50. Chaude voisine
Julien
Je finis de me préparer en essayant de ne pas repenser à ce qu’il s’est passé entre Albane et moi hier en fin d’après-midi. Je pense que ça l’a perturbée encore plus que moi. Elle n’a pas répondu à mes SMS hier soir. Je me demande pourquoi. Peut-être que je suis allé trop loin ? Qu’elle n’est pas à l’aise avec le téléphone ? Peut-être qu’elle regrette tout, tout simplement ? Je ne sais pas, je suis perdu quand il s’agit d’elle.
Ce matin, je suis allé travailler, mais j’ai fini tôt. L’inventaire a été fait et ma patronne m’a dit que je pouvais rentrer et qu’elle allait tenir la librairie toute seule cet après-midi. Elle m’a aussi dit qu’elle songeait à prendre sa retraite et elle aimerait que je reprenne son fonds de commerce. Cela m’a fait plaisir, mais je ne sais pas si je suis prêt à ça. Et je n’ai surtout pas les fonds… Mais cela me donne encore plus envie de réussir et de saisir les chances qui me sont données.
En tous cas, en rentrant du travail, Asma m’a demandé si je voulais prendre un thé chez elle avant le retour de nos enfants. Elle avait l’air d’en avoir tellement envie que je n’ai pas eu le cœur de refuser, lui demandant seulement un peu de temps pour me changer avant de la retrouver.
Je passe un tee-shirt bleu pâle tout simple et m’assure que ma tenue est en ordre avant d’aller frapper chez ma voisine qui m’ouvre immédiatement, comme si elle m’attendait derrière la porte. Elle aussi s’est changée et m’accueille vêtue d’une robe seyante assez moulante, avec des boutons sur le devant, un style que j’aime particulièrement. Elle dépose un bisou sur ma joue et m’entraîne vers son petit salon. Je vois que le thé est déjà prêt. Je n’aime pas trop ça, je préfère le chocolat chaud, mais je n’ose rien dire et m’installe sur une chaise. Plutôt que de s’asseoir en face de moi, elle tire une autre chaise et s’installe juste à côté de moi, déposant sa main sur mon bras.
- Tu veux du sucre dans ton thé, Julien ?
- Je ne sais pas, Asma. Je ne bois pas vraiment de thé. Tu me conseilles quoi ?
- Un peu de sucre oui, mais si tu veux autre chose, dis-moi quoi et je te ferai ce que tu veux, sourit-elle.
- Alors, va pour un peu de sucre. Tu as passé une bonne journée ?
- Oui, pour ce que j’ai à faire ici, soupire-t-elle en me versant une tasse avant d’y ajouter une cuillère de sucre. C’est difficile de ne pas travailler.
Je prends la cuillère et mélange le thé, puis lèche l’ustensile. Quand je vois le regard gourmand que me porte Asma, je la repose immédiatement sur la table, gêné.
- Et ta journée, Julien ? sourit-elle avant de boire une gorgée de thé sans me quitter des yeux.
- Très bonne. J’ai la chance de pouvoir travailler, moi. Tu connais la Librairie du Chat Volant ? Près de la mairie ? La patronne veut même que je reprenne le magasin quand elle partira en retraite…
- Oh, mais c’est génial, ça !
Asma s’extasie devant la nouvelle et pose sa main sur la mienne avant de la serrer. Cette proximité me met un peu mal à l’aise, d’autant plus que ses yeux sont pétris de ce que je pourrais discerner être du désir.
- Le thé est très bon, Asma. Mais je vais t’avouer quelque chose. Je préfère le chocolat !
Je ris afin de faire descendre la tension qui s’est installée. Je me demande si cela suffira à la refroidir un peu et j’essaie de dégager ma main, prétextant devoir saisir la tasse.
- Tu aurais dû me le dire, je t’aurais préparé un chocolat chaud, voyons !
- J’aime découvrir de nouvelles choses, de nouvelles sensations. Et ton thé est très bon. Je suis content d’avoir goûté !
- Je pourrais t’inviter à dîner, et te préparer quelques plats de chez moi. Tu viens quand tu veux, avec les enfants d’ailleurs, Sophie et Selma s’entendent tellement bien, dit-elle en continuant de serrer ma main dans la sienne.
- Je ne voudrais pas déranger, Asma.
- Mais tu ne déranges pas, puisque je propose ! Tu sais… Je trouve qu’on s’entend plutôt bien, toi et moi…
Là, le terrain devient vraiment glissant. Je fais mine de boire mon thé lentement pour savoir comment je vais lui répondre. Je ne veux pas la blesser, mais je ne veux pas non plus lui donner de fausses idées. Je vais changer la discussion en parlant des éducs, ça marche tout le temps, ce truc.
- Oui, on s’entend bien. Il faut bien, entre voisins. Je m’entends bien avec tout le monde ici, sauf avec Jordan !
- Oui… Tu t’entends finalement même très bien avec Albane…
Bon, j’ai détourné l’attention, mais me voilà sur un terrain encore plus glissant. Je me demande si elle se doute de quelque chose, mais ce n’est pas possible, nous avons été discrets. Enfin, je pense… Mais les murs sont fins. Peut-être a-t-elle entendu quelque chose ? J’essaie de répondre comme si de rien n’était.
- Oui, Albane est très compétente, je trouve. Un ange. Elle t’aide bien aussi, non ? D’ailleurs, tu en es où pour tes papiers ?
- Ça traîne, mais Albane dit que c’est normal…
- Oui, je l’ai entendue parler d’une circulaire. Après cinq ans en France, tu vas être régularisée. Tu en es encore loin ?
- Il me reste quelques mois… Bref, c’est pas le sujet, en fait. Je voulais… Je me disais qu’on pourrait… Je sais pas… Envisager quelque chose, toi et moi, non ? On est amis, on s’entend bien et tu me plais, Julien…
Je manque de m’étrangler avec le thé. Surtout qu’elle se saisit de ma main et la pose sur sa jambe. Mais elle me fait quoi, là ? Elle ne va pas me sauter dessus quand même ? Je la regarde avec attention. Elle est vraiment pas mal comme femme. Ses petits yeux rieurs sont plein de charme. Elle a de jolies formes, même si je les trouve moins attirantes que celles d’Albane.
- Asma, tu es une très belle femme, oui. Je ne peux pas dire le contraire. Mais ce n’est pas envisageable, une relation entre nous deux. J’ai… Enfin… Bref, je crois que mon coeur est déjà pris, Asma.
- Oh… Tu… Tu as déjà quelqu’un dans ta vie ? Je… Enfin, je pensais pas, tu es toujours ici avec tes enfants, ou au travail…
- C’est compliqué, Asma. Mais je suis sûr que tu peux trouver un mec mieux que moi. Je suis plein de problèmes, sinon je ne serais pas au CHRS. Il y a des types qui peuvent mieux te correspondre.
- C’est ça, rit-elle, nerveuse. Une nana en CHRS avec quatre gosses et sans papiers. Tu crois quoi, que j’attire la foule ?
- Tu as ce qu’il faut pour attirer les hommes, oui. Il te suffit de cacher les enfants dans la cave ! Ou alors, tu me les confies et tu vas draguer !
- Il n’y a rien de drôle, Julien, soupire-t-elle. Tu me plais vraiment, tu sais ? Je suis certaine qu’on s’entendrait bien, sexuellement parlant.
- Sexuellement parlant ? Mais… Comment.. Pourquoi… Qu’est-ce qui te fait dire ça ? ne puis-je m’empêcher de demander, curieux malgré moi.
- Tu es quelqu’un de passionné, Julien, et tu aimes tester de nouvelles choses, tu l’as dit toi-même… Non ?
Malgré moi, mon corps réagit à ses propos et je me morigène en me disant que ce n’est pas possible d’être aussi bête que ça. Pourquoi lui ai-je posé des questions ? Comment je me sors de ça ? Je la vois d’ailleurs qui se lève et s’approche dangereusement de moi. Je repousse rapidement ma chaise et me lève à mon tour.
- Asma, je vais devoir y aller. Je suis certes passionné, mais comme je t’ai dit, je ne pense pas qu’il puisse y avoir quelque chose entre nous. Merci pour le thé, Asma, je vais aller en cuisine préparer à manger pour les enfants qui ne vont pas tarder.
Je la bouscule un peu et sors rapidement de son appartement. Je me précipite en cuisine où je tombe sur Albane, en grande discussion avec Irina.
- Bonsoir ! Vous allez bien ?
Je vais au frigo et l’ouvre, profitant du frais qui en sort pour reprendre mes esprits. Je saisis quelques ingrédients au hasard et alors que je commence à me calmer, j’entends Asma arriver.
- Bonsoir Monsieur Perret. Vous m’avez l’air agité. Un souci ?
- Non, Albane, ça va. J’ai la tête ailleurs.
- Des ennuis au boulot ?
- Non, t’inquiète pas. Ça va aller.
Je coupe court à la conversation en faisant mine de me concentrer sur ma casserole où je n’ai même pas mis d’eau. Asma s’approche à nouveau et vient se coller près de moi.
- Julien, pourquoi tu es parti si vite ? C’était pourtant si agréable, notre conversation.
Je jette un coup d'œil coupable vers Albane qui a, bien entendu, tout entendu. Qu’est-ce qu’elle va croire ?
- Oh, mais ne vous privez pas pour nous, poursuivez donc votre conversation si agréable.
- Oui, Albane, Julien est parti un peu vite, mais moi, je n’en avais pas fini avec lui.
Elle dit ça en posant sa main dans mon dos. Je la repousse, ne voulant pas qu’Albane interprète ce qu’elle vient de dire et de faire, mais je vois que c’est déjà trop tard. Les yeux de ma référente me lancent des éclairs. Elle n’apprécie visiblement pas cette intimité. Si elle savait que moi non plus je n’apprécie pas. Mais qu’est-ce que je peux faire ? Surtout qu’Asma insiste et vient me chuchoter à l’oreille.
- Julien, rejoins-moi ce soir quand les enfants dormiront. Nous oublierons à deux notre solitude.
Je repousse Asma un peu brusquement et me tourne vers elle.
- Asma, comme je te l’ai dit en haut, je ne suis pas intéressé. Je suis désolé de te le dire comme ça devant tout le monde, mais je n’ai pas envie d’être plus qu’un ami pour toi ! Tu n’as pas compris quand je t’ai dit que j’avais quelqu’un dans mon cœur ?
Grand silence dans la cuisine. J’ai jeté un froid glacial. Polaire même. Plus personne ne cuisine. Tout le monde nous regarde et je vois Asma qui pique un fard et devient toute rouge. Je suis un peu gêné d’avoir provoqué un tel embarras, mais elle a trop insisté. Je me tourne vers Albane et hausse les épaules pour lui signifier mon incapacité à gérer cette situation et mes yeux se font suppliants pour qu’elle intervienne et vienne à mon secours.
- Je crois que c’est clair, Monsieur Perret, dit-elle doucement en approchant d’Asma. Venez Asma, allons discuter au calme… J’ai bien envie d’un thé.
Asma sort en me regardant tristement. Je m’en veux de lui avoir ainsi brisé le cœur… Ou en tous cas de ne pas avoir satisfait son envie… Mais je ne vois pas comment j’aurais pu réagir autrement. Albane s’approche de moi après avoir signalé à Asma qu’elle serait avec elle dans les cinq minutes.
- Monsieur Perret, dit-elle alors que ses yeux font le tour de la pièce, se posant sur les résidents présents. Il serait bon que ce genre de conversation se fasse en privé, à l’avenir, d’accord ?
- J’ai essayé Albane, je te promets. Je ne pensais pas qu’elle me suivrait jusqu’ici…
- Je vois… Un vrai tombeur, alors, au bâtiment des familles, c’est le mauvais plan ça, ajoute-t-elle avec un sourire en coin.
Je la regarde alors intensément, rempli du désir qu’elle m’inspire. La tension entre nous est forte.
- Je ne suis pas un tombeur, Albane. Comme je l’ai dit à Asma, mon coeur est pris et ne bat que pour une seule femme.
- Elle en a de la chance, cette femme, murmure-t-elle, un sourire aux lèvres, avant de quitter la cuisine rapidement.
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