64. La chute du mur

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Julien

Je rentre de la librairie où la journée a été tranquille. Peu de clients en ce moment, j’ai l’impression que les gens n’ont pas trop le cœur à lire. Ou alors, c’est parce que Victorine ne veut pas m’écouter sur les choix que je lui propose. J’essaie de lui faire diversifier un peu la collection, avec des romans plus accessibles et certains romans en langues étrangères car j’ai remarqué qu’ils partaient vite quand on en avait en stock, mais elle n’est pas d’accord avec moi. Cela nous crée l’occasion de nombreux débats sur les mérites de tel ou tel auteur. J’ai l’impression que Victorine est d’accord sur le fond avec moi, mais qu’elle argumente, juste pour le plaisir d’échanger avec moi. En tous cas, petit à petit, elle fait les achats que je lui conseille, et cela me rend tout fier car cela faisait vraiment longtemps qu’on n’avait pas tant pris en compte mon avis.

Une autre raison d’être content de moi, c’est au sujet de ma relation avec Albane. Depuis l’anniversaire de Gabin, c’est le bonheur entre nous, et les moments où l’image de son mari s’interpose entre nous sont rares, même s’ils sont présents. Elle a beau me dire qu’elle a demandé le divorce, à chaque fois qu’elle échange avec lui, cela m’énerve et me fend le cœur de jalousie en même temps. Je n’aime pas la voir se tendre comme ça quand elle reçoit un SMS ou un appel. J’ai l’impression qu’à chaque fois, son traumatisme se réveille, tout son corps se crispe, je sens son regard vaciller et sa confiance en elle plonger. J’ai envie, à chaque fois qu’il se manifeste, de prendre le téléphone et lui dire d’aller se faire voir et de la laisser tranquille. Et de réconforter Albane en la prenant dans mes bras et en la couvrant de baisers.

C’est d’ailleurs ce que j’ai fait ce matin-là, après notre douche torride dont le souvenir amène à nouveau un sourire que je sais niais sur mon visage. Au petit matin, alors que nous étions enlacés, nos jambes mêlées, son dos contre mon torse, nous avons été réveillés par la sonnerie de son téléphone. Dès qu’elle a vu le numéro, j’ai eu l’impression qu’elle s’était transformée en planche tellement elle s’est tendue dans mes bras. Elle n’a pas répondu, mais il a fallu que je la couvre de baisers pour lui permettre de revenir dans mon monde, dans notre monde, celui où elle était dans mes bras et pas avec ce salopard qui la maltraitait… J’ai laissé mes mains la caresser et la masser jusqu’à ce qu’elle se détende un peu, mais ce n’est que quand j’ai glissé ma main entre ses jambes et mes doigts sur son clitroris que ses gémissements ont remplacé sa tension et qu’elle s’est laissée aller au plaisir.

J’arrive enfin au CHRS où je sais qu’Albane m’attend. Je connais son emploi du temps par cœur et nous arrivons toujours à nous retrouver et à profiter de quelques instants d’intimité. C’est vrai qu’on prend des risques, mais pour l’instant, personne ne nous a surpris. Lorsque je passe devant le bureau où elle est seule, en train de faire du travail administratif, je lui souris à travers la porte, mais ne m’arrête pas et monte directement dans mon studio. Je laisse volontairement la porte ouverte, et elle me retrouve rapidement, fermant la porte derrière elle. Je la plaque contre le battant et viens l’embrasser avidement. Elle m’enserre dans ses bras et ma main se glisse entre ses jambes jusqu’à ce qu’elle me repousse gentiment, un peu haletante.

- Julien, on n’a pas le temps… Tes enfants… Vont rentrer..

- Tant pis pour les enfants, on s’en fout, non ?

Elle rit et ce rire me transporte, mais elle a raison et je la relache donc, malgré moi.

- On se retrouve dans la cuisine ? Je vais aller préparer à manger dès qu’ils sont rentrés, comme ça, on pourra se voir encore un peu, d’accord ma chérie ?

- Je vais essayer oui. J’aime bien te regarder cuisiner, sourit-elle en me faisant un clin d'œil.

- Tu aimes surtout profiter de mon joli petit cul, avoue, coquine !

- Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat, Monsieur Perret.

- Allez, retourne bosser un peu, je te rejoins dès que possible.

Je lui vole un petit baiser et la laisse partir à regret, le goût de ses lèvres toujours sur les miennes. Quand je descends, je vois tout de suite qu’il s’est passé un truc et qu’elle n’est pas dans son état normal. Elle ne me regarde même pas quand j’arrive, perdue dans le nettoyage d’une assiette qui va finir par se briser si elle continue de l’astiquer comme ça. Je m’approche doucement et lui enlève l’assiette des mains, l’essuie et la range. Elle reste devant l’évier, sans bouger.

- Ça va, Albane ? Que se passe-t-il ? On dirait que tu as vu un fantôme…

- Hein ? Quoi ? dit-elle en se tournant vers moi.

- L’assiette était propre, tu sais... Tu as eu des nouvelles de lui, c’est ça ?

- De ? Ah… Peu importe, soupire-t-elle. Les enfants vont bien ?

Voyant qu’elle me cache quelque chose et veut assurément changer de sujet, je lui jette un regard un peu énervé sans répondre et vais chercher quelques ingrédients dans le frigo, lui tournant ainsi le dos. Je me mets à préparer les boulettes de viande que j’ai achetées la veille et je la sens qui se rapproche et s’installe à côté de moi. Nous sommes encore seuls dans la pièce, mais n’importe qui pourrait rentrer et elle n’ose pas diminuer la distance entre nous. J’ai l’impression que ces quelques décimètres sont en ce moment aussi grands qu’un océan. Elle est près de moi mais son esprit est à des années lumières. Ses yeux qui se posent sur moi ne me voient pas et je trouve cette sensation très difficile à vivre. J’essaie de provoquer une réaction chez elle :

- Sophie est enceinte et Gabin a trouvé un fusil dans le jardin.

Albane reste silencieuse quelques secondes avant que son visage n’affiche un air affolé.

- Quoi ?! Nom de… Tu te fous de moi ?

- Ah, tu es revenue parmi nous ! ris-je doucement. Oui, je rigolais, mais je n’aime pas te voir si loin de moi. Parle-moi Albane, ne me laisse pas de l’autre côté du mur, c’est trop dur à supporter. Je… Je déteste quand tu te replies sur toi et me laisses impuissant.

- Pardon, murmure-t-elle en posant sa joue contre mon épaule. Tu as suffisamment de soucis comme ça, je ne veux pas en rajouter. Je gère, Julien, c’est rien…

- Tu ne gères rien du tout ! T’as vu dans quel état ça te met ?

Je remue mes boulettes un peu brutalement, alors qu’à cet instant, j’ai juste envie de la secouer et de la supplier de m’en dire davantage. Pourquoi ne me dit-elle rien ? Elle croit quoi, que je suis incapable de l’écouter ?

- Je voudrais juste être du même côté du mur que toi, mais il ne me lâche pas, soupire-t-elle. Il ne me lâche pas, il a encore envoyé un courrier ici… Je… Je m’attends à le voir débarquer, ça me fout la trouille.

- Je vais le tuer ce con s’il continue à te harceler comme ça.

- Tu vas tuer qui Papa ?

Albane sursaute et se recule rapidement. C’est Gabin qui vient d’arriver sans que nous ne l’ayons entendu. Je suis rassuré que ce ne soit que lui et pas un autre résident, car notre attitude n’avait rien de professionnel.

- Le gros méchant qui fait pleurer Albane, Poussin. Et je ne vais pas vraiment le tuer, c’était juste pour exprimer à quel point je suis en colère contre lui.

- C’est pas bien de vouloir tuer quelqu’un. Même s’il est méchant. Tu devrais pas dire ça.

- Tu as raison, Poussin, mais tu es d’accord avec moi, quand même ? Il faut toujours être gentil avec Albane, non ?

- Ben toi, tu l’as pas toujours été, Papa…

Albane éclate de rire à mes côtés et je ne peux m’empêcher de tourner la tête vers elle. J’adore la voir comme ça plutôt que perdue dans son monde. Mon fils vient encore une fois de me trahir, mais le résultat est tellement agréable que je ne peux rien lui dire.

- C’est ça, Albane, rigole donc ! J’ai donc été si terrible que ça ?

- Tu es même loin de la vérité mon cher, sourit-elle en allant déposer un baiser sur la joue de Gabin. Tu devrais écouter ton fils plus souvent.

- Tu sais, Albane, Papa t’aime vraiment beaucoup, beaucoup. Il se fait toujours beau quand il sait que tu es là. Même qu’il rase sa barbe alors que ça se voit pas parce qu’il a toujours des poils qui dépassent.

- Gabin, tais-toi, Poussin. Albane n’a pas à tout savoir !

- Mais ! On ne dit pas à un enfant de se taire, voyons !

Albane prend Gabin dans ses bras et le dépose sur le plan de travail, près de moi.

- Allez, raconte-moi tout, Petit Ourson, dit-elle avant de me tirer la langue.

- Je suis pas un ourson. Je suis un petit garçon ! Tu es bête, toi, Albane, mais je t’aime quand même. Tu es trop gentille !

Je jette un regard devant le tableau attendrissant que m’offre la femme que j’aime avec mon petit garçon entre ses bras. J’ai envie de venir les enserrer tous les deux, mais je me retiens, surtout que j’entends quelqu’un descendre les marches.

- Albane, arrête d’essayer de corrompre mon fils. Même si on t’aime tous les deux, il ne dira plus rien, n’est ce pas, Poussin ?

- Promis Papa ! rit-il.

- Ça se paiera, ça, Monsieur Perret, vous pouvez compter sur moi.

- Tant que c’est en bisous que le paiement se fait, murmuré-je pour qu’elle soit la seule à l’entendre.

Cette femme me rend fou. L’interruption de Gabin m’a empêché d’en savoir plus, mais elle n’est pas restée fermée et j’ai eu droit à quelques détails. C’est mieux que rien. Je paierais cher pour savoir ce que son mari lui a dit, mais je n’insiste pas. Je suis cependant ravi d’avoir réussi à faire tomber la muraille qu’elle avait érigée et à la faire revenir parmi nous, dans le temps présent, celui des câlins et des plaisanteries. Et je sais que rien ne m’empêchera de toujours tenter de la garder dans cet état d’esprit. Je l’aime et de plus en plus, mon coeur prend le pas sur ma raison. C’est bon, c’est fort. Ça fait peur, mais j’ai tellement envie que ça ne s’arrête jamais…

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