01
Le minuteur sonne à plusieurs moments de la journée, autre que pour l'heure du repas, l'heure du coucher ou l'heure à laquelle je dois recracher mon dentifrice.
Je pourrais simplement sortir les rapports et détails de la mission, mais à priori, Drawing se débrouille très bien sans moi.
Aujourd'hui, j'ai le choix entre attendre, et attendre encore. Quel est le nom de ma mission déjà ? Ce matin, je cours sur mon tapis à un rythme régulier, c'est encore et toujours la machine qui me dicte la vitesse à laquelle je dois courir, la respiration que je dois adopter, et le temps que je dois passer à mes exercices quotidiens. Si je ralentis, un bip sonore me demande expressément de reprendre l'effort, et ma fainéantise implique de nouvelles leçons de morale sur les bénéfices du sport et d'un bon entretient physique.
Je suis lacé.
Mon corps parfaitement sculpté par un entrainement sans fin et sans but n'a personne à qui plaire. Il y a plusieurs années déjà que je ne ressens plus le moindre désir sexuel.
En fait, je ne suis plus qu'un cerveau exceptionnel sur deux jambes qui courent. Un cerveau qui ne sert plus à rien.
Alors je m'arrête de courir, et je pense à dire "ta gueule" à ce bip énervant, mais les mots ne sortent plus depuis longtemps. Je décide d'aller lire, un livre en particulier me secoue toujours autant, c'est mon préféré.
Un rapport et documentaire sur le projet Mercury en 1963, aller dans l'espace avait l'air tellement excitant au début. Friendship 7 ne ressemblait à rien, et n'a parcouru que 121 794 petits kilomètres.
Moi j'en suis amoureux. Je ne voudrais pas rendre jaloux Drawing mais les prétentions et ambitions de cette toute petite capsule étaient tellement plus grandes que les nôtres.
Cette après-midi se termine par une sieste. C’est un temps normalement prévu à l’entretien des câblages de Drawing mais après tout, que pourrait-il nous arriver ?
***
Par ennuie, je m’oblige à effectuer cette tache pénible physiquement. Il est presque Dix Neuf Heure.
En face de moi se trouve l’ordinateur central de Drawing, il ressemble à une façade pleine de boutons et d’interrupteurs lumineux où toutes indications sont représentées par des chiffres et des lettres isolées, des équations complètes. Le trois quart de cette interface m’est à présent inconnu. Mais le plus amusant de cette étrange machine se trouve juste derrière. C’est un placard à balais noir, où traînent des centaines de câbles de couleurs qui rendent périlleuse l’entrée de ce donjon. Il est impératif de rentrer à l’intérieur avec une lampe frontale puissante. Je suis également équipé d’une mallette d’outils réservée à cet enfer. Je la laisse toujours à l’extérieur, pour ne surtout rien perdre.
La tache est en apparence simple, vérifier que chaque câble ou fibre soit bien relié au bon équipement, c’est un travail à fournir une fois par semaine. Mais en pratique, ça dure des heures et des heures. Je suis obligé de me référer à un manuel d’utilisation de plusieurs centaines de pages pour retrouver l’utilité de chaque branchement. Il est vrai que depuis quelques années, je me contante de vérifier que tout soit branché, et ça s’arête là.
A force, un amas de poussière me donne mal au nez, je ne peux rien toucher sans avoir les doigts qui collent, ce qui n’est à priori pas très rassurant.
Drawing est d’un complexe qui me donne le tournis.
Je balais le mur de câble d’un côté à l’autre, je ne vois aucun fil débranché. En réalité j’ai un peu du mal à croire qu’un câble puisse se débrancher tout seul et même, se brancher au mauvais endroit seulement pour donner du travail aux astronautes. Il me paraît tout aussi complexe qu’un nuisible puisse venir manger les branchements et causer des dysfonctionnements. Il y a des rats dans l’espace ?
Comme d’habitude, je soulève la première page de mon manuel. Je relis régulièrement une liste de taches à effectuer, après avoir fait semblant de vérifier toutes les connexions, on me demande de nettoyer chaque port entrant. La poussière atteste que je n’ai pas fait ça depuis bien trop longtemps. De toute façon, à qui ce problème pourrait nuire ? Je porte des gants, et c’est tout.
Au bout de vingt minutes seulement, je ressors de la salle de branchement non sans difficulté puisque je n’arrête pas de me prendre les pieds dans les câbles qui dorment par terre. L’ordinateur va très bien, j’y retournerais peut-être le mois prochain.
Cette journée était aussi lasse que les autres, mais vient enfin le réconfort. C’est l’heure de manger un délicieux sachet de protéine et de vitamine qui n’a ni goût ni odeur. Je pourrais très bien me servir de cette splendide cuisine toute blanches pour me préparer un bon petit repas, mais tout comme les rats et les souris, il n’y a pas de délicieux steak qui court dans l’espace, ni de très bon poissons qui nage entre les astéroïdes. Cette cuisine et le plus frustrant de tous les mensonges. J’imagine que la réserve contenait des milliers de paquets de pâtes ou tout autres féculants au début de la mission, mais après deux cent ans, je n’ose même pas imaginer dans quel état se trouvent ces denrées, ou même s’il en reste. Le meilleur moyen de s’alimenter est donc devenue cet infinie ravitaillement de sachets de nutriments totalement dégueulaces. Je me couperais une main pour un morceau de chocolat.
Heureusement que Drawing tient le coup, il est plus persévérant que moi.
Annotations
Versions