54. Seul avec les Oursons

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Julien

Je rentre dans mon studio en claquant la porte bruyamment avant de me laisser tomber sur mon lit. Ce foutu lit qui me rappelle bien trop cette nuit de Noël, et cela n’a plus rien d’agréable à cet instant.

Je ne sais plus où je suis, je ne sais plus qui je suis. J’ai l’impression que je n’existe plus. La douleur que je ressens au fond de moi est tellement vive que je ne sais pas comment je fais pour encore respirer. Je ne comprends pas comment elle a pu trahir ainsi ma confiance ! Elle qui disait qu’elle allait rester près de moi même après mon départ, elle qui insistait sur la nécessité que l’on se fasse mutuellement confiance. Elle qui parlait d’équipe. Tu parles… Voilà une coéquipière qui retourne sa veste pour me planter un couteau dans le dos. Bien profondément, et avec acharnement. Mais comment a-t-elle pu me faire ça ? Elle n’a vraiment aucun cœur… Jouer ainsi avec les autres ! Je pensais qu’elle m’avait cerné. Qu’elle avait compris ma douleur, celle qui me poursuit depuis bien trop longtemps. Sous son air de Miss parfaite, en réalité, c’est un vrai démon qui ne cherchait que du sexe avec moi… Et dire que j’ai cru que… N’importe quoi ! Comme si une femme comme ça pouvait aimer un type comme moi ! Toutes les femmes que j’aime me quittent de toute façon… A quoi est-ce que je m’attendais, au juste ? A un happy end ? Nous deux, main dans la main, une jolie petite famille toute unie et heureuse ? Quel con, mais quel con !

Albane est mariée. Elle a un mari. Un type dans sa vie, une moitié, un partenaire, un homme qui l’aime et qu’elle aime. Et moi, ça me laisse où dans tout ça ? Je n’ai servi qu’à ramasser les miettes, au final. Un petit moment par-ci, un petit moment par-là. Et pourquoi elle m’a laissé entrer dans sa vie dans ce cas-là ? Il était en voyage d’affaires ? Il la délaisse ? Ils sont partageurs ? Je ne comprends rien et je veux autant oublier tout ça que me morfondre dans la douleur… Je me sens partir à la dérive et j’ai juste envie d’aller me chercher des bières et d’oublier tout le reste. De toute façon, vu ce que ça me rapporte de jouer au gentil, autant que je coule à pic. Personne n’aura envie de me retenir. Je vais juste monter dans le Titanic et jouer jusqu’à ce que le bateau de ma vie chavire, une nouvelle fois. J’ai déjà rencontré l’iceberg en la présence de cette sorcière qui m’a envoûté, il ne reste plus qu’à jouer la scène finale. Et personne ne me pleurera…

Enfin, non, je suis stupide et égoïste. Je ne peux pas me laisser aller comme ça, il faut que je me secoue. J’ai Gabin. J’ai Sophie. Que vont-ils devenir sans moi ? Et si je refais toujours les mêmes erreurs, quel père je fais ? Malgré la sensation de perdre pied, j’ai pas envie de replonger. Mon cœur saigne, je souffre et me sens déchiqueté en mille morceaux, mais il faut que je tienne le coup et les rassemble pour continuer à vivre. Je l’ai déjà fait une fois. Je dois juste, à présent, y arriver seul. Sans Albane qui me tient la main, puisqu’elle a préféré se saisir de mon cœur pour le broyer entre ses doigts. Je me dois d’offrir à mes enfants une vie digne de ce nom. Sans penser à moi. M’oublier pour leur laisser une chance de vivre une vie normale. De toute façon, je suis incapable d’aimer, incapable d’être aimé. Il faut que je me fasse une raison…

Fait chier quand même… Pourquoi j’y ai à nouveau cru ? Pourquoi je me suis laissé à nouveau emporter par mes sentiments ? J’en reviens pas de la facilité avec laquelle elle a réussi à percer toutes les murailles que je pensais avoir érigées autour de moi. Et moi qui me croyais de nouveau fort et invulnérable, je ne suis en fait qu’un pauvre type. C’est l’histoire d’un mec qui s’est fait baiser dans tous les sens du terme, aurait dit Coluche, à raison…

Un bruit de clé dans la porte. Mince… Déjà l’heure des enfants. Et moi qui suis comme une loque dans mon lit, à pleurer comme un enfant. Je me relève vite, mais je n’ai pas le temps d’essuyer mon visage que Gabin et Sophie débarquent dans la pièce.

- Papaaaa !! crie Gabin en entrant. L’école c’était trop bi… Papa ? Qu’est-ce que t’as ?

- Rien, Poussin. Rien du tout. Ça va passer. Tu disais que l’école, c’était bien ?

- Oui ! On est allé à la ferme pédagogique ! dit-il en venant se coller contre moi.

- Oh, et tu as dit bonjour à la vache de ma part, j’espère.

J’essaie de sécher mes larmes, mais le regard soucieux de ma fille se pose sur moi. Même si j’arrive à détourner l’attention de Gabin, ça ne sera pas le cas de Sophie.

- T’as eu un problème au boulot, papa ? me demande-t-elle en approchant.

- On en parle plus tard, Choupette. Laisse ton frère me raconter sa visite à la ferme, voyons.

Elle soupire et j’écoute distraitement mon fils me raconter tous les détails de sa visite auprès des animaux, comme si sa vie en dépendait. Il est petit, mais il a compris que quelque chose clochait. Et s’il continue, j’ai l’impression que c’est plus comme une manière d’éloigner le mauvais sort. Mais il s’arrête tout à coup et me demande :

- On va pas retourner dans la voiture, Papa ? Je préfère ici… Mais si tu es triste, on te fait des bisous pour que ça soit mieux pour toi…

Mon coeur se serre encore plus. Je l’étreins contre moi et pose ma tête sur le haut de la sienne. Ma fille ne me quitte pas du regard. Je sens que je dois leur donner une explication. Il faut que je puisse leur parler, éviter de les angoisser, mais j’ai du mal à faire sortir mes maux, du mal à trouver les mots pour les exprimer…

- Non, on ne va pas retourner vivre dans la voiture, les enfants. Plus jamais ça, vous pouvez me faire confiance. Tu sais Gabin, les adultes, des fois, ils font des erreurs. Et quand ça arrive, ils n’ont pas leurs parents qui rattrapent le coup, qui les rassurent et les cajolent. Quand on est adulte, on est seul face au monde et c’est parfois difficile. Mais quand on est grand, comme moi, et qu’on a des enfants, comme vous, même si on se plante parfois, on n’a pas le droit d’abandonner. Et je vous promets à tous les deux que, même si c’est dur, je n’abandonnerai pas. On n’ira pas vivre dans la voiture, mais on va se trouver une maison et on y vivra heureux. Ensemble.

Je vois que Gabin est convaincu par mes paroles. Je me demande s’il a tout compris mais ce n’est pas ça le plus important ; Il sent que je ne suis pas dans la même difficulté que lors de ma première dégringolade. Sa sœur, elle, me regarde toujours dubitative.

- Si c’est pas le boulot, c’est maman ? Tu as eu des nouvelles ? Elle veut nous récupérer ? Si c’est le cas, moi je ne veux pas y aller !!! Je veux rester ici avec toi. Et avec Albane, me dit-elle d’une voix suppliante.

- Moi, je veux voir maman !!! crie alors Gabin.

Je ne sais pas ce qui m’arrache le plus le cœur. Je pensais qu’il était déjà en mille morceaux, mais ces morceaux viennent d’exploser à leur tour. Entre ma fille qui parle d’Albane, comme si c’était un être magique et capable de résoudre tous les problèmes, et mon fils qui veut voir sa mère, je sens mes certitudes vaciller. Comment je vais faire pour les aider alors que je suis détruit de l’intérieur ? Mes larmes se remettent à couler le long de mes joues et des sanglots viennent s’étouffer dans ma gorge. C’est tellement compliqué d’essayer de s’oublier pour leur bien-être quand on a besoin d’être seul pour panser ses plaies.

Mon fils vient passer ses bras autour de mon cou alors que je m’assieds sur le lit, et je sens ma fille qui vient à mes côtés et câline ma tête entre ses mains. Nous sommes tous les trois unis par notre peine, unis par les accidents que la vie met sur notre chemin, unis par l’envie de les affronter ensemble.

- Papa, il faut que tu parles à Albane. Elle sait toujours te redonner le sourire. Pourquoi tu ne l’appelles pas ?

- Sophie, écoute-moi bien, dis-je un peu abruptement avant de me calmer. Ne me parle plus jamais d’elle, s’il te plaît. Aujourd’hui, j’ai appris des choses sur elle et je ne veux plus jamais qu’elle se mêle de notre vie. Alors, oublions-la et je vous jure que ça sera mieux pour nous tous.

- Mais de quoi tu parles, papa ? Qu’est-ce que t’as appris sur elle ? demande Sophie, dubitative.

- Albane n’a pas été franche avec nous. Elle nous a menti, et vous savez bien que pour qu’il y ait de la confiance, il faut toujours être honnête. Toujours dire la vérité. Elle a l’air gentille, mais en fait, je sais maintenant que tout ça, c’était juste une parodie, un travestissement de la réalité. Elle n’en a rien à faire de nous, et tout ce qu’elle veut, c’est qu’on parte d’ici. Vite. Pour nous oublier.. Je ne vais pas vous embêter avec les histoires de grands, mais si je vous le dis, c’est qu’il faut désormais ne plus lui parler. Sinon, on risque de se retrouver à nouveau dans la voiture le temps que je trouve un appartement.

- Elle ne voudrait pas ça, Albane ! Me crie presque ma fille.

- Je ne sais pas ce qu’elle veut, Choupette. Mais en tous cas, elle ne nous veut pas du bien, ça c’est certain…

- Papa, quand est-ce que ce cauchemar se terminera ? Je veux juste me réveiller, préparer des chocolats chauds pendant que tu peins, et passer la journée à rire. C’est trop demander ?

- Je te promets, ma chérie, que quand on sera dans notre appartement, la vie sera comme avant. En mieux même ! Et vous savez quoi ? Quand on n’a pas le moral, il faut des pizzas et du chocolat ! Ce soir, je vous emmène au resto !!!

J’essaie de faire bonne figure, mais je rage intérieurement. Je sais que je n’ai pas convaincu complètement mes deux enfants, surtout Sophie qui a l’air de continuer à croire en Albane et à mettre en doute mes paroles. Je sais d’ailleurs que je ne me suis pas convaincu moi-même. Albane a l’air si attentionné à notre égard, si bienveillante… Elle ne nous a jamais lâchés, a été présente pour les enfants quand ils en avaient besoin, comme pour moi. Et elle avait l’air d’avoir des sentiments à mon égard… Mais un mot résonne encore et encore dans ma tête alors que je démarre ma voiture pour aller dîner : Mari… Mari… Mari… Cette trahison me fait mal autant qu’elle m’énerve. Il n’y a rien de pire que ce sentiment d’être trahi par quelqu’un en qui on a confiance. Et j’avais confiance en elle, j’ai mis mon coeur entre ses mains, je lui ai confié mes pires craintes, mes insécurités, mes peurs. Elle a marché sur tout ça comme elle marche tous les jours, avec grâce et assurance, et je n’y ai vu que du feu.

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