CHAPITRE1
05 JUILLET 2042
CLARISSE

Il faisait jour depuis longtemps, car le soleil était déjà haut dans le ciel, tout le monde œuvrait à ses occupations, tout le monde... sauf moi. J'étais dans mon lit, en train de rêvasser, les yeux grands ouverts, rivés sur le plafond. Je ne pensais à rien. Je ne bougeais pas. Aucun mouvement ne trahissait une quelconque présence dans ma chambre. On aurait pu croire que le temps s’était arrêté, si l’horloge accrochée sur l’un des murs n’emplissait pas la pièce de son habituel tic-tac.

Une mouche vint se poser sur mon nez. Ma main fendit l’air pour venir l’écraser. La mouche s’envola.

Alors je m’assis sur le côté de mon lit. Je n’allais pas laisser la mouche s’en sortir alors que celle-ci venait de gâcher ce moment de paix.

Je me baissai pour attraper l’une de mes pantoufles. Celle-ci atterrit directement sur la pauvre mouche qui n’eut pas le temps de bouger.

Ma tâche terminée, je descendis les escaliers de manière hésitante, sans marcher correctement, me heurtant successivement contre les murs de chaque côté. Rien d’étonnant à cela, je venais tout juste de sortir de mon lit.

Arrivée dans la cuisine, non pas sans un certain effort, je jetai un coup d'œil envieux par la fenêtre.

— Clarisse, appela mon père en arrivant, un bac de linge encore mouillé sous le bras. Tu devrais aller te balader, il fait beau et tu as l'air d'en avoir tellement envie.

Je hochai discrètement la tête, ce n'était pas une si mauvaise idée.

Depuis ma chute, mon père cherchait le moyen de me redonner le sourire, mais ses tentatives demeuraient veines. Il faut dire que cette chute n'était pas banale... ou peut-être que si, mais je ne m'en souvenais plus, c'était bien ça le problème. En tombant, j'avais perdu une grosse partie de mes souvenirs, j'en ignorais encore la quantité, mais je savais que mon année de troisième m'était sortie de la tête. Plus aucune image de cette année-ci, il m’était impossible de me rappeler du moindre petit éclat de ce qu’il s’était passé, c'était comme si, à la place où se bousculaient auparavant mes souvenirs se trouvait un énorme trou noir, qui avait tout englouti sur son passage. Et depuis je gardais un visage de marbre, je ne parlais plus beaucoup. Pour moi, il m’était impossible de vivre heureuse sans ma mémoire.

Alors depuis, chaque fois que j'en avais l'occasion, j'essayais de récolter le moindre indice qui pourrait me permettre de récupérer mes souvenirs, mais là aussi, toujours pas la moindre petite avancée. Je finis donc d'engloutir ma tartine en vitesse, enfilai mes baskets et sortis dehors.

Quand je partais me balader, j'allais toujours au même endroit, sur un rocher à côté d'une petite rivière dans la forêt en dessous de chez moi. Mon père avait essayé tant de fois de me faire découvrir d'autres endroits, mais rien à faire je venais toujours ici. J’avais vécu tellement de choses ici qui peuplaient mon passé, aujourd'hui en partie oublié.
Arrivée dans la forêt, je descendis le petit sentier qui menait à la rivière. Après quelques acrobaties pour passer sur l’autre rive, je m'assis enfin sur mon rocher habituel et commençai à réfléchir tout en regardant le paysage que je connaissais déjà par cœur.
Je revoyais très clairement mon enfance, mais impossible de me rappeler cette dernière année, c'était comme si elle n'avait jamais existée.

Après quelques temps, je reparti donc en direction de chez moi, bredouille. Je savais que rester ici ne me mènerait à rien de plus.

Je marchais lentement, le regard rivé sur mes pas, quand une présence attira mon attention. Je levai les yeux en direction de l'inconnu qui fit de même. Il s'agissait d'un garçon, il avait les cheveux bruns et les yeux de la même couleur. On se regarda fixement, sans qu’aucun de nous deux n’ose tourner le regard. Il ne lui fallut que quelques secondes pour me reconnaître et encore moins pour afficher un visage empreint de terreur. Il eut un mouvement de stupeur et voulut se cacher. Soudain, je me rendis compte que ses yeux, je m'en souvenais, pourtant le garçon m’était inconnu.

Je le connaissais, je l’avais déjà vu.
Je portai mes doigts à mes tempes, j'avais terriblement mal à la tête. Le monde se mit à tourner et tout devint flou. Sur le point de vaciller, le garçon courut pour me rattraper. Ma dernière pensée fut que tout se remettait en place, avant que ma tête heurte le sol et que la scène vole en éclat, me replongeant dans mes souvenirs.

Je le connaissais.

Lui.

C’était lui.