La deux cent vingt-quatrième année

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Au milieu de l’Univers, quelque pars, j’attends que quelque chose se passe. Et cela fait tellement de temps que j’attends, que je ne me souviens plus pour quelle raison ma vie et suspendue.
 Il y a pourtant dans ce vaisseau une quantité infinie d’informations et de documents pour me permettre de connaître la nature de ma mission, mais c’est comme si je ne les comprenais plus.
 D’ailleurs, j’ai décidé que ce vaisseau était le mien. Mon vaisseau.

Il s’appelle Drawing.

Selon les informations qui se trouvent à bords dans des centaines et des centaines de feuilles volantes engouffrées dans un tiroir, Drawing vole depuis deux cents vingt quatre ans. Je regarde le compteur qui le prouve tous les jours. C’est sur le tabouret bleu que je m’assois, et je regarde pendant une ou deux minutes. La plupart du temps, je vois minuit passer. J’assiste à chaque jours qui débute.
 Drawing est immense, mais il n’y a que peu de pièces où je vie de façon constante comme ma chambre, une cuisine toute équipé, une salle de bain lumineuse, la salle de sport… il possède également un compartiment de ressources à l’arrière du vaisseau, où je n’aime pas trop me balader. C’est un entrepôt froid d’étagères en métal, où l’un des néons a grillé l’année dernière, celui de droite, je n’ai franchement pas le courage de le réparer.
 Aujourd’hui je m’y rends pour un simple tube de dentifrice. D’habitude, j’anticipe mes prochains besoins, que ce soit alimentaires ou hygiéniques, mais cette fois, rien ne me viens. J’ère entre les allées grises, j’entends mes propres pas dans tout l’entrepôt. Ce son perpétuel me dérange, je m’assois quelques part, contre une rambarde en métal, et j’observe les indications de mon tube de dentifrice. Il est tout blanc, je pense que le carton a perdu sa couleur, le plastique aussi, il me paraît tellement fade.
 Je débouche mon dentifrice et approche l’ouverture de mon nez, il sent exactement la même chose que les cent ou deux cent précédents. Absolument rien.

Mon dentifrice ne sent rien.

***

Mon miroir, n’a plus aucune putain de couleur. J’en suis sûr, parce que mon visage ne me revient plus. Un nez d’une forme plus que classique, deux yeux verts identiques, des lèvres roses toujours serrées, aucune taches distinctive qui pourrait habiller mon visage ou lui donner le petit quelque chose que j’adorerais et que je détesterais à la fois. Il m’arrive d’être en colère contre des choses ridicules, et je me mets à hurler devant la vitre, je ne me vois pas.
 Ce soir, je pleure en me lavant les dents, sans un bruit. Mon dentifrice n’a aucun goût.

A Vingt et Une Heure trois exactement, le minuteur sonne. Je crache mon dentifrice et me rince la bouche. Deux minutes plus tard, un autre minuteur sonne dans ma chambre. Alors je m'allonge dans mon lit et les lumières s'éteignent d'elles-mêmes. Il est Vingt et Une Heure Dix, et le programme prévoit que je m'endorme dans quinze minutes. Cela fait bien longtemps que je n'y arrive plus. Je regarde le plafond sur lequel j'ai accroché des images de magazine que j'ai trouvé dans le fin fond de la réserve.
 Je me demande ce qui m'excite le plus entre les photos de toutes ces femmes en maillots de bain, ou ces images du ciel bleu et des champs de coquelicots. Des jaunes, des rouges, et des oranges, mais ceux que je préfère sont les rouges.
 Je pense aux coquelicots pendants plusieurs heures, tout en surveillant le compteur de mes jours. Il sera bientôt minuit donc comme d'habitude, je rejoins mon tabouret bleu pour observer le jour passer.
 Au début, le minuteur me rappelait à l'ordre, il ordonnait que je retourne me coucher et me rappelait sans cesse les bienfaits d'un sommeil complet. Il y a deux ans, je l'ai déréglé, pour qu'il me laisse tranquille.
 Le néon rose d'urgence ne s'éteint jamais, il se trouve juste au dessus du compteur, c'est mon seul éclairage la nuit.
 Il y a longtemps que je me suis résolu.

Je ne verrais jamais aucune autre source de lumière en dehors de Drawing. L'univers et vide.

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