Chapitre 1

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 Le soleil déclinait depuis une bonne heure maintenant, la musique était encore à un volume acceptable et l’apéritif déjà bien entamé. Le petit foyer communal du village de mon enfance, coincé entre un dévers et la route, s’animait un peu pour l’occasion. Les garçons s’affairaient autour du barbecue, tandis que nous discutions entre filles.


  — Comment est-ce qu’il a pu assassiner tous ces gens si facilement, se désola Flore, avant d’avaler une gorgée de punch.

  — Breivik est juste un cinglé, pour lui la vie ne doit rien valoir. Il n’a pas de notion de la réalité, déclara Aurélie.

  — S’il était vraiment fou, il n’aurait pas pu organiser tout ça aussi bien, contra Claire.

  — C’est sûr, les fous ne mettent pas en place de diversion sous forme de bombe pour tuer tranquillement à plusieurs kilomètres de là, dis-je.

  — Il doit quand même avoir quelques soucis psychologiques, insista-t-elle.

  — Ah! c’est certain, c’est plus facile de se dire qu’il lui manque une case plutôt que d’admettre que c’est simplement un monstre, répliquai-je.

  — Tu as constamment une vision pessimiste, me reprocha-t-elle.

  — Je suis juste réaliste, affirmai-je avant de vider mon gobelet.

  — Et le plus agaçant c’est que tu as presque toujours raison, admit Claire m’arrachant un sourire.


 La discussion reprit tandis que je me dirigeai vers le buffet pour remplir mon verre. Avant de pouvoir rejoindre mes amies sur le banc, une douleur fulgurante me figea sur place. Comme si une décharge transperçait ma tête, si intense que ma vision se brouilla à mesure que des images défilaient.

« Le foyer.

Un gobelet qui tombe.

Une jeune fille blonde sortie de nulle part.

Une intention meurtrière dans ses yeux azur, une grande épée qui s’abat sur moi. »


Impossible ! s’exclama une voix dans mon esprit. Cette fille, je l’avais déjà vue. Des dizaines de fois, dans des endroits différents, dans d’autres contextes, mais il se déroulait toujours la même chose. Oui, mais voilà, il ne s’agissait que d’un rêve récurrent. Uniquement un rêve. Mais là, je ne dormais pas ! M’apercevant m’appuyer au mur, mes amies me rejoignirent, inquiètes.

 Soudain, la scène ralentit, je vis la main de Claire s’ouvrir et son verre en plastique commencer à chuter. Dans le doute, il fallait absolument que je les éloigne. Je me repris à l’instant où le récipient s’écrasait en déversant son contenu au sol.

 En une fraction de seconde, je poussai violemment Claire qui percuta mes deux autres amies. Je reculai autant que je pus, les exhortant à ne pas m’approcher. Je me tournai dos à la fenêtre, elle apparut, en un instant, comme sortie du néant. Une jeune fille d’une quinzaine d’années, tenant au-dessus de sa tête une très grande épée. Sa haute queue de cheval dorée volait dans le vent. Elle portait un plastron de cuir, dont les riches décorations contrastaient avec son simple pantalon de lin. Son visage affichait une expression dure et déterminée ; pourtant, ses yeux bleus laissaient transparaitre une once de peur.

 J’eus à peine le temps de faire un léger écart sur ma gauche, que la claymore s’abattit durement sur les briques du rebord de la fenêtre. La stupeur qu’elle afficha m’offrit l’avantage. Je projetai ma jambe en avant et lui donnai un coup de pied à l’abdomen, aussi fort que possible. Elle lâcha la poignée et alla s’écrouler, un peu plus loin.

 À présent plus de place au doute, il ne s’agissait plus d’un songe, mais bien de la réalité. Et si je voulais y survivre, j’allais devoir me battre.

 Je saisis le manche de l’épée à côté de moi et la délogeai d’un coup sec. Lourde et trop longue pour moi, il me faudrait faire avec. J’avançai vers mon adversaire, déjà relevée elle tira une rapière, bien plus adaptée à sa corpulence. Je conservai l’avantage de l’allonge. Elle se jeta sur moi comme une désespérée, l’arme au-dessus de sa tête. J’empoignai la fusée à deux mains et parai sans difficulté.


  — Tu es d’une lenteur, me moquai-je sans même savoir si elle me comprenait.


 Elle poussa un hurlement rageur et se lança dans une série de coups rapides.

Estoc, esquive.

Taille, parade.

 Je bloquai chacun d’eux du mieux que je pus en reculant. Dos au mur ma claymore maintenait sa lame encore un peu éloignée de ma gorge.

 Je tremblai, inquiète, autant que la jeune fille. Non ! Essoufflements, transpiration. Ce que je voyais était de la fatigue. Le voyage l’avait éprouvé, elle luttait plus que moi pour tenir son arme. L’heure n’était pas à la peur, et quelqu’un en moi ne ressentait pas la situation de cette manière. Je fermai les paupières, pris une profonde inspiration, fis taire mon esprit, et bâillonnai la conscience me dictant de fuir.

 J’esquissai un sourire et rouvris les yeux. Je perçus un léger doute chez mon assaillante. J’en profitai, ma main droite glissa jusqu’au pommeau et je mis toutes mes forces dans un mouvement de cisaillement.

 Elle recula. Je me dégageai du mur et visai sa lame. Rapidement, feinte, fente, je réussis à lui ôter sa rapière. Suivant le déroulement de mon rêve, j’entaillai le dessous de son avant-bras gauche et le mien. Elle cria tandis que je serrai les dents. J’attrapai sa paume et l’attirai à moi mettant les deux plaies en contact.

 Dès que nos sangs se mélangèrent des étincelles jaillirent, se muant en éclairs qui nous parcoururent. Je me concentrai sur ce qu’à présent je savais avec certitude être des souvenirs. L’électricité augmentait avec la tension visant à nous séparer ; la douleur également. Je n’allais pas pouvoir résister très longtemps. La pression s’accrut d’un coup, nous projetant l’une à l’opposé de l’autre.

 Sonnée, je me redressai, prenant appui sur ma lame. Je regardais mon avant-bras maculé de sang. La plaie était propre, mais je ne garderais pas cette estafilade. J’allais vérifier si j’avais vu juste là aussi. Je dirigeai ma volonté sur la coupure, l’entaille se referma aussitôt.

 Ne restait qu’un autre problème immédiat. Je marchais jusqu’à mon adversaire, inconsciente. Je relevai ma claymore et j’entendis mes amies pousser des clameurs tandis que je l’abattis.

 Le bruit que fit le métal en s’enfonçant dans le sol à quelques centimètres de sa tête la réveilla. Elle tenta de se remettre debout, mais trop vite. Elle eut un haut-le-cœur et s’effondra à nouveau.


  — Tu viens pour me tuer et ton estomac ne supporte même pas quelques souvenirs, lui dis-je alors que je refermais sa blessure.

  — Bon sang ! Tu nous as fichu une peur bleue. C’est qui cette malade ? me demanda Claire en se rapprochant.

  — Elle s’appelle Mia. Le niveau a considérablement chuté depuis mon époque. De mon temps n’importe quel débutant aurait su qu’utiliser une telle quantité de magie ; pour arriver jusqu’à moi, l’aurait mis dans un tel état de fatigue qu’il vouait sa tâche à l’échec. À moins que tu n’aies voulu te suicider ?

  — Comment connais-tu mon nom ? haleta-t-elle sous les regards ahuris de mes amis.


 Elle ne parlait pas notre langue. Les pouvoirs que je venais de récupérer me permettaient donc de traduire ses mots sans même m’en soucier.


  — Petite, ça fait longtemps que j’ai vu ton arrivée fracassante.


 Elle paraissait choquée, et cherchait désespérément où se trouvait l’arme qu’elle avait laissé échapper.


  — Oublie cette idée, ta seule chance de me tuer était l’attaque-surprise, et tu t’es ratée.


 Étourdie, elle peinait à dissimuler les tremblements de ses membres : témoignage d’épuisement. Elle réfléchissait à ses options. Plus d’énergie magique, impossible de fuir. Pour survivre, elle devait se montrer coopérative. Son corps se relâcha alors qu’elle abandonnait, elle me fixa indécise un moment avant de finir par parler.


  — Vous n’allez pas me tuer ?

  — Si je l’avais voulu, ça serait déjà fait. N’es-tu pas capable de comprendre ce que je t’ai montré durant le lien ?


 Hésitation, crainte. Difficile d’être certaine des émotions de Mia.


  — Qu’est-ce que c’était ?

  — Mes souvenirs. Enfin plutôt une partie.


 En vérité, je peinais moi-même à réaliser ce que ces flashs et tout cela signifiaient. Ce que je ressentais oscillait entre une immense terreur et l’exultation de me retrouver moi-même.


  — On peut savoir de quoi vous parlez ? s’agaça Claire les mains bien campées sur ses hanches pour ne pas se laisser tenter de me les coller sur la figure.

  — De sa tentative ratée d’assassinat.

  — Pourquoi est-ce qu’elle veut te tuer ? Et d’ailleurs d’où elle arrive avec ses épées, elle se prend pour Xéna ? demanda Flore avec un rire nerveux.

  — On verra plus tard.


 L’expression de cette dernière m’indiqua qu’elle n’était pas satisfaite, mais pour le moment le choc l’empêchait de protester.


  — Je ne comprends pas tout, bégaya Mia.

  — C’est plutôt simple, tu as juste été manipulée afin de me retrouver.

  — Non ! Je devais mettre fin à votre règne de terreur ! vociféra-t-elle.

  — Ouvre un peu les yeux ! je ne règne sur rien du tout. Maintenant, sois gentille lèves-toi et donne-moi le médaillon que tu as autour du cou.


 Elle porta aussitôt la main au bijou, le serrant à s’en faire blanchir les jointures.


  — Cette breloque sert de balise et à signaler le moment de ta mort.


 Son expression se durcit, elle ne cillait pas et soutenait mon regard. Pourtant, elle transpirait la frayeur. Je comptais bien m’en servir.


  — Donne-le-moi, je ne suis pas d’humeur à débattre.


 En plus de la menace dans ma voix, je laissai irradier ma magie. Un tressaillement lui échappa, elle temporisait, mais n’avait pas le choix. Elle finirait par l’admettre.


  — Tu t’es fait rouler par le méchant, accepte-le. Tu nous mets en danger là.


 Une lueur de haine brilla dans ses prunelles. Déni, naturellement. Quoique, peut-être pas.


  — Coopère, ordonnai-je mentalement. Je n’hésiterai pas à t’éliminer si tu persistes à rester un danger.


 Après une expiration d’effroi, elle se leva à contrecœur, arracha le collier et me le tendit. Je saisis l’objet, prenant garde qu’elle ne le lâche pas avant ; cette brève anomalie aurait pu donner des soupçons.


  — Rentrez tous à l’intérieur du foyer et ne sortez pas avant que je ne vous le dise, exigeai-je en regardant amis et cousins. C’est pour votre sécurité.

  — Si ça doit péter, autant qu’on aille chercher les fusils, me répondit Armand, indiquant à son frère et Jules la direction de la maison.

  — Je laisse pas les filles, ramenez-m’en un, sans oublier la cartouchière.


 Considérant les expressions des autres, l’idée ne les rassurait pas. Moi, je craignais qu’ils ne deviennent des cibles s’ils s’éloignaient trop. Ils se hâtèrent vers l’habitation à plusieurs centaines de mètres.


  — Que vas-tu faire ? s’inquiéta Claire.

  — La tuer, déclarai-je en faisant osciller le médaillon.


 Elle fronça les sourcils, dubitative, mais finit par entraîner ceux qui restaient à sa suite dans le foyer municipal.


  — Fais attention à toi, lança mon ami Gaël en faisant demi-tour également.

  — Suis-les, ne te montre pas et pour ta santé, assure-toi qu’ils aillent bien, ordonnai-je à Mia.


Elle garda le silence, mais prit le même chemin que les autres.

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