23. Coup de pute (partie 1)

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Mardi 1er octobre 2013

Tout en arpentant les trottoirs sinistres de mon monde, je lis le message qui vient de m’arriver :

Siloë : Alors ? Ça lui a plus le striptease ?

Lena : Carrément. Il bandait comme un taureau. Il n’est pas prêt de m’oublier. J’ai terminé en lap-dance, je sentais sa bite toute dure. Et il a sucé mes seins ! C’était trop bon ! Je voudrais recommencer mille fois !

Chell : Et bien ! Tu te lâches !

Siloë : Tu penses avoir marqué des points ?

Léna : Carrément. Il était tellement excité qu’il a sauté l’aspirante qu’il devait voir après-moi. Du coup, elle n’est plus vierge, elle est éliminée.

Chell : Bonne stratégie, alors.

Léna : N’est-ce pas ? Et vu que je suis gentille avec elle, elle va sûrement dire à ses électeurs de voter pour moi. Là, je vais essayer de dégager la fille de seconde B. Y a un laxatif qui ressemble à la pilule, il faut que je fasse une inversion.

Chell : Va falloir être rusée.

Léna : Ou menaçante. J’ai un plan. Je vous tiens au courant demain si ça a marché. Kisses

Victor arrive à peine au lycée, tellement j’arrive tôt. Je l’interpelle en agrandissant mes enjambées.

— Salut Victor.

— Salut Hélène.

Je lui fais la bise, malgré l’antipathie qu’il génère à m’appeler par mon prénom. Nous avançons d’un même pas vers l’infirmerie. Je lui dis :

— Pauline va venir te demander une pilule.

— Comment tu le sais ?

— Grâce à toi, on a appris à se connaître. Je veux que tu lui donnes ça à la place.

— Et pourquoi je ferai ça ?

— C’est juste une fois. Elle reviendra te voir en disant que ça n’a pas marché. Tu lui dis que tu sais, que ça arrive parfois, qu’il y a une fille des BTS à qui ça a fait déjà ça. Tu lui dis : pas de problème, je t’en redonne une gratuite pour compenser. Du coup, tu ne perds pas de fric, elle non plus, juste qu’elle va sauter une prise.

— Pourquoi tu veux qu’elle saute une prise ? Ça t’apporte quoi à toi.

— C’est nos histoires, t’occupes. Toi tu ne perds rien, elle non plus, moi je gagne quelque chose.

— T’es chelou, Hélène.

— Fais gaffe à ce que tu fais, parce que si tu lui en donnes une vraie, je le saurais, et alors là, je serai super vénère !

— Cool. OK, je ferai ce que tu dis.

— Joue le jeu, sinon, je te jure que ça ne va pas le faire.

Je m’éloigne en le pointant du doigt. Je gagne ma salle de classe sans croiser Pauline. Pourvu qu’elle n’ait que dix euros. Si elle a plus, elle risque d’en acheter plusieurs et de ne pas gober le laxatif aujourd’hui.

Fin de soirée. Aussitôt dans ma chambre, en panne de lingerie propre, j’enfile une culotte acrylique, puis gobe une pilule. Un frisson glacé descend dans mon dos, mon estomac devient brulant. Le lustre de ma chambre descend pour tourner autour de moi comme un serpent. Petit à petit, des incisives lui poussent, ensuite des oreilles bleues et longues naissent. Il s’élargit, noircit puis m’avale toute entière.

Je me réveille sur mon lit. Adelheid me dit lorsque je m’assois :

— Cendre des Grisons voulait vous voir. Fantou lui a dit que vous étiez sûrement aux écuries.

— OK. Aide-moi à mettre mon armure.

J’enfile mes bottes, ma tenue, puis quitte ma chambre, le pas emboîté par mes quatre servantes.

— Viens, dis-je au soldat.

Nous arpentons les longs couloirs, puis traversons la grande cour en direction des chambres des domestiques. Il y a beaucoup de monde, notamment la garde rapprochée de Sten Varrok. Sigurd ouvre ses bras à sa fille, puis l’étreint avec le regard heureux.

— Ah ! Léna Hamestia. On dit que tu as été la première choisie par l’Empereur ?

— L’histoire du dragon titillait trop sa curiosité.

— Et comment s’est passé cet entretien ?

— Moi je pense qu’il est amoureux, indique Fantou.

— Ils se sont encore embrassés, ajoute Mala, ravie.

Je caresse ses cheveux flamboyants. Cendre arrive à ce moment avec ses quatre gardes du corps à ramure, et ses trois courtisanes. Je lui souris :

— Remise de ta soirée ?

— Pas vraiment, je ne cesse de la revivre en souvenir.

— Pour être honnête, Cendre, je t’envie.

— Tu peux m’envier, mais j’espère que ta patience sera récompensée. Je souhaite sincèrement que ça sera toi la future Impératrice. Si tu le veux, j’aimerais rejoindre tes partisans, et mes soldats te serviront avec le même dévouement qu’ils m’ont protégée.

— Je… Je ne sais pas quoi dire. C’est inattendu mais évidemment, vous êtes les bienvenus.

— Il faut trouver un étal qui retape leurs armures, indique Sigurd.

— Justement tu en connais un bien près des Gros Gosiers.

— Tout à fait.

— Et bien préparez tout pour notre départ, à l’aube, en même temps que les troupes de Sten Varrok.

— Où irons-nous ? demande Sigurd.

— Aucune idée. Il faut trouver des sponsors en qui les gens ont confiance. Il faut qu’on fasse mieux que Pauline du Désert. Nous avons un mois pour que tout le duché me connaisse.

— Je devais aller voir le baron des Falaises Rouges, indique Cendre.

— C’est un Messien, non ? grogne Sigurd.

— Il a envoyé sa fille cadette à la citadelle des scribes et elle n’a pas été retenue. Il est furieux. Ma mère m’a dit de faire une alliance avec lui. Il a une grande influence sur le comté des Hauts-Glaciers. Après, nous devrions-nous rendre dans mon comté, pour que vous soyez présentée à mon peuple. Je vais leur écrire que nous vous soutenons, mais si vous vous déplacez, ce sera très apprécié.

— Vous êtes des alliées proches de l’Empereur, se souvient Sigurd.

— Nous avons soutenu le retour au trône de Sten Varrok car il est à demi Ramien. Nous apprécions les gens qui ont une véritable autorité, et nous avons vu en lui un rassembleur plus fort que son père.

Sigurd me dit :

— Si tu rassembles un comté Messien et un comté Ramien, les gens qui craignent une division voteront pour toi. Je doute que beaucoup d’aspirantes osent aller voir le baron des Falaises Rouges. La Comtesse des Hauts-Glaciers est sa sœur, ce serait une voix du poids.

Mon ancienne concurrente opine, donc je valide :

— Bien, nous savons où nous rendre. Cendre, qui est au courant que tu me soutiens ?

— Personne. Je vais faire savoir que je me retire dès ce pas.

— Il serait bien de connaître la côte de popularité des autres avant que nous partions. Les filles, sondez les courtisanes des autres prétendantes, pour savoir qui pense quoi sur qui. Vous, pendant que vous préparez le départ, sondez le peuple.

— Sonder, comme on sonde un étang ! J’aime beaucoup l’image, rit Sigurd.

L’heure du repas approche très vite, mais cette fois-ci, je suis parmi les premières à rejoindre la salle de réception. Le Duc et la Duchesse nous accueille une à une. Pauline de la Seconde B, n’est pas encore présente. L’imaginant se tordre les boyaux sur le siège des WC me fait sourire. Je m’étonne :

— Pourquoi sont-elles tant en retard ? L’Empereur va être furieux.

— Cendre des Grisons vient de se retirer de la compétition, nous explique la Duchesse.

Une de mes concurrentes me dit :

— Tu as soutenu toute la soirée cette fille aussi sinistre que son prénom, et finalement elle se retire. Quel gâchis de temps.

Le tutoiement m’indique qu’elle n’envisage pas que je sois sa Reine un jour, alors que Cendre m’a octroyé dès le début un vouvoiement soumis. Les autres font du commérage.

— C’est étrange que ça ne soit pas le Seigneur Varrok qui l’a disqualifiée, qu’elle se retire d’elle-même.

— Son entretien a du vraiment mal tourner.

— Elle est trop timide, peut-être qu’elle n’a fait que l’ennuyer.

— Le voilà !

— L’Empereur Sten Varrok ! s’exclame le chambellan.

Le majestueux mâle alpha fend la foule admirative puis salue ses groupies une à une. Il a toujours un mot charmeur. Les badauds comptent les secondes qu’il accorde à chacune. Arrivé à moi, ses yeux brillent de mille étincelles.

— J’ai souvent eu le droit a de la féerie, mais j’avoue que la vôtre m’a tant ébloui, que j’ai pensé à vous toute la journée.

Le compliment fait tomber les sourires des sept adversaires. Je passe ma langue sur les lèvres en cherchant des mots aussi percutants que les siens.

— Je vous retourne le compliment. Je n’ai cessé d’imaginer milles et unes suites possibles plus intimes à cette féérie. Il y a tant de variations, de possibilités.

— Vous m’alléchez.

— Non. Il faut que je devienne votre amante pour vous lécher, plaisanté-je.

Une concurrente pouffe :

— Il a dit allécher, Léna, pas lécher.

— Je pense que Léna avait bien compris, tranche Sten. On dirait qu’il manque quelqu’un.

— Cendre des Grisons s’est retirée de la compétition, indique le Duc.

— Je sais. Je ne pensais pas à elle.

— Malheureusement, Pauline du Désert est souffrante. Elle ne pourra pas vous rencontrer ce soir.

Sten tourne sa ramure aussitôt vers moi :

— Et bien, on dirait qu’une place se libère pour que vous me fassiez découvrir la première des milles et unes variations que vous avez en tête.

Le visage de mes concurrentes est blême, mais Sten Varrok est trop sûr de lui et, je l’ai tant chauffé la nuit dernière, que ça risque de finir en dépucelage précoce. Je ne finirai pas la course de la même manière que Cendre, et je tiens à me faire désirer pour maintenir la flamme.

— Merci mon Seigneur, mais je me vois dans l’obligation de refuser. — Ses yeux marquent l’étonnement et un silence d’effroi gèle l’assistance. — Ce serait impartial vis-à-vis de mes compétitrices d’obtenir une heure de plus de votre temps.

Sten Varrok reste sans voix, incline la tête pour signifier qu’il a entendu le message. Terrorisée par le silence, la Duchesse s’exclame :

— Bien ! Trinquons ! Trinquons !

Mal à l’aise d’avoir tenu tête à Sten, je fuis son regard de mâle dominant. Je me dirige droit vers le buffet sans attendre qu’une de mes courtisanes me serve. Est-ce que j’ai fait une connerie de me refuser devant tout le monde ? Je m’enfile un verre de vin cul sec. L’armure me paraît lourde, et je ne suis pas certaine d’avoir marqué mille points. Certes, tout le monde a pu constater qu’en l’absence de Pauline, Sten a plus d’attention pour moi que pour aucune autre. Mais lui tenir tête, j’ignore si ça n’annule pas les points.

Les mains blanches de l’Empereur se posent sur mes épaules et me font sursauter.

— J’ai cru entendre que vos soldats et ceux de Cendre des Grisons sillonnaient les étals d’un même pas.

— Ah ?

— Pouvez-vous demander à une de vos courtisanes de prévenir Cendre des Grisons que je passerai la voir une dernière fois.

Il s’éloigne sans plus rien ajouter. Fantou me regarde de loin, alors qu’elle tient un plateau entre ses mains et répond aux questions intéressées de nos futurs électeurs. Je lui fais signe que je n’ai pas besoin d’elle. La manipulation, c’est mon rayon. Je file d’un pas rapide, en indiquant à quiconque m’apostrophe que je reviens dans une minute. Tout le long des larges couloirs ducaux, mes grandes enjambées trahissent ma colère. À me refuser à Sten, me voilà transformée en maquerelle. Le garde à la ramure pose son poing sur le cœur.

— Elle est là ?

— Oui, Dame Hamestia.

Il frappe à la porte pour qu’une des servantes ouvre. Aussitôt qu’elle me reconnaît, elle m’invite à entrer sans même attendre l’ordre de sa maîtresse. Je m’oblige à sourire et à prendre un ton chaleureux :

— Tout va bien ?

— J’attends le départ avec impatience, avant que les gens sachent que j’ai été la catin du Seigneur Varrok.

— C’est un bien grand mot. Tu ne t’es pas fait payer, non ? Au contraire, tu as sacrifié une chance de devenir Impératrice. Et, de toi à moi, tu as fait très bonne impression à l’Empereur, puisqu’il m’envoie te dire qu’il veut venir te voir ce soir.

— Moi ?

— Une dernière nuit d’amour, sans doute.

— Mais je ne le mérite pas.

— C’est plutôt lui qui ne te mérite pas. Tu te rends comptes ? Je me retiens de lui céder comme tu as fait. Pourquoi ? Pour être celle qui devra lui faire oublier toutes les prétendantes qu’il se sera tapé ?

Cendre pince les lèvres. Je m’assois à côté d’elle et lui confie :

— C’est le deuxième homme dans ma vie qui me rend folle. Je lui en veux. Il instaure des règles pour se trouver une épouse, il prétend chercher l’Impératrice unique, celle qu’il aimera, celle qui n’a connu aucun autre homme, alors qu’il a peut-être déjà une dizaine de bâtards à travers le pays.

— S’il vient ce soir, je ne pourrais pas me refuser à lui, c’est l’Empereur.

— Je ne t’ai rien demandé. À ta place, j’en profiterais. Quand on y réfléchit, personne ne saura jamais ce qui s’est passé. Il veut garder son image soignée, et il ne prendra pas le risque de salir celle d’une fille de comtesse.

— Vous avez raison.

Je réalise que j’ai un moyen de pression. Il va falloir changer la vapeur et que Sten me mérite.

— Je dois retourner au milieu de la foule. Fais-toi belle pour ta dernière nuit de féérie. Même si je deviens impératrice, j’oublierai que tu as été un jour son amante. On ne change pas la nature des hommes.

— Merci, Léna. Merci beaucoup.

Je quitte la pièce en laissant mon cerveau tourbillonner de mille mots pour mettre Sten sur le droit chemin, qu’il me considère comme son égal, une femme de pouvoir, et non pas comme une soupirante de son siècle.

La foule s’ouvre à mon arrivée. Des gens qui hier encore me snobaient me tendent leur verre.

— Damoiselle Hamestia, venez trinquer avec nous.

N’ayant pas trouvé comment mettre les points sur les i au souverain sans que tout le monde nous entende, j’accepte. J’adore écouter les nuances de vocabulaires. Ceux qui me considèrent comme une aspirante m’appellent Damoiselle. Ceux qui me considèrent déjà souveraine, m’appellent Dame.

Viens l’heure de passer au banquet. Comme la veille, nous sommes un peu à l’écart. Sten s’installe le premier, donc je viens derrière lui. Mes mains se posent sur ses épaules, comme il l’a fait tout à l’heure. Sous les yeux effarés des badauds, je colle ma bouche à son oreille pour lui murmurer :

— Je vous laisse une seconde nuit d’amour avec Cendre, mais si j’apprends que vous cédez aux charmes d’une des sept putes autour de cette table, je me retire de la course et en annonce publiquement les raisons.

Il tourne la tête vers moi, je dégage mes cheveux de mon oreille et son souffle chaud me répond :

— Je ne suis pas un chef militaire qui cède au chantage, ou je ne serai pas Empereur. Vous n’êtes qu’une parmi beaucoup de choix.

Sentant que j’ai été un peu trop loin, j’agite mes ongles devant son visage et susurre :

— J’ai les doigts agiles et la bouche brûlante, comme les autres. Mais si vous voulez épouser autre chose qu’une poupée soumise, il va falloir le mériter.

Je pose un baiser sur sa joue glabre et m’éloigne d’une caresse du bout des doigts sur sa nuque. On nous observe avec stupeur. Je m’assois à sa droite et observe son visage fermé. Du coin de l’œil, il m’adresse un peu d’attention. Je lui souris, un rictus amical nait au coin de ses lèvres, et une étincelle complice brille entre nous. Tout le monde aperçoit cet échange d’enfants joueurs. Voilà l’homme que j’ai envie de trouver, un homme qui accepte le défi. Je tends mon verre de vin vers lui, alors il fait tinter le sien pour sceller notre entente.

Assis l’un à côté de l’autre, notre peau blanche, notre tenue noire, nous ressemblons déjà à un roi et une reine.

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