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Cette boite de crayon de couleur est minuscule. Quelle idée d’avoir pensé à chargé à bord d’un vaisseau spatial le minimum de l’équipement artistique, comme si les astronautes n’avaient que ça à faire…

La marque n’a pas l’air terrible, le packaging est réduit au minimum et le grain est très peu pigmenté. Eric force très fort sur le papier pour laisser une trace, si bien qu’il casse trois fois la mine du crayon rouge. C’est peut-être aussi parce que l’humidité a abimé les pages du carnet.

S’il est inutile de s’enregistrer dans un carnet de bord sécurisé, et bien le pilote décide de revenir à un moyen plus conventionnel. Il écrit dans un carnet qui ne lui demandera pas le moindre mot de passe pour l’ouvrir. C’est ce pauvre ouvrage noyé par le café qui reçoit l’honneur de porter les écrits d’Eric, et aujourd’hui, il héberge un dessin approximatif de fleur rouge. Le pilote tente d’imaginer à quoi pouvait ressembler cette plante au complet, l’aperçu d’un simple pétale lui fait tourner la tête dans une spirale de rêve et d’imagination.

La mine casse encore une fois.

« Rha ! » souffle Eric en se levant de sa chaise.

Il abandonne le dessin, ce n’est vraiment pas fait pour lui, il devrait même s’excuser envers ce pauvre carnet de le massacrer une nouvelle fois.

Empli de frustration, le pilote quitte sa chambre, il ne veut pas voir son bureau du reste de la journée ni même le moindre document relatif à Drawing. A la place, il fait le tour des zones communes de son vaisseau. Il longe les vitres et observe le vide à l’extérieur. Aucune lumière n’est là pour l’éclairer, pas le moindre soleil ou nébuleuse colorée comme on voit dans les films ou dans les livres. L’espace fat rêver, mais la réalité est juste toute noire.

Les vitres sont proportionnelles à la taille du vaisseau, avec une hauteur de plus de deux mètres, Éric ne les nettoie plus entièrement depuis bien longtemps. De la poussière s’accumule sur les cadres mais heureusement que le manque de lumière cache la misère. Ce couloir est le plus long, il traverse presque toute la longueur de Drawing jusqu’à la réserve. Il ne compte pas moins de cent quarante fenêtres identiques les unes à côté des autres.

Eric a le sentiment que de passer d’une fenêtre à une autre lui donne une nouvelle chance de voir quelque chose, mais à chaque fois, c’est le noir qui règne. Peu importe s’il change rapidement de vitre, ou s’il prend son temps, il n’y a jamais rien. Il y a bien des centaines de métiers dans le monde ou on peu regarder le paysage par la fenêtre, même s’il fait nuit, et où on peut apercevoir des arbres, des rues, des gens qui passent, un ciel bleu, rose ou jaune.

Pas quand on est astronaute.

Eric pense que c’est parce que la découverte à un prix. Se priver du commun pendant longtemps lui offrira forcément une explosion de joie à l’idée de voir quelque chose de nouveau et d’incroyable. Il espère bien que ce sentiment sera à la hauteur des deux cent ans passés dans le vide.


Sur la cinquante quatrième vitre, le pétale rouge est collé, bien étalé.


Tout a basculé entre le noir et le blanc tant le rouge de ce pétale est stupéfiant. A chaque fois. Ce doit être une partie du remboursement.

Afin d’examiner la véracité de cette vision miraculeuse, Eric se rapproche et pose ses deux mains sur la vitre exactement de la même façon que la première fois, son visage est vraiment proche. C’est vrai, le pétale rouge est là, il n’était pas partit très loin finalement. Quel sourire étrangement soulagé il adopte, pire qu’un enfant ou quelqu’un qui viendrait d’évacuer la plus grosse crise d’anxiété de sa vie, en une seule expiration.


Éric est assit contre le mur pendant près de deux heures, à scruter le pétale. Son coeur bat tout doucement, et il s’entend expirer longuement. A force, il pourrait finir par s’endormir.

Sa position n’est pas adaptée, son dos ne tarde pas à passer des messages d’alerte et ses jambes perdent en sensibilité. Et puis ?

Tout va bien. En plus de ce précieux pétale, des bourgeons fleurissent autour de la vitre, ils couvrent différentes tintes de rouges et de roses, et l’odeur qu’ils émanent est la plus agréable qu’Eric n’ait jamais sentit. Elle lui arrive dans un doux courant chaud qui lui frotte les joues. Son visage rougit et Eric aimerait rire de façon niaise, ça lui fait tellement de bien.

L’univers redevient noir lorsque le pétale se décolle de moitié. Le visage d’Eric devient complètement blanc, toute les couleurs coulent.

« Non. »

Le pétale perd encore de l’adhérence, Eric se lève d’un bond. C’est exactement à ce moment là que le temps passe plus vite.

Le pétale se décolle et fille vers l’arrière du vaisseau, il s’écrase cinq vitres plus loin. Eric se met à courir à ses trousses.

« Reviens. »

Le pétale ne reste pas bien longtemps sur la cinquante neuvième vite, il repart à vivre allure, le pilote n’a pas le temps de s’arrêter.

« Reviens. »

La course poursuite dure sur toute la longueur du couloir, les jambes d’Eric lui provoquent un tremblement dont il ne comprend pas le bienêtre. Des vibrations qui lui remontent jusqu’à la tête, qui secouent son cerveau d’une façon différente. La totalité de ses organes internes en redemandent.

« Reviens. »

Le pétale ne se dépose pas sur la dernière vitre, il disparaît vers l’arrière de Drawing, et depuis cette fenêtre, Eric ne le voit plus. Il frappe sur le verre d’un poing serré.

« Reviens ! J’en ai besoin, reviens ! »

Avant de prendre une toute autre décision un peu plus intelligente, Eric hurle comme un fou à ce petit pétale de revenir, il gratte les joins de la vitre à s’en casser les ongles, il frappe devant lui rebondissant à chaque fois sur le verre blindé.

Le temps passe. Eric pousse enfin cette porte qui le mène à la réserve. Malheureusement ici, aucune fenêtre. Il court entre les allées en métal, renversant tout un tas de choses sur son passage sans même se retourner pour voir de quoi il s’agit. Il cherche la moindre ouverture qui pourrait le mener plus loin encore, dans des endroits cachés de Drawing quels qu’ils soient. Mais il ne trouve rien, et se retrouve à tourner en rond dans la réserve. A tout moment, le pétale pourrait disparaître pour de bon. Eric a encore l’espoir qu’elle se soit bloqué quelque part sur une des ailes du vaisseau, bien que le pilote ne se souvienne absolument pas de l’allure de Drawing.

Rien. Eric tourne sur lui-même, il est perdu au beau milieu de millier d’objets tous plus inutiles les uns que les autres. Ne sachant plus quoi faire, et par colère, il donne un coup de pied dans une des étagères en métal contre le mur.

« Merde ! »

L’armature de l’étagère cede complètement et des dizaines d’ouvrages d’informatique s’effondrent sur le sol carrelé froid. Mais une seule ne suffit pas, le pilote détruit une autre armoire de savoir alors que les larmes lui viennent.

L’espoir vient de derrière ce meuble ci, les livres traitent de compétences en algébrique et d’encore d’autres ragots de mathématique. Une porte grise qui semble n’avoir rien de spécial et sur laquelle de la moisissure nait du bas. Une ouverture dont il n’avait même pas connaissance, ou bien c’est un souvenir volatilisé comme les autres.

Éric s’y précipite, sa poigne n’avait jamais contracté.

Il y découvre une sorte de vestibule qui porte les traces de plusieurs passages. Des documents sont étalés sur une table en bois et des stylos à billes traînent dans les coins, des livres sont ouverts et annotés, il y a même une tasse de café non terminée. Le liquide est devenu verdâtre et il est possible que des champignons soient en train de pousser sur les parois de la céramique.

Mais ce n’est pas ces récents passages ou non qui intéressent le pilote, Éric attrape d’une main la table en bois et la pousse vers le mur ou se trouve la seule fenêtre de la cabine, en hauteur. Par chance, lorsqu’il monte sur la table et piétine les documents, il voit l’aile supérieure de Drawing, ainsi que le pétale qui s’est coincé entre deux jointures blanches. La luminosité est très faible, il n’y a que le vaisseau qui s’éclaire lui-même grâce à quelques led bleues.

« Le chercher, je vais aller le chercher. »

Le pilote ne détache pas un seul instant son regard du pétale, il craque ses doigts pendant que son cerveau cherche une solution pour sortir récupérer son précieux trésor.





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