41. Election (partie 1)

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Jeudi 1er novembre 2013

Le dîner avec l’Empereur a été très courtois, y compris avec la Bimbo. Pendant une semaine, j’ai répété les pas de danse avec Siloë. Nous ne sortions de l’appartement que pour errer dans les jardins, répéter mon discours et elle s’éclipsait régulièrement pour vérifier l’avancement de ma robe. Nos gabaris étant similaires, elle l’a testée sur elle.

Mes autres concurrentes sont arrivées, dont Vivianne Montceaux, la fille ailée, l’ange immaculé derrière laquelle se cache une commanditaire de meurtre sans pitié.

— Si elle est élue, je la kidnappe, lui éclate la chatte avec un manche d’épée, et la dénonce comme plus vierge.

Siloë éclate de rire en terminant ma coiffure. Elle a noué mes cheveux avec deux baguettes noires, dégageant ma nuque et me donnant un air plus austère. Mon reflet sur la grande psyché m’inspire une remarque :

— J’ai pris dix ans.

— Non Ça te donne de la tenue. De l’élégance. Tu es prête ?

— Vas-y.

Elle bande mes yeux d’une étoffe et les mains de mes servantes défont mon corset ainsi que ma jupe.

— Allez vous habiller, les filles.

Tandis que mes courtisanes filent, les doigts de Siloë baissent mon string. Je me moque :

— Je ne sais pas si le sous-vêtement a son importance pour une tenue de soirée.

— L’absence de sous-vêtement a son importance, crois-moi.

Je sens la robe se poser sur ma poitrine et mes hanches. Du bout des doigts je découvre la dentelle. Un collier se referme serré autour de mon cou, et une attache se fige dans le creux de mon dos. Un bracelet de dentelle vient couvrir mon poignet et un passant de perles plates vient le tenir en glissant entre mes doigts.

Siloë défait mon bandeau, alors je découvre avec étonnement l’inspiration qu’elle a insufflée à Thomas. La dentelle noire représente des feuillages qui viennent soutenir ma poitrine. Une feuille de cannabis brodée maintient les deux parties ensemble juste au-dessus du plexus. Pour ne pas que cet ensemble tombe, quatre attaches de perles d’or le suspendent au crâne de dentelle posé à la rencontre de mes clavicules et maintenu par un ras-cou de toute beauté. Mes bras restent nus, à l’exception de mon poignet droit. Depuis l’attache entre mes omoplates, une spirale de broderies végétales vient soutenir la jupe de dentelle. Elle enveloppe ma hanche droite, mais le biseau la fait croiser mon bassin à peine plus haut que la naissance de ma cuisse gauche. Toute la jupe est une cascade aux feuillages espacé qui ne laisse aucun doute à ma nudité. Pour cacher mon pubis, un grand crâne est brodé à cet endroit. Les dreadlocks en partent, comme des lianes feuillues. Le fuseau du feuillage laisse mon mollet droit visible tandis qu’il tombe jusqu’à ma cheville gauche. Sa voisine est entourée d’un bracelet de dentelle et des perles dorées viennent passer entre deux orteils.

Mon ventre est entièrement nu, mon nombril trace le centre entre la dentelle qui masque ma poitrine et l’orée de la jupe.

— Alors ? s’impatiente Siloë

— C’est… Whaoo ! Je kiffe ! Mais… C’est pas trop… On voit pas la raie de mon cul ?

— Non. T'inquiète.

— Je ne m’attendais pas à ça mais c’est carrément dans le style de bouleversement que je veux provoquer dans la tête des gens.

— Je te l’avais dit. On a envie de se dire quelle élégance ! Et en même temps qu’elle indécence ! Et pourtant quelle élégance ! Hors de son armure, c’est une beauté délicate, une fleur épanouie !

En finissant sa phrase, elle me prend en photo. Mes courtisanes reviennent près de moi, pareillement vêtues, comme des mini-clones de moi.

Un lipstick doré sur les lèvres pour captiver l’attention vers ma bouche, un far d’or pour mes paupières pour que chaque battement les hypnotise… Je suis prête à faire mon discours… Mon discours… J’ai les mains qui tremblent.

— OK. Arrange-toi pour que j’arrive en dernière, dis-je.

— Ça marche.

Siloë claque la porte, et je croise les doigts des deux mains.

— Pourvu que ça marche !

— Je ne vous ai jamais vue aussi belle, me dit Fantou.

Les autres affirment ses paroles.

— Vous êtes adorables toutes les cinq. Mais je flippe grave ! C’est… Vous vous me connaissez. Mais les gens qui ne me connaissent pas.

— S’ils élisent que sur la beauté, vous êtes sûre de gagner, assure Adelheid.

— On verra comment les autres se sont fringuées.

Siloë revient après quelques minutes.

— Bon. Toutes les filles essaient de faire reculer leur arrivée, alors la Duchesse a fait tirer l’ordre aux dés. Tu passes en septième. Tu verrais l’estrade d’hier, c’est carrément pas comme ça que j’imaginais que ça allait se passer. Y a un monde de malade ! C’est un truc de fou ! Tu passes au milieu des gens tout le long, jusque pour ton discours.

J’expire profondément. Malgré la dentelle, j’ai chaud au point d’avoir envie d’enlever ma peau. Mon cœur est au bord de l’évanouissement.

— Je ne suis pas bien, là, je suis pas bien !

— Calme ma poulette, calme.

— T’as vu les autres ?

— Non.

— Putain, c’est le pire moment de ma vie !

— Pire que la citadelle des scribes ?

— Carrément pire !

Les heures passent, pendant que les autres font leur discours. Siloë est partie y assister. Je n’entends de l’extérieur que les ovations. Puis enfin, on frappe à la porte. Marianne ouvre, et la servante reste figée en me dévisageant. Elle balbutie :

— Dame Hamestia. C’est à vous de vous rendre à… au théâtre

— Bien. Les filles, en arc de cercle derrière-moi.

J’expire une dernière fois puis j’avance pieds nus sur la pierre. Le couloir est extrêmement silencieux. J’arrive à la porte close donnant sur la cour. Un garde crie :

— Damoiselle Hamestia.

De l’autre côté de la porte un autre homme scande :

— Damoiselle Léna Hamestia, la pourfendeuse de dragon !

Les deux portes s’ouvrent et me mettent face à la foule. Une estrade a été montée à hauteur des marches, pour ne pas avoir à descendre au niveau des gens. Des gens d’armes sont disposés régulièrement sur le parcours qui fait une courbe jusqu’à l’amphithéâtre. La brise me fait réaliser que mes fesses et mon entrecuisse sont à l’air. Je souris malgré-moi car cette sensation d’être nue sans que les gens s’en rendent compte me plait bien. Sur le plancher recouvert d’un drap blanc, mon premier pas provoque un silence de stupeur. Mon second engendre des bégaiements. Mon troisième fait place aux cris hystériques. D’une enjambée féline et majestueuse, un pied croisant presque toujours l’autre, j’avance en regardant droit devant moi. Une femme crie que je suis la plus belle. Un homme me demande de l’épouser. Le reste, je l’entends mal. Vers l’extrémité, Jeannine, Sigurd et tous ceux qui nous accompagnent, m’encouragent en hurlant si fort qu’aucun de leurs mots n’est intelligible

L’estrade passe entre les portes du théâtre où nobles gens et fortunés ont pu prendre place. Je descends donc entre les gradins bondés des gens colorés au moment où on m’annonce une nouvelle fois.

Tout en bas de la pièce en éventail, mes deux hôtes m’attendent. Aucune autre concurrente n’est présente. La Duchesse sourit, toute excitée en me disant à voix basse :

— Quel élégance, mais quelle audace, vous me surprendrez toujours !

Le Duc tout rouge désigne le public. Les cheveux bleus de Siloë me permettent de la repérer dans les premiers rangs avec Cendre. Mes courtisanes se resserrent autour de moi alors je pose mes mains sur les épaules de deux d’entre elles pour aspirer un peu de courage. Il est temps de prononcer mon discours. Je l’ai fait court pour ne pas être assommante.

— Peuple du Duché Cœur-Empire, c’est un plaisir immense que de me présenter à vous. Pour ceux qui ne me reconnaîtraient pas, je suis Léna Hamestia, l’aspirante en armure, celle qui a tué un dragon. Je crois savoir que certains hérauts ont tant raconté mon histoire, que tous vous la connaissez. — Je lis quelques visages qui approuvent. — Je vous épargnerai donc ce récit. Ma sœur me disait il y a peu : tu es faite pour cette vie. Elle ne parlait pas de la vie de souverraine, elle parlait de cette vie dans votre Duché. Je vous explique. Mon désir d’être élue Impératrice est né de manière inattendue, d’un baiser brûlant du seigneur Varrok. Ses lèvres ont un goût qu’on veut retrouver chaque jour. Toutefois, en me lançant dans cette quête de me faire connaître, c’est finalement vous que j’ai appris à connaître. Vous, peuple du Duché Cœur-Empire, vous m’avez fait sentir chez moi, dans chaque village que j’ai traversé. J’ai rencontré un peuple travailleur, généreux, des artisans avec une véritable magie dans les mains. Vos couturiers, vos maroquiniers, vos forgerons, vos agriculteurs, formez à vous seuls un trésor de savoir-faire pour l’Empire. Je me sens beaucoup mieux parmi vous que d’où je viens. C’est un monde hostile, individualiste, ou chacun se méprise. Vous, vous m’avez confié la vie de vos filles les plus adorables.

Je désigne mes courtisanes. Les gens m’écoutent, attentifs et silencieux, alors je passe à la seconde partie de mon discours. J’espère que ce one-woman show à la Terrienne tranchera de différence avec ce qu’auront pu faire les autres.

— Si vous m’élisez impératrices, n’ayez aucun doute que je saurais plaire à l’Empereur. Physiquement chacune d’entre nous rivalise avec les autres. Quant à la symbiose de notre entente, elle ne laisse aucun doute à ceux qui nous ont vus ensemble. Mais est-ce que je saurais encore vous plaire ? Tous les égards auxquels j’ai eu le droit durant ma tournée, je n’ai nulle envie de les perdre, et j’aimerais pouvoir vous les rendre. Soyez certains que je n’ai pas le caractère de celle qui s’enferme dans un palais et y passe ses journées. Une fois Impératrice, je veux poursuivre ces visites dans vos villes et villages, je veux continuer à échanger avec vous, représentants, commerçants, simples habitants et regarder comment l’Empire peut vous aider face à un problème ou simplement dans vos projets d’amélioration de vie. Je me fiche qu’être en botte et en armure me rende moins élégante aux yeux des mauvaises langues. Voyez, je sais soigner mon apparence, je saurais rayonner lors des cérémonies, mais je ne suis pas la poupée qui n’est là que pour faire jolie. Je veux être l’Impératrice qui saura s’occuper des affaires intérieures de son territoire et qui saura rendre son peuple prospère. Vous êtes le peuple que le hasard m’a fait rencontrer, vous êtes le peuple que j’ai choisi, et j’espère que vous serez le peuple qui m’a choisie. Longue vie et bonheur à tous ! Je vous aime !

Les gens se lèvent m’applaudissent, m’ovationnent. Je m’incline, puis quitte la place. On commence à scander mon prénom. Un chœur unanime se forme et lorsque je passe le rideau, je vois mes concurrentes aux mines austères, enfermées entres ces murs qui vibrent à chaque « Léna ». Les femmes en armures dorées sont en nombre, sans doute pour éviter les crêpages de chignons.

— Bonjour à toutes.

Je me glisse jusqu’à un recoin de coussins libres. Valériane me toise d’un regard noir, affublée d’une grande robe avec des grandes épaulettes, toujours avec un décolleté d’actrice porno des années 80.

— Je retire ce que j’ai pu dire sur l’élégance.

Désarçonnée par le compliment, je croise les jambes avant de la remercier. Sent-elle le parfum de la défaite pour d’un seul coup préférer me brosser dans le sens du poil ?

Vivianne, l’ange ajoute :

— Et très beau discours, tourné vers les gens, c’était inattendu et bien amené.

— Je suis surprise de recevoir un compliment de toi.

— Je n’ai jamais caché la sympathie que tu m’inspires.

— C’est pour ça que tu as recruté des mercenaires pour me mutiler ?

— Moi ? s’étouffe-t-elle.

— C’est ce qu’a dit leur capitaine avant de mourir.

— Et tu crois que leur parole à une valeur ?

— La parole de chacun a de la valeur.

— Ce ne sont que des mots prononcés par un mercenaire. Des mots pour semer la zizanie.

— Peut-être. N’empêche que je resterai toute ma vie avec ce doute.

— Je te jure Léna. Je n’ai recruté personne ! Et je pense qu’aucune de nous ici n’est assez vile pour cela.

Bien qu’incrédule, voulant éviter la discussion, je lève la main.

— OK… OK… Calme. De toute manière, les jeux sont faits. Cela ne changera rien.

— Il reste qui à passer ? demande une aspirante.

— Malika, répond une autre.

— C’est la seule qui peut battre Léna, murmure une autre.

Je fais celle qui n’a pas entendu, mais je réalise qu’elles se voient déjà échouer. Est-ce qu’une seule d’entre elles a eu son nom scandé à la fin de son discours ? Est-ce que ça veut vraiment dire quelque chose ? Les habitants vont se concerter toute la soirée dans les tavernes, réfléchir toute la nuit, peut-être se sentir trop manipulés…

J’observe les robes des unes et des autres, plus classiques. Vivianne a mis de la fourrure rousse au bout de ses poignets et sur son col et un diadème d’argent couvre son crâne nu.

La voix lointaine annonce :

— Malika la cavalière des Planes-Plaines.

Les filles se précipitent près du rideau pour entrapercevoir notre concurrente, et je ne peux m’empêcher de me joindre à elles. Le soleil couchant reflète sur les bijoux dorés de la fille à la peau d’ébène. Ses longues jambes sont nues, ses chevilles parées de bracelets dorés. Un pagne noir tombe devant et derrière ses fesses. C’est ce même tissu qui croise devant sa poitrine jusque sur ses épaules. Son ventre nu est musclé, entouré d’une petite chaine dorée. Un diadème discret repose sur son front, et elle a peint ses lèvres d’or, comme moi.

— Audacieusement indécent, murmure une fille.

— Ça ne vaut pas la robe de Léna.

Les courtisanes ne portent qu’une bande de tissu noir qui passe entre les jambes et rejoint leur cou, attachée à des anneaux d’or. Malika commence son discours en remerciant le Duc et la Duchesse. Ensuite, elle salue un à un les visages qu’elle reconnaît. le Compte Machin, la Comptesse Machine. Une fille se moque de Valériane :

— Elle fait la même connerie que toi, tout le monde s’endort.

Si c’est vrai les deux premières minutes, le père de Malika, homme influent du comté des Planes-Plaines transparait au travers d’elle. Elle prend chaque sujet sensible du moment, et dit ce qu’elle proposerait à l’Empereur. Contrairement à moi, elle ne se place pas dans un rôle d’Impératrice décisionnaire. Néanmoins sa connaissance des soucis de chaque comté me fait frissonner. Cela a le défaut de rallonger son discours. Elle conclut ainsi :

— Pour l’empereur, je serai une épouse parfaite, tant par mon éducation que par mon corps, capable de toutes les prouesses. Pour vous, je serai une voix qui vous connaît parfaitement, un conseil influent à ses oreilles.

Ils applaudissent à en faire résonner toute la salle. Son prénom ne vient qu’après par un petit groupe. Mais il n’est pas repris avec la même ardeur que le mien. Elle nous rejoint, et les filles l’applaudissent.

— T’as été superbe !

— Trop beau discours !

Finalement, je n’ai peut-être pas tant marqué leurs esprits. Peut-être qu’elles se lèchent mutuellement les bottes en cas de réussite de la concurrente. Malika pose ses yeux sur moi en voyant que je ne dis rien et dévisage ma tenue.

— Très belle.

— Merci.

— Comment as-tu perçu mon discours ?

— Chiant au début, mais il paraît qu’il faut toujours flatter les grosses huiles en les citant. Ensuite, tu m’as impressionnée par ta connaissance. J’ai fait un peu la même chose, en plus général et en me mettant moins en retrait de l’Empereur.

— C’est peut-être ton défaut. Tu ne lui laisses pas assez de lumière. C’est lui l’Empereur. Tu ne seras au mieux que son épouse.

— Possible.

— Damoiselles, nous invite la Duchesse, si vous pouviez faire un dernier passage toutes ensembles.

Nous revenons sur scène, dans l’ordre d’apparition. Valériane, malgré son décolleté fait bien fade car il ne peut être apprécié que des premiers spectateurs. Viviane est applaudie. J’ignore si les gens comptent le nombre de courtisanes pour juger. Chacune a le droit a des applaudissements. Mais quand vient mon tour, ce sont carrément des sifflets à m’en faire rougir. Malika a le droit aux mêmes. Je croise son regard et elle me sourit. De sa part, il n’y a jamais eu d’animosité. Elle s’approche de mon oreille au moment où je dévisage l’assistance, puis elle chuchote :

— Je crois que ça va se jouer entre nous deux.

Dans l’ordre d’arrivée, nous retournons vers nos chambres. Les premières de mes rivales saluant la foule, je fais de même, me penche pour effleurer des mains du bout des doigts. Une femme en larmes m’agrippe le poignet :

— Vous êtes la plus belle et la plus courageuse ! Vous êtes faite pour nous !

— Merci.

Je caresse sa main pour qu’elle me lâche et elle s’évanouie. Petit à petit, nous regagnons l’intérieur du palais. Siloë qui s’est éclipsée avant tous pour m’accueillir, surexcitée, sautille dans ma direction.

— Alors ? Alors ? Tu le sens comment.

— Alors, elle a gagné, répond Valériane avec un timbre de déception.

— Les votes n’ont pas encore eu lieu, lui dit Siloë.

— Et j’ai une concurrente de taille, dis-je en désignant Malika.

— Si j’avais su qu’il fallait se balader le ventre à l’air pour qu’on scande mon nom, ajoute Vivianne. Mais, la partie n’est pas encore finie. On se revoit au dîner.

Sur ses paroles, nous nous séparons, et j’embrasse Siloë qui a eu une idée d’enfer avec cette robe.

Le soir rafraichit un peu, mais je n’ai pas trop le choix que de porter cette robe pour le dîner avec le haut gratin du Duché. Cela me fait bizarre de frayer quasiment nue au milieu de cette foule. Sigurd en tant que chef de village en fait partie et il a choisi de se faire accompagner de Jeannine. Cendre, fille de comtesse est présente avec Thomas, et cela me fait plaisir de les revoir.

— Cette robe est une œuvre de génie, enfin ces robes.

— C’est une idée de Siloë, rougit Thomas.

— Je pense qu’elle a su marquer les esprits.

— Je la trouve plus élégante que Malika, commente Sigurd. Elle, quand on voit… On a envie de lui arracher sauvagement !

Sa fille rit, et moi je suis le regard du barbu jusque sur la croupe de la Black, que le pagne trop étroit dévoile en partie. Quelques regards d’hommes s’y perdent, et je croise d’autres plus discrets qui essaient de deviner mes formes à travers le feuillage

— Bon ! Et vos pronostics ?

— Tu vas gagner, sourit Sigurd.

Je m’approche d’un visage qui me fait signe. Je ne me souviens plus qui c’est, mais il est temps de faire le tour de tout le monde. Les en-cas abondent, le vin coulent à flôts, et je joue à la princesse modèle.

La soirée me paraît longue. Alors que j’arrive à m’enfuir des griffes d’un vieux couple qui me parle de ses ennuis de domestiques, je me retrouve à côté de Malika qui semble aussi fatiguée que moi. Je la charrie :

— Alors, belle cavalière des Planes-Plaines, fatiguée ?

— Oui. La journée a été riche en émotions. Regarde Valériane, elle aura des voix. Y a ses fidèles partisans autour d’elle.

— Des mâles célibataires. Elle n’aura aucun mal à se faire entretenir après son échec.

Malika esquisse un sourire amusé puis propose :

— Peut-être serait-ce plus agréable d’aller boire un verre entre gagnantes, loin de ces gens ?

Je sens comme une anguille dans sa proposition, mais désireuse de filer d’ici avant que minuit soit passé, j’accepte.

— On va où ?

Malika hausse les épaules après avoir empoigné une carafe de vin.

— Aux jardins ?

Je garde mon verre avec moi et approuve d’un regard. Au moins, le vin vient d’ici, il ne sera pas empoisonné. D’un simple regard, nous ordonnons à nos courtisanes de nous suivre. Siloë ne me voit pas partir, occupée à faire mon éloge à un groupe de passionnés. Malika et moi frissonnons sur le même tempo en passant dans le long couloir.

— Peut-être devrions-nous oublier les jardins ? suggère-t-elle.

— J’approuve.

— Je vais juste enfiler une fourrure.

Sa courtisane ouvre son appartement. Des coffres de bijoux et de vêtements débordent, ça hume la transpiration. Elle me propose :

— Tu veux qu’on boive ici ?

— Je préfère un endroit neutre.

— Tous les salons sont pris.

Je pousse la porte des bains. Il n’y a aucune sentinelle, toutes occupées à la fête. Pas besoin de se foutre à poil ni de se faire fouiller les cheveux. Je fais signe à ma rivale de me précéder pour m’assurer que ni elle ni une de ses servantes ne se saisisse d’un couteau.

Nous nous installons sur les transats. Pour briser un peu le silence, je lui confie :

— Je t’envie tes abdos.

— Mes ?

— Ton ventre musclé.

— Merci.

Elle remplit mon verre, puis le sien avant de reposer la carafe. Elle soupire en s’adossant :

— Diantre ! Que je suis mieux au calme !

— Egalement.

Elle ferme les yeux, savoure son vin, alors je lui demande :

— Tu voulais me parler de quelque chose ?

— Non. Je… Je voulais fuir et puis ta compagnie me semblait la meilleure.

— Pourquoi pas une autre fille ?

— Les autres ont presque perdu, leur discussion serait presqu’aussi intéressée que celle de n’importe qui entre ces murs. Toi, que tu aies le sentiment de gagner ou de perdre, je sais qu’il n’y a pas de faux-semblants.

— C’est toi ou moi, alors ?

— Tu as un doute ?

— Je ne pars jamais avec une certitude. Les certitudes peuvent être blessantes.

— C’est vrai.

Elle vide son verre et s’en resserre un. Donc, à moins qu’elle n’ait avalé en anticipation un contrepoison, il n’est pas piégé.

— Tu ne bois pas ?

— J’attendais d’être sûre que tu ne voulais pas m’empoisonner.

Elle éclate de rire.

— C’est du vin de la grande salle.

— Je sais, je sais. La vie d’aspirante m’a appris à être plus méfiante que nécessaire.

— Moi, j’ai été éduquée dans ce monde. — Elle regarde ses courtisanes. — Laissez-nous.

Alors que les fillettes s’éloignent, j’accorde d’un regard la liberté aux miennes. Je lève ma coupe :

— À la victoire de l’une de nous.

— Si je gagne, je te devrai en partie la victoire. J’ai entendu parler de toi d’une ancienne aspirante qui t’a fréquentée chez Dame Irène. Tu as porté une robe très courte et c’est cette idée qui m’a inspirée cette tenue minimale.

— Je suis surprise que nous n’ayions pas été plus nombreuses à nous présenter. Je pensais que nous serions une trentaine. Je n’ai revu aucune fille que j’ai pu croiser chez Dame Irène.

— Elles n’ont peut-être pas su obtenir assez de soutien. Ton nom a recouvert le duché de son ombre.

— Mon nom ?

— La pourfendeuse de dragon. Qui pourrait rivaliser avec une fille qui tue un dragon à la hache ? Regarde celles qui restent face à toi, juste des filles comme moi, issues de lignées déjà réputées. Les filles de villages modestes ont été évincées par ta réputation.

— Je l’ignorais.

— Tu as le soutien presqu’entier du comté des Verts-Bois, de la baronnie des Falaises Rouges, tu as séduit tous les villages influents du comté des Collines Ventées. Un peu comme le Duché des Eternels Brûlants. La féérie qui entoure la légende de Pauline Du Désert a écrasée presque toute concurrence. Elles ne sont que quatre, je crois. Dans le Duché Fort-Littoral, il y a plus de vingt rivales. Le Duché des Hauts-Ligneux, il y a presqu’une fille par village, ça va être tendu ! Ils sont obligés de faire une élection supplémentaire.

— Et le Duché Noir ?

— Il n’y a qu’une aspirante. On dit que c’est une sorcière, personne ne votera pour elle.

Je tends ma coupe de vin pour qu’elle me la remplisse. En se penchant, elle me confie :

— Si je perds le Duché, je veux que tu gagnes l’Empire. Si je gagne, je te veux à mes côtés.

Je lève les yeux vers les siens et nous restons silencieuses. Je comprends qu’elle veut un pacte d’influence.

— Pourquoi soutiendrais-je une aspirante qui serait d’un autre Duché ? Je suis là pour que Cœur-Empire en profite.

— Je sais que tu es amie avec Pauline Du Désert.

— C’est juste une fille de mon village.

— Que deviendras-tu, si je gagne ? Tu retourneras là-bas ?

Je secoue la tête.

— Je ne suis pas faite pour vivre là-bas.

— Moi pareil. Si je gagne, je te prends avec mes partisans. Tu pourras commander ma garde personnelle et être à la fois ma conseillère vestimentaire. Tu as meilleur goût.

Je la regarde droit dans les yeux et lui dis :

— D’accord. Et si je gagne, je te prends comme conseillère politique, car tu as de meilleures connaissances.

Elle fait passer nos bras l’un derrière l’autre, et nous scellons ce pacte en buvant nos coupes.

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