Dérive

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 Les premières notes se font entendre, et avec elles le bruit irrégulier de l’impact de ses phalanges contre les touches blanches de son clavier.

 La musique accompagne ses pensées, projetées à travers ses doigts sur l’écran figé qu’il regarde à peine. Il n’en ressent pas le besoin. Il sait qu’il pourrait parfaitement fermer les yeux et se laisser bercer par les rythmes entremêlés des artistes qui se succèdent et des mots qu’il produit.

 Il se laisse totalement emporter par les chants, les guitares, la basse, le clavier, les percussions. Chaque note lui parle plus que quiconque. Chaque son lui procure un plaisir infini.

 Il serait bien incapable de les nommer. Pourtant, chacune se grave en lui de manière indélébile. Chacun vibre en lui avec une intensité qui lui est propre.

 Les mots eux peinent à venir. Non pas qu’il lui soit difficile d’écrire. Non. L’écriture n’a jamais été une source tarissable. Il aimerait simplement cesser de voir pousser le long de son cours d’eau chardons, ronces et orties.

 Pouvoir observer la beauté de ce qui l’entoure. Pouvoir contempler la moindre plante, la moindre fleur sans la voir faner dans l’instant, sans voir au-delà de ce que le regard seul permet de percevoir.

 Il aimerait lui écrire des mots légers, dépouillés de tristesse, débarrassés de cette mélancolie dont il ne sait se défaire.

 Il voudrait lui faire franchir le pont qui la sépare de son monde. L’emmener de l’autre côté, sur cette rive depuis laquelle il contemple les choses d’un œil différent. Mais qui le souhaiterait ?

 Qui pourrait le supporter ? Percevoir la vacuité en toute chose, observer chaque instant comme un souvenir, comme le vestige d’un passé déjà lointain.

 Non. Il ne doit emmener personne de son côté du Monde. C’est à lui de faire un pas vers la rive des vivants, vers la rive de l’existence.

 Une main dans sa main. Une épaule posée contre la sienne. Ses cheveux blonds descendant le long de son cou, tandis que leurs regards fixent l’horizon. Leurs souffles unis dans une même respiration. L’absence de mot. La certitude d’occuper sa juste place.

 Voilà ce à quoi il aspire. Voilà l’image qu’il souhaite contempler sans en projeter la mort.

 Il ferme les yeux. Il voudrait que rien ne disparaisse. Que l’instant demeure éternel. Il oublie pour un moment la réalité de l’existence.

 Il est assis sur l’autre rive. Un banc en pierre accueille leurs corps entrelacés. Ses yeux s’ouvrent à nouveau pour se poser sur ce qui les entoure avec la naïveté de la découverte.

 Elle serre un peu plus sa main, comme pour lui faire sentir qu’elle a compris. Elle sait qu’il a franchi le pont qui le séparait d’elle.

 Le temps n’a plus d’emprise. Rien n’a désormais d’importance. La chaleur de leurs âmes embrase tout autour d’elle tandis qu’ils se serrent un peu plus l’un contre l’autre.

Ils s’aiment.

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