’est juste lubrique ou y a-t-il une humiliation supplémentaire ?

— Dévêtis ta maîtresse.

Fantou, les doigts tremblants déboutonne mon corsage et baisse délicatement ma robe. Le regard surpris d’Irène me fait deviner qu’elle n’a jamais vu de culotte sloggy. Elle essaie de ne rien laisser paraître, mais je vois bien où se posent ses yeux intrigués. Fantou pose des doigts tremblant sur mes hanches et baisse mon sous-vêtement. Sans laisser à la sorcière, un instant pour me lorgner, je gagne l’eau chaude, bien plus agréable que celle du matin. Je m’assois sur les marches, face à la spectatrice qui ordonne :

— Tu vas commencer par les cheveux, on commence toujours par le haut. Montre-moi le savon qui sert aux cheveux.

Fantou n’hésite pas trop. Elle ramasse un seau d’eau, me fait pencher la tête en arrière et m’inonde les cheveux. Si je n’offrais pas ma gorge aux yeux de la vieille perverse, ce serait agréable. Elle verse un peu du savon liquide, puis glisse ses doigts sur mon cuir chevelu. Irène commente la manière de s’y prendre, la fermeté et la douceur, et insiste de surtout faire attention aux yeux. Fantou m’invite ensuite à m’assoir sur la première marche hors de l’eau :

— Pouvez-vous remonter ?

— Non, c’est à ta maîtresse de te dire quand elle veut que tu arrêtes de masser ses cheveux. Elle se déplacera elle-même. C’est cette éponge pour la peau.

Je ne dis rien tout en m’asseyant. Fantou frotte très doucement, juste pour blanchir ma peau d’une mousse légère. J’avoue que se faire toiletter en fin de journée est d’une détente totale. Je n’aurais pas soupçonné que c’était si agréable, et ça doit l’être encore plus sans spectatrice. Fantou me savonne jusqu’à mes orteils, très délicatement. C’est la première fois où je ressens réellement le plaisir d’avoir quelqu’un à mes ordres.

Elle me rince des pieds à la tête, puis repose ses ustensiles silencieusement. Elle se rend compte qu’elle a omis un objet.

— À quoi ça sert, ça ?

— Et bien s’il reste quelque chose que tu n’as pas utilisé, pose-toi la question de ce que tu as oublié.

— Je ne sais pas. Les yeux ?

— Entre autres. Et que dira l’Empereur lorsqu’il sentira la fleur de son épouse nauséabonde et poisseuse ?

— La fleur ?

— La chatte, murmuré-je.

— La quoi ?

— Le sexe de ta maîtresse, s’impatiente Irène ;

Fantou s’empresse de prendre l’éponge, avec la panique d’une élève comme prise en défaut. Elle s’accroupit dans l’eau, se plaçant entre moi et le juge. Avant-même qu’elle ai pu me toucher, la vieille femme précise :

— On utilise cette éponge pour ne point abîmer les pétales. Tu dois avoir les gestes les plus délicats possibles.

Le regard malsain d’Irène me déplaît, mais elle ne peut voir sans se lever. Détendue par le massage crânien et l’eau chaude, je décide d’écarter les cuisses, tout en défiant la sorcière du regard. Fantou s’applique délicatement et très brièvement, en descendant jusqu’à mon sillon fessier, puis elle trempe ses mains pour former une coupe et rincer mon intimité du savon. J’interromps la séance, trop irritée par le regard de la vieille lubrique.

— Merci, Fantou. Donne-moi de quoi me vêtir.

Je me relève, Fantou m’éponge la peau avec une serviette, puis me choisit une robe verte, un peu trop semblable à celles que toutes les autres portent, avec un bustier faisant remonter la poitrine. C’est moche à souhait, mais ça semble convenir à Madame Irène qui se lève :

— Bien. Je vous retrouve au souper.

Lorsqu’elle quitte la pièce, je lâche un soupir, puis enfile ma culotte. Fantou, inquiète, murmure :

— Ai-je été assez douce ?

Je saisis sa tête entre mes mains et l’embrasse sur le front.

— Tu as été parfaite, je ne pouvais rêver mieux. — Fantou esquisse un sourire. — Il va falloir que nous continuions à être parfaites si on ne veut plus avoir à faire le spectacle pour la vieille obsédée. Tu viens dîner ? Mets un pagne sec, avant.

Nous arpentons le couloir. La fraîche est tombée et je vois bien la peau de ma servante se grêler. Avec une certaine hâte nous pénétrons dans la chaleur odorante du réfectoire. Une odeur immonde me rappelant les tripes au cidre dont raffole mon père me laisse présager d’un repas insoutenable. Certaines de mes rivales entrent en mettant délicatement leurs doigts devant leurs narines contrariées. Inspirées par Fantou, la moitié d’entre elles ont ajouté un bout de tissu entre les jambes de leur courtisane, et je considère ces dernières comme plus humaines que d’autres. La blonde entre en dernière sans ciller, avec la petite aux cheveux tressés, aux bras couverts de bracelets encombrants. Elle devra continuer le service cul-nul.

Nous nous installons et nos servantes nous versent une soupe aux abats. Je n’affiche qu’un air impassible, garde le dos droit, j’ai bien conscience que c’est une épreuve, pour déterminer laquelle saura avaler sans rechigner un repas officiel sans offenser l’Empereur ou ses hôtes.

L’estomac au bord de l’écœurement, la nausée à chaque bouchée, je termine en buvant du vin toutes les deux fourchettes. Lorsque le raisin arrive, je me jette dessus. Jamais je n’ai autant aimé les fruits.

Je pénètre dans ma chambre et soupire :

— Putain, c’était dégueu !

— Moi j’ai bien aimé.

— Beurk. Aide-moi à défaire le corset. J’en peux plus de cette robe hideuse ! Je suis crevée.

Fantou s’exécute et la robe tombe à mes pieds. Je saisis mon téléphone me laisse tomber en arrière sur le lit moelleux. Il n’a plus que cinq pourcent de batterie.

— Je suis désolée que la robe ne plaise pas. C’est vrai qu’elle est si hideuse que vous êtes plus belle nue.

— Elle plaît à Madame Irène, c’est ce qu’il faut. Tu as fait un choix judicieux.

— Oui, c’est vrai.

— Ferme la porte à clé pour pas que la vieille s’amène et vient te coucher.

Pendant que j’observe les selfies fait avec elle, ma servante verrouille la porte, enlève ses bijoux. Lorsqu’elle éteint la lampe, j’éteins le téléphone en passant mon poignet dans la dragonne. Si ce monde est réel, lorsque je me réveillerai, je retrouverai les photos de Fantou. Elle se glisse sous les draps, puis questionne :

— Pourquoi vous n’aimez pas les robes ?

— L’Empereur m’a embrassée alors que je n’en portais pas. Donc pour moi, ça équivaut à se mettre au même niveau que toutes les autres. Il faut se démarquer.

— Comment ferons-nous si Dame Irène ne vous donne pas son sceau ?

— On pourra la tuer et lui voler, plaisanté-je.

Fantou reste silencieuse en se collant contre moi. J’ai envie de lui dire que c’est une blague, avant de me raviser. Tout en serrant mon téléphone contre ma poitrine, j’essaie d’imaginer l’avenir. Les lèvres de Sten sur les miennes s’immiscent dans mes pensées. Ce baiser reste imprégné sur ma bouche et mes papilles semblent le goûter encore. En rêvant à l’homme, je sais combien je veux réussir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire petitglouton ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0