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21 Mai 2249.

Le temps passé sous l’eau est démesuré. Le minuteur hurle depuis dix minutes que le pilote doit sortir de la douche pour aller préparer le repas de midi. La préparation doit débuter à 11h30, la cuisson à 11h45, et la table doit être mise à 11h50.
 À la place, Éric danse sous l’eau tout en écoutant la musique qui vient d’une enceinte portable posée sur le lavabo.
 Étrangement, le pilote ne s’est pas réveillé de bonne heure, il a trainé dans son lit avec son livre préféré, a trainé à aller avaler une de ses solutions à mélanger pour obtenir un semblant de jus d’orange, et n’a pas spécialement fait quoi que ce soit de sa matinée. Eric semble repousser le moment où il va devoir se creuser la tête à retrouver ses compétences d’astronaute hors paire.
 Une fois propre, et au moins habillé, il récupère son carnet « DRAWING », ainsi que quelques stylo et autre documents, pour aller s’installer au poste de pilotage. Il bien sûr un café tout chaud dans la main.
 Mais voilà, une fois qu’il pose ses affaires et lève le nez pour saluer son nouvel ami en rouge, malheur…

Le pétale à disparu.

« Non ! » s’écrit le pilote en se relevant brusquement de son siège. Comme un malheur n’arrive jamais seul, dans la précipitation Eric renverse son café en plein sur son nouveau carnet le plus important. Le liquide marron imprègne les pages dans l’immédiat et le carnet devient tout de suite un buvard lourd et humide.
 « Ah ! » cri-t-il a nouveau alors qu’il croit encore pouvoir sauver son carnet.
 Le café en trop coule sur l’interface tactile du post de pilotage. Les choses ne font que d’empirer et comme le pilote est tressé, le moindre de ses mouvements est effectué dans la précipitation. La tasse s’éclate violemment au sol, parsemant des centaines de petits morceaux de verre. Le son d’éclat est de trop.
 Eric est immobile, avec son carnet dans la main, les yeux rivés sur son pare-brise à nouveau immaculé. Pourquoi n’est-elle plus ici ? Drawing a-t-il effectué une manœuvre suffisante à faire glisser le pétale, et l’expulser dans le vide ? Un vent stellaire les a t-il secoué dans la nuit ? Toutes ces recherches et ce temps passé à tout comprendre, c’était pour ce pétale rouge.

Et en à peine un jour, il est partit.

« Merde ! » hurle Eric en jetant violemment son carnet sur le tableau de bord.
 Il écrase quelques boutons sur son passage, mais sa rage ne se limite pas à ça. Eric reprend le carnet, et réitère l’attaque tout en criant des insultes diverses et variées. Ses mains sont pleines de café, pourtant il passe ses doigts dans ses cheveux et tire dessus comme un fou. Il frappe dans les morceaux de verres étalés par terre, renverse son siège, et s’en prend à nouveau à « DRAWING ». Le pauvre carnet fini au sol dans le café et de verre.
 Le déchaînement de violence est terminé au bout de deux minutes seulement et le poste de pilotage est ravagé.

Eric se met à pleurer.

***

Les yeux du pilotes sont encore rouges, et ses cheveux sont sales. Un beau châtain presque cuivré qu’il va falloir relaver. Pour l’instant, la priorité c’est son carnet, qu’il tente de faire sécher avec un sèche cheveux, assis sur la cuvette des toilettes. De temps à autre, il se frotte les yeux, le déluge pourrait repartir à tout moment.
 La bassine d’eau est installé par terre sur le tapi pour récolter les gouttes de café coulant des pages ondulées et complètement jaunes. Pourquoi avoir passé des heures à écrire dedans si c’est pour qu’il termine dans cet état ? Drawing est tellement difficile d’accès.
 Eric ne repose le sèche cheveux que lorsqu’il commence à avoir mal au poignet. Le carnet est sec, mais la forme des pages n’a plus rien à voir avec l’original. Le pilote en feuillette quelques une pour considérer les dégâts, certains mots sont effacés ou bavent vers le bas, Éric constate des petites taches d’encres qui sont logées sur la dernière lignes. Il va devoir repasser sur vingt pages de travail. En attendant, il retourne dans sa chambre et ensevelit le carnet sous plusieurs de ses plus lourds livres. Dans un ou deux jour, l’objet sera redevenu plat, en attendant, le pilote essaiera de se changer les idées. Il renonce à l’idée de boire du café, de toute façon, ce n’est jamais un vrai café, il doit puiser dans ces éternel sachets de nutriment pour avoir un goût qui y ressemble vaguement.
 Le repas est sans saveur, Eric mange entre 13h et 13h15 seulement, quinze pauvres minutes pour se nourrir, puis il retourne dans sa chambre, en face de son ordinateur. Les choses n’ont plus de goût, le feu d’artifice n’a durée qu’une seule journée.
 Pour passer le temps, Eric pense re-visionner des vidéos enregistrées dans son journal de bords, histoire de voir comment il se sentait au tout début de sa mission, et peut-être qu’il obtiendrait des informations supplémentaires sur l’objectif de son vaisseau. Mais le problème est toujours le même, il n’a pas accès aux moindres données lui appartenant sans mot de passe. Il doit pourtant être logé quelque par au fond de sa mémoire, Eric se creuse la tête, il fouille les moindres recoins et se met à essayer des mots aléatoires en rapport avec l’univers et l’espace. « DRAWING » « ESPACE » « MISSION » « NÉBULEUSE » « SATELLITE » sont trop communs et sans imagination, ils manquent également de précisions. Eric doit trouver quelque chose de plus personnelle et de plus singulier, quelque chose d’intelligent et de suffisamment complexe pour que personne d’autre que lui ne puisse s’infiltrer dans sa vie privée. Nul doute qu’au début, il devait être assez concis et rationnel, puis que plusieurs mois après il se mette à parler de moments de sa journée plus intimes, ou bien de pensées plus profondes et personnelles, des réflexions chaudes qui passent d’abords par son cœur avant d’arriver au cerveau.
 Le pilote se penche et appuie sa tête contre sa main droite, faisant pivoter d’un côté à l’autre son fauteuil à roulettes. Il fixe les touches du claviers et imagine avec précision quel mot il pourrait taper sans réfléchir, quelles sont les positions les plus évidentes pour ses doigts, un chemin logique et répété.

Rien ne lui vient. Rien.

La frustration de remplir un document sans jamais pouvoir le consulter est terrible. Les traces laissées sont faites pour être vues, peu importe après combien d’éternités.

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