Prologue ~ Andrew 

11 minutes de lecture

20 Juin 2006.

Nous sommes tous les deux allongés, nus et recouverts de sueur, dans le lit de Luka totalement défait par nos ébats. Alors qu'il est installé contre moi, sa tête sur mon buste, je joue avec ses cheveux que j'aime tant tout en réfléchissant à comment lui annoncer ma décision. Je sais qu'elle risque de ne pas plaire à tout le monde, en particulier à mes parents, mais j'en ai besoin. Autant pour moi, que pour Luka, que pour nous. Je ferme les yeux tout en continuant de tripoter sa belle tignasse brune, sur de moi, je prends une grande inspiration avant de les rouvrir et de me lancer.

— J'ai décidé d'en parler à mes parents, de leur avouer mon homosexualité, leur dire que je suis fou amoureux du mec avec qui je sors, dis-je d'un coup à Luka.

— Tu es complètement malade ! s'écrit-il en se levant sur le coude pour me faire face. Je te rappelle que tes parents sont catholiques et pratiquants. Tu vas leur balancer une bombe en pleine figure ! Tu ne t’en rends pas compte, c’est un péché ! Ils vont te renier ! Pour eux, tu vas aller directement en enfer !

— Je sais... je sais tout ça, je lui rétorque en soupirant. Mais Luka je n'en peux plus que l’on se cache, je ne supporte plus de te cacher. Nous avons le droit de vivre notre amour en toute liberté. Je ne veux plus être cette image que je donne à mes parents. Je veux être moi, Alexandre. Celui qui est amoureux de toi. Notre histoire est belle, nous n’avons pas à nous cacher. Je sais que nous sommes encore jeunes, que nous avons la vie devant nous. Pour moi, aujourd’hui, tu es l'amour de ma vie et tu es ma priorité. Je rêve de te donner la main dans la rue ou quand on traîne avec nos potes dans le quartier. Je veux pouvoir te serrer contre moi quand nous sommes à des repas avec nos parents. J’en ai marre de manger tous les vendredis chez Roberto derrière une pancarte de menu qui nous sert de paravent ! J’en ai marre d’avoir la peur au ventre que l’on nous surprenne, alors qu’on ne fait rien de mal !
— Je t'aime aussi Alex, souffle-t-il, en se penchant pour m'embrasser, avant de se mettre debout me surplombant de sa hauteur et de continuer. Je suis d’accord avec toi. Ça serait génial de vivre comme tout le monde. Vraiment. Mais je ne veux pas que tu aies des problèmes avec tes parents. Alex, s’il t'arrivait malheur, ce serait…

En se tenant la tête, Luka fait les cent pas devant moi en s'écriant :

— Ce serait terrible ! Tu ne te rends pas compte, Alex ! Ce serait terrible ! Terrible !

Assis sur le lit, je l’observe gesticuler dans tous les sens secouer la tête de droite à gauche, comme s’il tout ce qu’il voulait, c’était de chasser de son esprit cette vision trop intense. Trop insupportable. Trop atroce. Comme si son seul désir était de les effacer...

— Non ! Non, je ne le supporterais pas, reprend-il d'une voix enrouée.

Je sais qu'il a raison, mais pourtant, je ne peux pas, je ne veux pas revenir sur ma décision. Je suis prêt... Je suis prêt à assumer mon homosexualité devant le monde entier. Je ne veux plus être qu’une moitié de moi-même. Je veux enfin me sentir légitime d'être avec celui que j'aime, celui avec qui je veux partager ma vie. Non ! Non, je ne reculerai pas. Il faut que tout ceci cesse. Cette étape est essentielle, j’en suis convaincu… Elle est cruciale pour moi, pour ma vie, pour mon bonheur, pour mon épanouissement. Je me lève d’un coup sec avec conviction et rage. Cette rage qui me ronge à petit feu. Qui me consume...

— Qu'est-ce que tu fais ? me demande-t-il, surpris.

— Je vais voir mes parents. Cela ne peut plus durer, c’est fini. Ma décision est prise, Luka, je ne changerai pas d'avis, dis-je de façon catégorique. Je suis sûr de moi.

— Non ! Ne fait pas ça, s'il te plaît, ne leur dis pas. Je ne veux pas te perdre, répond Luka, les larmes aux yeux, tout en se rapprochant de moi. Je t’en supplie, écoute-moi.

Je le prends dans mes bras et embrasse son front, ses yeux, ses joues, sa mâchoire et fini par ses belles et douces lèvres, avec tendresse pour le rassurer. Mais rien de ce qu’il pourrait me dire ou faire, ne me fera changer d’avis.

Bon sang, comme je t'aime... C'est pour toi, pour moi, pour nous que je le fais. Notre histoire est belle et pure. Je ne peux plus vivre dans le secret. J'ai besoin de soulager cet énorme poids sur mes épaules.

Tout doucement, je lui prends ses mains et les pose sur mon cœur en union avec les miennes.

— Sent les battements de mon cœur. Notre amour n’est pas en danger. Il ne le sera jamais. Tu ne me perdras pas, je t’en fais la promesse, je t'aime trop pour ça. Mais aujourd’hui, c’est le début de notre liberté ! Quoiqu’il se passe avec mes parents, il n’y aura pas de fin entre toi et moi, crois-moi.

Je me retourne pour récupérer mon t-shirt afin de finir de m'habiller et quand je pivote en direction de Luka, je le vois en faire de même les doigts tremblants. Une fois habillés, nous quittons sa chambre main dans la main. Silencieux, tous deux conscients de ce cauchemar que nous sommes sur le point de vivre. Nous sortons de chez lui, et traversons la route pour entrer chez moi, prêt pour la confrontation.

Nos maisons se ressemblent. Nous vivons dans un quartier résidentiel en forme de "U", avec deux arbres devant chaque maison juste avant un tout petit bout de gazon. Toutes les maisons sont identiques vu de l'extérieur mais souvent aussi de l'intérieur... Ce qui est le cas pour la maison de Luka et la mienne. Tout le monde appelle notre quartier, le village des Stroumpfs, du fait qu'elles soient toutes jaune et bleu et qu'elles se ressemblent toutes.

Lorsque nous entrons chez moi, nous nous tenons toujours la main, nous avançons pour arriver dans le salon où mes parents sont assis sur le canapé en train de regarder un film à la télévision. Luka me lâche la main subitement en les voyant et s'arrête comme tétanisé, alors que moi, d'un pas décidé, je me positionne entre eux et la télé en leur faisant face. Je prends la plus grande inspiration de ma vie, pour me donner tout le courage dont j'ai besoin et me lance :

— Papa, maman, j'ai quelque chose à vous dire.

— Que se passe-t-il, Alexandre ? dit mon père en fronçant les sourcils.

— Je suis très amoureux…

— Mais c'est génial, mon chéri, comment s'appelle-t-elle, comment est-elle, elle est dans ton lycée ? me coupe ma mère avant que je puisse terminer ma phrase. Dis-nous tout voyons !
— Pas elle... je murmure en baissant les yeux avant de les relever rapidement.

— Comment ? Je n'ai pas compris ce que tu nous dis. Parle plus fort, chéri !

Je déglutis et lance un bref regard à Luka avant de reprendre.

— Pas elle, je répète plus sereinement et fort avant de continuer. Ce n’est pas d'une fille que je suis amoureux, mais d'un garçon. Il est là avec moi, c'est... c'est Luka, leur dis-je, toujours en lançant un petit coup d'œil à mon homme en lui faisant un rapide sourire qu'il me rend. J-je suis gay ! je leur déclare en les regardant dans les yeux, tout en tremblant.

— Non ! Non, non, non, ce n'est pas possible, tu ne peux pas être comme ça. Mon chéri, dis-nous que tu nous fais une mauvaise blague, que ce n'est pas vrai ! s'écrit ma mère bouleversée, alors que mon père s'est fermé comme une huître et ne réagit pas.

— Je ne me moque pas de vous... C'est la stricte vérité. Je sais que pour vous c'est impensable, mais je vous jure que je ne cherche pas à vous nuire ou quoi que ce soit d'autre. Je crois que j'ai toujours été attiré par les garçons, mais le seul avec lequel je souhaite vivre pleinement ma vie c'est avec Luka.

Etourdit par ce monologue que j'ai fait à une vitesse folle pour ne pas que l'un de mes parents me coupe dans mon élan. Je remarque que ma mère pleure silencieusement et que mon père n'a toujours pas bougé d'un poil.

— Non !! C'est... C'est absolument contre-nature. Tu es malade, il faut te faire soigner ! me dit-elle en hurlant.

— Je ne suis pas malade, maman, je réplique en soupirant.

D'un coup, mon père se lève, son visage toujours autant fermé. Fonce vers Luka. Luka, voyant mon père se diriger vers lui, recule d’un pas tout tremblant. Il est vrai que mon père est impressionnant avec son mètre quatre-vingt-quinze. Il lui agrippe le bras, et se met à lui crier dessus.

— Qu'as-tu fait à mon fils ? Espèce de démon, tu es une abomination !

— J-je..., bégaye-t-il, totalement apeuré.

Je m'avance vers eux afin de venir en aide à Luka.

— Laisse-le tranquille, papa ! Si tu dois t'en prendre à quelqu'un c'est à moi, pas à lui ! je m'écris en poussant mon père pour qu'il le lâche.

Furieux, il se tourne vers moi, puis regarde ma mère d'un regard noir.

— Je t'avais bien dit qu'il traînait beaucoup trop avec ce garçon. Va faire les valises, nous partons ce soir, lui ordonne-t-il en grognant de rage.

Elle hoche vivement la tête et part faire ce qu'il lui a ordonné, en sanglotant de plus belle.

— Quoi ? Mais, non papa ! Tu ne peux pas faire ça, je rétorque, totalement surpris de l'ampleur que ça prend.

— Tu. N'as. Pas. Ton. Mot. À. Dire, rage-t-il, les dents serrées avec un regard de tueur, avant de me gifler.

A côté de moi, j'entends Luka hoqueter de surprise et d'inquiétude, je le regarde autant étonné que lui, en mettant une main sur ma joue meurtrie. Mon père se tourne vers lui.

— Toi, grogne-t-il hargneusement en le pointant du doigt. Sors de chez moi ! Hors de ma vue, Satan !

Mon père hurle. Saisie le crucifix qui se trouve sur le buffet. Le brandit devant lui. Et se met à prier. Luka est abasourdi, il me regarde avec des yeux grands ouverts. Il est comme pétrifié, momifié.

— Vas-y… Part, Luka.

Il sursaute. Ses yeux se remplissent de larmes, il fait demi-tour, ouvre la porte et s'enfuit en courant. La porte claque, mon cœur se serre. Je ne peux plus respirer.

Qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai peur… Peur de l’avoir perdu. Qu’est-ce que j’ai fait ? Il m’avait pourtant prévenu. Je l’ai perdu… J’ai perdu l’amour de ma vie, mon âme-sœur, mon double, ma joie de vivre. Mais qu’est-ce que j’ai fait ? Je ne l’ai pas écouté.

Je sens un énorme vide en moi. Mon corps se met à trembler involontairement. J’ai froid. J’entends les prières de mon père au loin, mes oreilles se bouchent. J’ai envie de vomir… brusquement c’est le trou noir.

***

Après une seconde ou peut-être plus, je me retrouve assis sur une chaise. Je n’ai plus de force. Mes bras sont lourds… Mais que s’est-il passé ? Je regarde mon père gesticuler devant moi. Il hurle que je suis malade. Que je dois me faire soigner. Que je suis possédé par le diable. Il fait des signes de croix avec sa main :

— Mal, d’où que tu viennes, qui que tu sois, je t'ordonne, au nom de celui devant tout, plie le genoux. Au ciel, sur la terre et jusqu’aux enfers, de quitter mon fils Alexandre qui est une créature de Dieu. Va-t’en ! Je te chasse, retourne d’où tu viens, et emporte avec toi le mal que tu as fait. Par ma bouche, Dieu l’ordonne. Qu’il en soit ainsi !

Mon père s’agenouille devant moi, me prend les mains, et avec douceur, me dit qu’il peut m’aider. Il me parle de ce centre de thérapie de conversion qui selon lui, peut m'aider à aller mieux, à guérir. Je ne veux pas y aller, je connais ce genre d’endroit, je sais ce qui s'y passe. Mon cerveau tourne à mille à l'heure, je reprends mes esprits, j’essaie de l'apaiser au mieux. Je pleure avec mon père, je lui promets d’effacer mes pulsions sexuelles maléfiques.

Je dois à tout prix le faire changer d’avis, le rassurer. Je ne peux pas aller dans ce centre. Je ne peux pas quitter Luka.

Mon père continue à me parler. Il m’explique que Luka et sa famille sont des disciples et complices du diable.

— Alexandre, ces gens sont le mal incarné. Ta mère et moi, nous t’aimons. Nous nous devons de te protéger. S’il faut aller porter plainte auprès de la police et les traîner en justice, nous n’hésiterons pas. On ne peut pas les laisser continuer à avoir cette emprise sur toi.

— Non. Non, ne faites pas ça. Si vous voulez on part, on quitte la ville. Tu es d’accord ?

Après un moment de réflexion, mon père acquiesce de quitter Millau. Une fois les bagages terminés par ma mère, elle les range dans le coffre de la voiture, sans aucun regard pour moi. C’est avec contre-cœur que je monte dans le véhicule. Je suis anéanti.

J’entends le moteur et je m'aperçois que la voiture roule quand subitement des cris jaillissent à l'extérieur.

— Non !! Non, je ne veux pas ! Je ne veux pas que tu partes, Alex ! S’il te plait, ne me quitte pas. Tu me l’avais promis ! ALEEEEX...

A chacun de ses mots, je reçois un coup de poignard dans mon cœur. Il court… Il court tout en hurlant. Mon cœur saigne, mais je ne dois pas pleurer, je l’ai promis à mon père pour sauver Luka et ses parents de la justice. Je ferme les yeux et ancre à jamais dans ma mémoire le visage de l'amour de ma vie... Je l'entends hurler qu'il m'aime et qu'il ne m'oubliera jamais. Je le vois s'arrêter, très vite rattrapé par ses parents qui le prennent dans leurs bras pour le réconforter, avant qu'il ne s'effondre au sol, en pleurs, criant aussi fort qu'il le peut, sa tristesse et sa colère.

Moi aussi je t'aime, mon amour. Notre histoire n’est pas terminée, je reviendrai. Je te le promets !

Je ne les lâche pas du regard jusqu'à ce que la voiture tourne pour quitter le quartier et qu’il disparaisse de mon champ de vision. Je me retourne afin de m'asseoir correctement, je cale ma tête contre la vitre, et regarde sans réellement prêter attention au paysage défiler.

Annotations

Vous aimez lire Lola MAOB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0