Chapitre 1 ~ Luka
08 Juin 2020…
La pluie tombe à grosse goutte en ce jour funeste. Trempé jusqu'aux os, je regarde, impuissant, le cercueil en bois d'acajou dans sa teinte naturelle avec une finition brillante, finement décoré de feuilles d'or sur la bordure ainsi que deux poignets dorés à chaque côté. Malgré le fait que je fasse partie de la famille proche, je reste tout de même loin du groupe de personnes venues lui dire un dernier au revoir. Je me sens aimanté par ce cercueil, comme hypnotisé. Soudain, ma belle-sœur se place entre lui et moi.
— Toutes mes condoléances Luka chéri. Mais que dire plus... déclare tristement Marie-Anne en me prenant dans ses bras.
— Merci, Marie, à toi aussi, je lui réponds en la serrant plus fort contre moi. Oui... Que dire de plus, à part que ta sœur va terriblement me manquer, je souffle à son oreille.
— Oh, Luka... Elle t'aimait... Tu sais qu'elle t'a toujours aimé, même lorsque nous étions ados. Mais son combat contre la maladie était perdu d'avance, me dit-elle en sanglotant tout en essuyant une larme solitaire qui coule le long de ma joue râpeuse.
Elle me prend par le bras, nous protégeant par la même occasion du mauvais temps avec son grand parapluie transparent, afin de me guider à travers la foule pour nous positionner devant cette boîte dans laquelle se trouve le corps de la personne la plus importante de ma vie. Nous nous retrouvons à côté de Marc, le grand frère de Marie-Anne à pleurer la mort de leur sœur et de mon épouse.
De ma défunte femme…
Nos regards, brillants, se croisent avant que Marc me prenne dans ses bras. Il pleure en silence pendant notre rapide étreinte avant de me lâcher, de se raidir et de faire face à ce paletot en bois. Nous nous donnons tous les trois la main et fixons une dernière fois le cercueil où repose la personne qui nous est si chère, pendant que les gouttes de pluie cognent contre le toit de sa toute nouvelle demeure…
Le maître de cérémonie, se racle la gorge avant de commencer son discours :
— Nous sommes ici pour dire un dernier au revoir à notre bien-aimée. Chère Maryline, ta famille, tes amis, tes collègues, tous ceux qui t'ont connu et t'apprécient sont ici avec moi, pour te dire un dernier adieu, pour te rendre un dernier hommage. Tu t'es battue pendant des années contre le cancer, malheureusement, c'est lui qui a remporté la bataille. Tu pars avant nous, bien trop tôt. Tes qualités et ta mémoire resteront à jamais gravées dans nos cœurs. Tu laisses un immense vide derrière toi. Repose en paix, là où la souffrance n’est plus.
Après quelques minutes de silence, il reprend :
— Je vais à présent laisser la parole à son époux qui souhaite lui dire quelques mots.
— Merci..., je murmure faiblement, avant de prendre une grande inspiration pour me donner du courage.
Je serre les mains de Marie-Anne et Marc avant de les lâcher. Je me rapproche du cercueil, j’y pose une main afin de maintenir le lien, de l’autre, je sors de la poche de ma veste une feuille de papier sur laquelle j'y ai griffonné les quelques lignes que je m'apprête à prononcer.
— Ma Line… Ma belle et douce Maryline, tu as été et tu seras la seule femme que j'ai aimée de toute ma vie, la seule que j'aimerai éternellement, dis-je d'une voix brisée par mes sanglots. Je ne peux pas imaginer ma vie sans toi, tu vas... tu vas cruellement me manquer. Tu n'étais pas seulement ma femme, tu étais aussi ma meilleure amie, ma confidente, tu connaissais tous de moi, comme je connais tous de toi. J'espère de tout cœur, que là où tu es maintenant, tu ne ressens plus aucune douleur et surtout en paix. Je t'aime tellement.
Ma voix se casse, je ne peux plus rien dire, je m'effondre et pleure à chaudes larmes. Marie-Anne vient me prendre dans ses bras et murmurer des mots apaisants à l'oreille, pour m'apporter un peu de réconfort.
Tout doucement, les porteurs font descendre le cercueil et scellent le tombeau, Nous regardons, impuissants le déroulé tout en écoutant les paroles de la chanson préférée de ma défunte épouse « Si t'étais là » interprétée par Louane.
Part, mon ange, repose toi bien. Ne t'inquiète pas pour moi. Tu as le droit au repos… Écoute ta chanson. Tu l’aimes tant. C'était ta dernière volontée, et moi, je te l’ai promis. Écoute…
« Parfois je pense à toi dans les voitures
Le pire, c'est les voyages, c'est d'aventure
Une chanson fait revivre un souvenir
Les questions sans réponse, ça c'est le pire. »
Une fois le marbre scellé, et l'installation des couronnes mortuaires en cours, les personnes venues pour son enterrement partent petit à petit. Moi... je suis toujours là, malgré la pluie battante, à regarder cette pierre tombale, décorée de magnifiques fleurs aux couleurs vives et belles comme l'était sa vie. J'écoute cette chanson, et me souviens de tout ce que nous avons partagé ensemble.
« Je m'en fous si on a peur que je tienne pas le coup
Je sais que t'es là pas loin, même si c'est fou
Les fous c'est fait pour faire fondre les armures
Pour faire pleurer les gens dans les voitures »
Je m'avance vers la sépulture et m'accroupis afin de toucher cette pierre blanche marbrée de rose très pâle.
— Comment vais-je faire sans toi ? je lui murmure en pleurant. Je suis perdu sans toi, je...
— Luka... m'interrompt ma belle-sœur. Viens, tu es déjà trempé. Rappelle-toi, Maryline ne voulait pas que tu sois malheureux, surtout le jour de son enterrement. Rappelle-toi, tu lui as promis, me dit-elle en m'abritant à nouveau de son parapluie.
— Oui... Oui, tu as raison, je le lui ai promis.
Et tout doucement je me laisse guider par Marie-Anne après un dernier regard à ma bien-aimée.
***
02 Mars 2021…
Cela fait bientôt un an que Maryline est partie, et je n’arrive toujours pas à faire le deuil de sa disparition. Elle me manque tant. Depuis, je ne cesse d’oublier son absence par un acharnement dans mon travail. Mais aujourd’hui, la fatigue me gagne, je suis épuisé. Perdu dans mes pensées, je saisis pour la quatrième ou cinquième fois ma tasse qui était posée sur le plan de travail, afin de la remplir de café. Ce breuvage si utile, qui me permet de rester éveillé et de tenir. Je me dirige vers la chambre d'amis. Cette chambre est chargée de souvenirs. L’époque de mon adolescence où je vivais avec mes parents et qu’ils occupaient, est révolue… A ce jour, elle me sert essentiellement de bureau. Par ce temps maussade, et désireux de prendre une pause dans mon travail du jour, je me pose devant la fenêtre et bois une gorgée de ma boisson chaude, afin de me réchauffer un peu. En levant les yeux de mon mug, je remarque à ce moment-là, un camion de déménagement garé devant la maison d'en face.
Cela fait quinze ans qu’elle est inoccupée, depuis le départ précipité des parents d’Alexandre. Cette journée fatidique est gravée dans ma mémoire, je ne l’oublierais jamais. En y repensant, une immense douleur me frappe en plein cœur. Brusquement, une colère noire me saisit. Cela fait quinze ans, mais elle est toujours aussi poignante. C’est ce jour-là qu’Alexandre est parti définitivement de ma vie. Il m’avait pourtant promis que je ne le perdrais jamais… Quand j'y repense, j'étais fou amoureux de lui, heureux dans ses bras, et son départ précipité m'a brisé le cœur…
L'un des pires jours de ma vie !
Je finis mon café, et secoue la tête pour effacer ces vieux souvenirs douloureux et commence à me retourner pour me réinstaller à mon bureau afin de travailler encore un peu. Lorsque j'aperçois un homme d'environ le même âge que moi, dans la trentaine, sortir de la maison et se diriger vers le camion. Cet homme est plutôt grand, il a les cheveux bruns presque noirs avec une barbe de quelques jours. Il est habillé, de ce que je peux apercevoir, d'un jean noir et d'un sweat-shirt à capuche uni de couleur grise. Je le regarde avec insistance, comme hypnotisé par lui, prendre un carton dans le camion et le ramener dans la maison. Deux autres hommes, venus l'aider je suppose, passent à ce moment-là la porte d'entrée. Je les vois rire ensemble, prendre à leur tour des cartons et retourner à l'intérieur.
Bizarrement, cet individu me rappelle Alexandre, par les traits de son visage, même vieillis de plusieurs années. Je ressens des picotements, ma gorge se serre, je n’arrive plus à respirer… Non, ce n’est pas possible, ça ne peut pas être lui. Je secoue à nouveau la tête, pour m’enlerver cette folle idée.
Toujours devant la fenêtre, je regarde avec insistance les trois hommes sortir les cartons du camion, jusqu'à ce que je voie la Ford Fiesta rouge de ma belle-sœur se garer devant chez moi. Je souris de la voir se diriger vers les nouveaux occupants. Marie-Anne a toujours été de nature sociable et surtout très curieuse. Une vraie tornade, cette Marie-Anne... Elle n’a pas changé, je me souviens elle l’était déjà, quand nous étions au collége avec Maryline, ma défunte femme. Il faut dire que nous formions une drôle bande de zouaves. Marie-Anne et Maryline étaient les jumelles les plus rigolotes, leur frère Marc était le plus perché, Alexandre le plus atypique et moi, le plus réservé. Nous étions une bande de copains très unis. Nous passions la plupart de notre temps libre ensemble, à faire les quatre cents coups et à vivre notre jeunesse à fond dans l’insouciance.
Je m'éloigne de la fenêtre afin d'empêcher les souvenirs de refaire surface. Je me dirige à la cuisine préparer le thé à la menthe de Marie-Anne.
Dix minutes plus tard, elle entre comme une furie.
— Tu ne devineras jamais qui je viens de parler ! s’écrit-elle.
— Bonjour à toi aussi Marie, je rétorque en soupirant. Tu es bien excitée, on dirait une puce qui saute de partout.
— Oui, oui, bonjour. Bon alors, tu ne devines pas ? me demande-t-elle.
— Comment le pourrais-je ? rétorqué-je d'un air abattu.
— Hum... dit-elle en mettant son index sur sa bouche en levant les yeux au ciel, comme si elle réfléchissait. Pourtant, il me semble bien t'avoir vu observer l'extérieur devant ta fenêtre tout à l'heure en me garant devant.
Je fronce les sourcils, inquiet de la réponse qu'elle va me donner.
Pitié, faite que ce ne soit pas lui. Faite que ce ne soit pas Alexandre. Non ! Tout, mais pas lui ! Pas mon Alex ! Non ! Ce n'est plus le mien… Il a perdu le droit de l'être depuis sa trahison, il y a quinze ans !
— Il s'agit de notre vieil ami…
Mes jambes ne me tiennent plus. Je sais ce qu’elle va me dire. Je ne veux pas qu’elle me le dise… Je m'assois sur l'une des chaises la plus proche de la salle à manger, pour ne pas tomber. J’attends… Et j’attends… J’attends la suite avec angoisse. (Elle et sa sœur m'ont ramassé à la petite cuillère quand il est parti. Après son départ, je suis resté si longtemps dans ma chambre, à déprimer, je n'allais même plus en cours et mes parents ne savaient plus quoi faire pour me remonter le moral. Heureusement, qu'ils étaient présents ainsi que mes amis, parce que je ne sais pas ce que je serais devenu sans eux. Et je sais parfaitement qu'elle connaît la situation, que je l'ai toujours aimée, même si j'ai aimé, et je l'aime encore aujourd'hui, sa sœur. Maryline était et sera toujours la femme de ma vie. Mais Alex, lui, était l'homme de ma vie.)
— Alexandre Durant ! s'écrit-elle en sautant partout devant moi.
— Super... je marmonne en soupirant.
— Tu ne l'as pas reconnu, c'est ça ? me demande-t-elle en reprenant son sérieux et en s'agenouillant à côté de moi.
— Non. Enfin, si... Disons qu'il me disait vaguement quelque chose, mais j'espérais que ce ne soit pas lui, je lui réponds en me prenant la tête dans les mains.
— Luka chéri, je sais qu’il t’a brisé le cœur. Nous étions là, Marc, Maryline et moi. Je me souviens très de ces mois de déprime… Mais cela fait quinze ans, il y a prescription, tu ne penses pas ? Il faut laisser le passé au passé… Essaie de renouer avec lui et qui sait, peut-être que tu obtiendras des réponses.
Mon cœur bat la chamade, Alexandre vit à nouveau dans la maison en face de chez moi. C’est une réalité. J’ai du mal à respirer, mes pensées tourbillonnent dans ma tête. Je sais qu'une rencontre entre nous est imminente. Je suis bouleversé !
— Je ne sais pas, j'ai tellement souffert de son départ… De sa trahison. Je ne me sens pas le courage de lui parler. J’ai trop mal, je ne peux pas… Non, je ne peux pas. Et puis, je suis toujours en deuil…
— Oui, je comprends… Je sais que c’est un sujet sensible, mais je pense qu’il est important de discuter de tout cela. J'espère de tout coeur que nous pourrons le faire un de ces jours quand tu sera prêt. Sache Luka quand même, Alexandre, c’est Alexandre et Maryline, c’est Maryline… Réfléchis-y, tu veux bien ? Bon, alors, comme nous sommes samedi, qu'as-tu prévu aujourd'hui ? me demande-t-elle après quelques secondes silencieuses.
— Pas grand-chose, il faut que je termine un projet pour un client sur lequel je bosse.
— Non, ne me dis pas que tu vas bosser un jour de week-end ?
— Marie, je suis à mon compte si je veux faire prospérer mon affaire, je dois bosser !
— Bon, ok ! Mais tu vas en avoir pour combien de temps ? Parce que je nous ai programmé un petit quelque chose pour ce soir.
Je fronce les sourcils, en me demandant ce qu'elle a encore prévu. Voyant que je ne réagis pas, elle poursuit.
— Donc, je t’explique, j'ai une amie auteure qui dédicace son premier roman dans une nouvelle librairie. Doooonc, elle m'a proposé de venir avec un ami à son vernissage…
— Je vois ! Du coup, tu as pensé à moi. Ton beau-frère, ami de toujours qui est seul chez lui tous les jours ! je rétorque en lui coupant la parole.
— Euuuh non ! Je voulais dire : doooonc, étant donné que tu es un passionné de lecture, vu la superbe bibliothèque que tu as ici, je te propose de m'accompagner. Mais ton idée n'est pas mauvaise non plus. Cela fait un an que tu es seul. Ta vie se résume à dodo, boulot, dodo, boulot…
Que dire de plus à ça ? Elle a entièrement raison sur toute la ligne alors je soupire et abdique. Encore une fois...
Annotations