02
Réveil, alimentation pas terrible, lecture d’un livre au hasard, un peu de sport, douche tiède parce que je n’ai pas suffisamment attendu que l’eau chauffe, encore une alimentation pas terrible, puis, par ennuie, une envie de sieste.
Journée typique.
Quand je suis allongé sur mon lit, il m’arrive de penser au futur, et ne rien voir. À vrai dire, je ne pense pas que la mission pour laquelle je fais semblant de travailler aurait dû durée aussi longtemps, je me pose notamment des questions sur la durée de ma vie. Mais il est possible qu’elle dure encore le double ou le tripe du temps déjà écoulé d’après les réserves extrêmes de dentifrice qui sont à ma disposition.
Mes doigts craquent un par un.
Encore le double du temps à ne croiser aucun humain, à effectuer les mêmes taches en boucles sans objectifs certain, je ne me sens pas très bien.
A la place, je pratiquerai un métier simple, qui requiert un minimum de diplôme, mais pas pour lequel je consacrerai plus de dix ans. J’aurais des enfants, deux au maximum, et une femme un peu plus jeune que moi. Je divorcerais au bout de seize ans de relation. Nous aurions une petite maison dans un quartier tranquille, et un jardin avec une balançoire, un cabanon d’outillages parce une je bricolerai un peu n’importe de quoi de façon amateur, et des fleurs le printemps. On ne s’en occuperait pas, elles fleuriraient en Mai tout simplement, et je serais heureux de les revoir chaque années. On ne serait pas spécialement riche, on aurait seulement de quoi vivre convenablement sans excès, seulement un des enfants voudrait faire des études, et une fois qu’ils seraient tous les deux partis de la maison, je me servirais de mes économies pour organiser un des voyages de mes rêves dans une destination moyennement coûteuse.
J’imagine que les gens ont des rêves un peu plus ambitieux que ça, mais je leur proposerais de venir passer ne serait-ce que vingt ans à bords de mon vaisseau, ensuite ils comprendront.
Alors que le rêve d’une nouvelle vie me glisse dans les bras de Morphée, j’entends un signal sonore qui vient du compartiment de pilotage. Un endroit où je ne suis pas allé depuis quelques mois déjà, eux mêmes espacés de plusieurs autres mois, et encore, et encore. Je pourrais ignorer le signal et laisser Drawing se débrouiller comme toujours, mais l’intrigue me prend au tripe.
Cette porte n’est jamais fermée, mais elle n’est pas grande ouverte non plus, une façon de mettre de côté la mission et de peut-être y retourner quand il se passera quelque chose.
J’observe mon siège au milieu de cette étendu vide, le post de pilotage est plus grand que ma chambre, mais aussi un peu plus sombre. J’aperçois automatiquement ce petit bouton rouge qui clignote et qui se reflète sur l’énorme pare-brise de mon verseau, je ne l’avais jamais vu fonctionner.
Je prends place dans mon siège et me munie d’un manuel d’instruction qui est toujours posé en plein milieu du tableau de bord, il me renvoie à des numéros d’alerte qui pourraient être à eux seuls des problèmes de mathématique compliqués. Je tourne d’innombrable pages, qui me renvoient à d’autres, c’est sans fin… un autre feuillet d’instruction s’impliquent, et encore, et encore… C’est pire que d’aller vérifier les câbles de l’ordinateur central.
Il y a un pétale de fleur sur mon pare-brise.
Mon cerveau est en arrêt, je crois. Un code d’erreur que je ne connaissais pas, provoque des palpitations et dérègle mon coeur. Si j’avais été une machine, j’aurais mieux encaissé l’information, je l’aurais traité avec froideur, et j’aurais suivit une procédure que j’aurais enregistré au préalable. A la place, je me lève et me rapproche de cette petite tache rouge. Une vitre terriblement épaisse nous sépare mais mon admiration n’en reste pas moins grande. Je passe d’un pilote spécial expérimenté à un enfant de six ans devant une des plus grandes merveilles du monde.
Mes mains collées vont laisser des traces, et ma respiration embue la vitre. Des questions logiques ne me viennent pas encore, le temps me sert à contempler une œuvre, et l’alerte de mon vaisseau est inaudible.
Le pétale rouge est à présent suffisamment imprimé sur ma rétine, mon cerveau se remet en marche, j’ai l’impression de revivre une bonne dizaine d’année d’enfance pour acquérir de nouveau la conscience, et pendant ces longes minutes, mes doigts craquent tous seuls. Je prend immédiatement la direction de ma chambre, le signal d’alerte est toujours tel quel. Je m’assois brusquement à mon bureau, une des roues a du mal à supporter le poids que je viens de lui infliger, puis j’ouvre mon ordinateur. Dans la précipitation, rien ne se passe, je ne l’ai pas allumé depuis des mois, la batterie doit être à plat. Je cherche le chargeur qui traine quelques par au pied de mon lit, et l’enfonce maladroitement dans le port prévu sur le côté de l’ordinateur. Et j’attends.
Avec impatience.
L’interface est bleue, et m’indique que mon appareil s’est éteint brusquement la dernière fois, que ce n’est pas recommandé, que ça pourrait abimer la batterie, bla bla bla…
Cet ordinateur est remplie de données et d’instructions, encore et toujours, en réalité il ne me sert qu’à une seule chose; remplir un journal de bords. J’ai le droit à plusieurs supports, la vidéo, l’écriture, l’enregistrement audio, mais ce que je préfère c’est écrire, ça ne m’oblige pas à me mettre en scène. La dernière archive date de cent quatre vingt quatorze jours, c’était un très court texte ou j’expliquais que j’étais en vie, et que j’attendais. Aujourd’hui mes doigts sont tremblants alors je lance une capture vidéo.
Il se passe du temps avant que je ne puisse sortir le moindre mot, ma gorge se racle à l’infini comme pour vérifier que je sais toujours parler, et mes yeux n’osent pas faire face à la caméra. Le protocole n’est pas respecté non plus, je suis censé être en tenue conforme pour ouvrir mon journal, porter mon uniforme et avoir un comportement convenable. Pour cette fois, je porte un pull noir, je ne suis pas coiffé, je n’ai pas pris de douche après mon entraînement, j’ai l’air fatigué.
Je baisse les yeux et cherche les mots pour annoncer que j’adorerais aller la récupérer, que je veux absolument l’avoir entre mes doigts et la regarder pendant des heures. Ce n’est surement pas une décision très raisonnable, quelque peu dangereux, je ne sais pas si la découverte en vaut la peine outre que pour satisfaire mon égoïsme.
« Éric Dowell, à bords de Drawing Explorer 4, nous sommes le 19 Mais de l’année… 2249. La, à l’instant, je viens de voir quelque chose de formidable à l’extérieur de mon vaisseau. J’ai entendu un signal d’alarme et je ne sais pas encore à quoi il correspond. Il sonne toujours, je vais chercher un peu plus sérieusement, mais je crois que Drawing n’a subit aucun dégât. Euh… je crois que c’est un pétale de fleur, je ne sais pas laquelle. Il y’a surement des livres sur la botanique dans la réserve, j’en ai lu énormément mais ceux-là, j’avoue ne pas m’y être spécialement intéressé. Ça faisait vraiment longtemps que je n’avais pas ouvert mon journal, il ne se passait tellement rien que j’étais en train d’abandonner l’idée de le remplir et pour tout avouer, je ne me souviens plus de l’intitulé de la mission, je vais devoir tout réapprendre. Le calendrier indique 224 ans au compteur, je ne me souviens même pas avoir passé tout ce temps. Je continue de suivre le programme de mise en forme chaque jours, et je suis les coordonnées stellaires. Je n’ai aucune idée d’où je suis maintenant, ni au bout de combien de temps Drawing décidera de faire demi tour. Je me demande même si quelqu’un se souvient qu’on m’a envoyé aussi loin et aussi longtemps. »
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