Chapitre 2
Cette confrontation éclair avec Mia m’obligea à me préparer pour la suite. Dans mon rêve récurrent, suivait systématiquement l’arrivée de combattants hostiles. Hélas ! C’était toujours là que je me réveillais. En premier lieu, j’utilisai ce que j’avais récupéré de pouvoirs pour fortifier mon corps. Je n’étais absolument pas entraînée au combat, en quelques instants mon surplus de graisse se changea en masse musculaire.
Des milliers de gens tueraient pour un tel miracle. Je renforçai tendons et ligaments pour parfaire le tout. Cette transformation artificielle n’était pas la panacée, mais je n’avais pas le choix. À présent, je devais trouver une arme adaptée. L’image d’une lame élégante se forma dans mon esprit, d’un bleu tendre aux reflets flamboyant, une inscription d’une douce calligraphie gravée sous la garde.
Mon épée, ma compagne de longue date, allait-elle répondre à mon appel ? Je concentrai ma volonté, un halo scintillant apparut, des particules lumineuses de plus en plus nombreuses se regroupèrent jusqu’à ce qu’elle soit complètement matérialisée entre mes mains. Magnifique et légère, rien à voir avec la claymore lourde et difficile à manier. Mon arme, elle représentait tellement plus, tant de souvenirs, du réconfort. Je pris une grande inspiration.
Il était l’heure de tuer Mia. D’une poussée de télékinésie, je fracassai le médaillon impitoyablement. La réaction ne traina pas : deux hommes en armure apparurent au milieu de la chaussée, à quelques mètres de moi.
Dès qu’ils constatèrent que j’étais la seule dans les parages, ils attaquèrent. J’esquivai le premier et le fauchai de ma lame dans le même mouvement. Je me fendis pour transpercer le second.
Je savais que ce n’était que le commencement. Ils furent remplacés par deux autres, j’avais l’avantage de la légèreté, mais également de ne pas subir la désorientation d’une téléportation. Le massacre s’arrêta temporairement à six morts, demeurant en alerte, prête à me défendre, j’ignorai combien en amènerait la prochaine vague.
Un homme seul se matérialisa, il avait une quarantaine d’années, une coupe de cheveux taillés au millimètre. Il portait une longue robe pourpre, finement brodée d’or et d’argent en arabesques complexes.
Le personnage détonait au milieu des corps sanglants. Ses yeux balayèrent les cadavres au sol, puis montèrent jusqu’à moi. Il afficha alors une expression mêlant inquiétude et soulagement. Était-ce de l’incrédulité ?
— Les dieux soient loués, vous allez bien ! Je craignais tellement d’arriver trop tard, bredouilla-t-il en avançant.
— N’approchez pas ! lui intimai-je en reculant d’un pas.
— Je comprends, après tout ceci vous devez être perturbée et méfiante. Je viens pour vous conduire à l’abri, vous protéger.
— Me protéger… Qui êtes-vous ?
Il ne m’inspirait pas la moindre confiance dans ces circonstances.
— Vous avez grandi ici, ignorante de tout, je sais que ce n’est pas simple à entendre. J’arrive d’une autre planète, celle dont vous êtes originaire. Je suis le conseiller de Leurs Majestés, vos parents. La situation est devenue délicate et leurs ennemis vous ont trouvé, expliqua-t-il en s’approchant lentement.
Chacun de ses mouvements sonnait faux, il apparaissait plus en grande réflexion, que réellement « rassuré ».
— J’ai beaucoup de mal à vous croire, ris-je.
Plus je le regardais et plus je mourrais d’envie de me jeter sur lui et de le frapper jusqu’à ce qu’il n’en reste que de la charpie.
— Je vous assure de mes propos, vous devez me faire confiance. Il nous faut partir au plus vite.
Ses paroles me paraissaient improvisées. Et puis, son histoire ne collait pas avec le soi-disant règne de terreur évoqué par Mia.
— L’endroit n’est pas sûr, Princesse, rejoignez-moi, me pressa-t-il.
— Ne m’appelez pas princesse ! m’écriai-je surprise moi-même de mon éclat.
Son visage se figea. Il jaugeait ma réaction. Mon manque évident de coopération semblait le gêner pour choisir ses mots. Il s’apprêtait à ouvrir la bouche pour de nouveaux arguments, mais je le coupai dans son élan.
— Je ne vous suivrai nulle part, Martin, grinçai-je entre mes dents.
Le prénom était sorti tout seul. Souvenir ? Cela pouvait-il être ma mémoire d’âme qui revenait ?
L’incrédulité se lut dans ses yeux, ce qui me tira un léger rictus. Une silhouette se matérialisa à son côté. Un homme approchant la trentaine, d’allure princière, malgré des cheveux bruns en bataille. Un regard bleu-gris aussi glacial que celui d’un assassin. Le sourire carnassier qu’il affichait me fit froid dans le dos.
Pire, il maintenait d’une poigne de fer au niveau de la gorge mon ami Jules. Ce dernier parvenait tout juste à respirer alors que le tueur appuyait une dague un centimètre sous son maxillaire. Si Jules ne luttait pas pour qu’un peu d’air atteigne ses poumons, il hurlerait sans doute de peur. J’avais pourtant envoyé Mia à l’intérieur pour éviter ce genre de chose ! J’espérais qu’il n’y avait pas de victimes, même si je n’avais entendu aucun cri, ça m’inquiétait.
— Que fais-tu Shalgh ? aboya Martin.
— J’en suis désolé maître, mais il m’a semblé évident que la manière douce ne fonctionnait pas. Un otage aide toujours...
Il m’inspirait le sentiment d’être un serpent. Sournois. Froid. Venimeux.
— Comme si j’en avais quelque chose à faire de lui, lançai-je.
Avec un peu de chance, mon désintérêt serait profitable à Jules.
— Oh, je comprends mieux, susurra Martin alors qu’il observait attentivement Jules. J’ignore comment tu es en mesure de te souvenir de mon nom, ce jeune homme a un visage familier qui doit sans nul doute évoquer de grands sentiments chez toi, Sahiane.
Ce prénom ébranla chaque cellule de mon corps.
— Si vous pensez que je vais mettre en danger la globalité de la population de cette planète en vous rejoignant. Juste pour épargner la vie d’un individu, c’est que vous êtes particulièrement idiots, me moquai-je adoptant une posture plus détendue et nonchalante.
Mon inconscient dictait mes actions et paroles.
— Bien tenté, si cela avait été un autre j’aurais pu marcher. Shalgh n’attendra pas longtemps avant de le saigner.
— Dans ce cas.
Je fis apparaitre une dague et l’expédiai sur Jules. La lame s’enfonça dans son cœur avec violence, le laissant inerte dans les bras de Shalgh.
Je profitai de leur hébétude pour matérialiser entre mes doigts un petit dé bleu que je projetai sur Martin. Il n’eut pas le temps de l’esquiver. Dès que le cube le toucha, il s’agrandit pour l’emprisonner poursuivant sa course sur quelques mètres. Martin se retrouva secoué et jeté à terre dans sa cage.
— Garce ! cracha Shalgh lâchant le corps de Jules qui s’écroula comme une sinistre poupée de chiffon.
— Je vous avais dit que je me fichais de son sort. En revanche, pouvoir mettre la main sur le responsable du bordel, et tuer son chien de démon me ravira, chantonnai-je.
— Tu n’es qu’une pauvre folle, tu aurais dû choisir la manière douce, susurra-t-il.
Il remplaça sa dague par une imposante épée qu’un être humain non possédé aurait dû manier à deux mains.
— Le maître te voulait en vie et entière. Il devra se contenter d’une estropiée aux portes de la mort.
L’instant suivant, il disparaissait de mon champ de vision. Je me déplaçai sur la gauche, levai ma lame au moment où il reparaissait dans mon dos, abattant son arme qui s’émoussa sur la mienne en un crissement métallique.
— Croyais-tu vraiment qu’un tel stratagème fonctionnerait avec moi ?
— Tu ne pourras pas suivre tous les bonds, répliqua-t-il avant de s’évanouir.
Il souhaitait enchaîner les frappes et les téléportations. En temps normal, pister ses sursauts m’aurait demandé une grande application, l’augmentation de ma vitesse et l’utilisation à courte échelle de mes capacités de prescience.
Mais dans ce monde privé de magie, je n’avais qu’à surveiller le flux de ses particules, véritables explosions d’énergies. Son fer ne rencontrait que le vide ou mon épée, l’agaçant prodigieusement.
Après trois échecs, il ponctuait ses bonds d’insultes ou d’invectives cherchant à me déstabiliser. Il se déconcentrait lui-même, perdant sans s’en rendre compte de la célérité, compensée par la puissance de ses coups chargés de colère. Oubliant de réfléchir il reproduisait les mêmes mouvements dans un ordre identique.
Je profitais de cette erreur de débutant pour me déplacer et mettre fin à cela. Je positionnais ma lame à l’endroit qu’il visait pour se matérialiser. Elle lui transperça le cœur le figeant dans son élan.
— Tu penses que ça va m’arrêter ? ricana-t-il expirant de fines gouttes de sang.
Il croyait pouvoir m’embrocher à son tour avec l’épée qu’il tenait toujours en main. Son rictus narquois se changea en stupeur qui devint angoisse.
— Tu n’es pas le premier démon que j’affronte, ça fait longtemps que j’ai appris comment vous paralyser.
— Quand bien même, vu le peu de magie que tu dégages, ce tour ne durera pas plus de quelques minutes, sourit-il me fixant de ses yeux acier animés d’une lueur démente.
— Tu seras mort bien avant, murmurai-je.
— Tu oublies les capacités de mon très cher hôte.
— J’ai transpercé ton cœur, tu dois sentir le sang s’accumuler autour et l’empêcher de fonctionner correctement.
Sa mobilité n’était pas la seule de ses compétences annulées.
— Impossible, je peux me régénérer de n’importe quelle blessure.
— Tu pouvais… Alors vas-tu gentiment mourir avec ce corps ?
— Balivernes, tu n’oseras pas tuer cet homme, bredouilla-t-il, crachant encore un peu plus d’hémoglobine.
— Je n’éprouve pas la moindre compassion pour quelqu’un qui a cessé de se battre et laissé un démon de seconde catégorie piétiner son âme, lâchai-je cinglante.
— Je vais te faire payer ta suffisance, déchirer tes espoirs et ta fierté, gronda-t-il.
— Jolies paroles pour un mort en sursis.
Une épaisse brume noire s’échappa des narines et de la bouche de l’homme enchâssé sur ma lame. Dès qu’il ne resta plus une trace du Närgol dans son corps, il s’écroula au sol emportant mon arme avec lui.
Au-dessus du cadavre flottait le nuage, tel un serpent venimeux. Le reptile vaporeux se lova et fondit sur moi. Instinctivement, je levais ma main gauche, une petite étincelle bleue s’en envola. La nuée s’enflamma comme une trainée de poudre, dans une plainte aux sonorités métalliques dérangeantes.
— Vraiment idiot. M’attaquer de front, sachant que j’ai recouvert mes pouvoirs,
J’entendis Martin jurer de rage d’avoir perdu son laquais sans qu’il puisse le libérer. La porte du foyer s’ouvrit, mais pour l’instant aucun de mes amis n’osait s’approcher.
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