Chapitre 3 partie 1
Je baissai les yeux sur l’homme étendu à mes pieds, partagée par des sentiments variés. Un flot de pensées décousues assaillait mon cerveau, s’affrontant afin de décider quoi faire. Encore une fois mon inconscient trancha.
Je m’agenouillai et retirai prudemment mon épée, posai les mains sur la plaie et concentrai ma volonté pour la refermer. Je sentis l’âme qui lévitait non loin regagner son enveloppe, dont le cœur à nouveau intact, venait de repartir.
Je me relevai avant qu’il ne reprenne conscience, essuyai ma lame avec un bout de tissu déchiré d’une tenue d’un des cadavres proches. Mia vint seule se planter devant moi, les larmes au bord des yeux, furieuse.
— Tu es un monstre ! Je devrais te tuer sur le champ !
— Essaie, je t’en prie.
La menace sous-entendue la fit reculer d’un pas. Elle jeta un regard furtif à Martin avant de revenir aussitôt à la charge.
— Tu as assassiné ce pauvre garçon pris en otage et ce malheureux, nullement responsable des actes du démon qui le possédait ! hurla-t-elle.
— Et qui est la responsable de cette prise d’otage ? lui lançai-je cinglante.
Elle aurait eu la même réaction si je l’avais giflée, elle ne retint plus ses larmes qui commencèrent à couler en silence.
— C’est toi qui méritais de mourir, hoqueta-t-elle choquée.
— Si tu le dis. Tu comptes faire le mort encore longtemps ! tempêtai-je. Styx…
L’homme rouvrit les yeux et se releva, épousseta ses vêtements, après s’être débarrassé de la cape sombre qui l’encombrait. Il ébouriffa nonchalamment ses cheveux bruns, sous les regards stupéfiés de ceux qui avaient enfin osé sortir.
— Quand je t’ai vu hésiter, j’ai bien cru que tu allais me laisser pour mort, déclara-t-il avec un petit sourire nerveux.
Ses traits étaient identiques, pourtant tout en lui le rendait différent de l’être possédé qui se trouvait là quelques instants plus tôt.
— Je dois dire que ça fait plaisir de te revoir, ajouta-t-il avec un sourire timide.
Impulsivement, je le frappai d’un crochet droit aussi fort que je le pouvais. Styx ne s’y attendant pas se retrouva au sol. Je ne savais pas pourquoi j’avais agi ainsi, la brusque colère qui m’avait envahi se volatilisa en un instant.
— Espèce de psychopathe ! hurla Mia s’interposant. Tu l’as ramené simplement pour pouvoir le battre.
— Tais-toi ! lui intima Styx. Je l’ai largement mérité. J’ai beaucoup trop à expier pour ce soir, tu devras attendre… Si tu permets je vais essayer de ramener ton ami, avec un peu de chance il n’a pas traversé.
— Je n’ai pas besoin de ton aide pour ça, lui répondis-je calmement.
Je m’en retournai et approchai le corps de Jules entouré par mes cousins et quelques amis en pleurs qui n’osaient le toucher.
— Écartez-vous s’il vous plait, déclarai-je le plus aimablement possible.
L’effet fut immédiat, ils me fuirent comme la peste, craignant pour leurs propres vies. Je fis mine de ne pas m’en préoccuper conservant un masque impassible. Je mis précautionneusement Jules sur le dos.
— Je vais devoir retirer lentement la lame pour que tu récupères progressivement le contrôle de ton corps. Ça va être douloureux, reste détendu et respire normalement.
Je saisis la poignée et tirai le moins vite possible. Dès que la dague sortit complètement, il prit une inspiration forcée et commença à s’étouffer. Complètement paniqué, il s’agitait dans tous les sens.
— J’avais dit de respirer normalement, soupirai-je.
— Tu as utilisé une lame Sokar, siffla Styx épaté. Je suis extrêmement étonné. Tu ne devrais te souvenir de rien, pourtant tu as reconnu Martin, moi et eus même la présence d’esprit d’utiliser un Sokar.
— Ce n’est pas vraiment comme si je m’étais rappelée, ça s’est imposé.
Je ne pouvais pas expliquer autrement, tout ce qui me revenait instinctivement.
— Ta chance va vite tourner, je vais sortir de là et te le faire payer ! vociféra Martin.
— Tu m’insupportes, murmurai-je sans même le regarder.
La voix de Martin fut stoppée par le cube à présent insonorisé. Mia observait avec angoisse alternativement son maître, Styx et moi. L’état de choc de Jules persistait, en dépit des tentatives de ses camarades pour le calmer.
— Qu’est-ce qu’il a ? me demanda Nicolas inquiet.
— Il va lui falloir encore un bon moment avant de revenir à la normale. Emmenez-le dedans et faite-le boire. De l’eau hein, précisai-je.
— Je ne comprends pas le couteau… on l’a vu s’écrouler et … bredouilla Mia.
— Les lames de Sokar, l’arme de la coercition forgée pour faire souffrir. On ressent la douleur, on peut même connaitre le goût de la mort, mais dès qu’elle est retirée il ne reste aucune trace, la renseigna Styx. Si Shalgh n’avait pas été si surpris, il aurait remarqué l’absence de sang.
— Sahiane… je, commença Mia.
— Ça ne m’intéresse pas, la coupai-je. Styx à quoi doit-on s’attendre ? Je doute que ce crétin n’ait que six hommes avec lui.
— Ce ne sont pas vraiment des hommes… Nous sommes venus d’un vaisseau en orbite. Je n’ai pas le compte exact. Il y a peut-être cent guerriers, voire davantage.
— S’ils veulent leur cher maître, ils vont devoir venir le chercher.
— On doit bouger rapidement.
— Et pour aller où ? Non… on reste ici. Styx mets moi une barrière de deux cents mètres de diamètre sur la zone. On a eu de la chance jusqu’à présent, mais j’aimerais éviter des spectateurs supplémentaires. Ensuite un bouclier sur le foyer.
Il acquiesça et s’éloigna. Je ne manquais pas l’éclat de frayeur qui traversa les prunelles de Mia.
— Qu’est-ce que je fais, murmura Mia penaude.
— As-tu la capacité de suivre un ordre ou n’as-tu été entrainée que pour servir d’agneau sacrificiel ?
La pulsion meurtrière se mua en expression agacée, je rajoutai.
— Retourne à l’intérieur et cette fois assure-toi qu’il n’arrive rien à personne.
— Bien.
— J’ai fini, m’informa Styx conservant une distance raisonnable. Tu comptes te battre ?
Je revêtis une armure légère en réponse à sa question.
— Il m’a énervée.
— À quel point as-tu retrouvé tes capacités ? m’interrogea-t-il préoccupé.
— Aucune idée.
— Eh bien, je n’ai plus qu’à trouver une épée.
— Non, on a besoin d’aide. Va trouver le chef de Confrérie le plus proche et ramène-le dans le bâtiment.
— Tu veux me faire tuer, j’ai passé les derniers siècles sous l’emprise d’un démon. Je vais me faire tailler en pièce avant d’avoir ouvert la bouche, protesta-t-il.
— T’ai-je laissé penser qu’il s’agissait d’une requête ? le questionnai-je le regard résolu lui indiquant que je ne changerais pas d’avis.
Annotations