15 - Cristaux

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La vie de Délie était devenue un enfer depuis qu’elle avait volé ces cristaux. Dans son supplice, impuissante à se débattre, elle avait eu tout le temps d’y réfléchir et d’en arriver à cette conclusion. En plus de comprendre pourquoi cela lui arrivait à elle, cela lui permettait de s’évader, en pensée, et de retarder la nuit où elle deviendrait folle à lier.

Elle avait volé des cristaux, et depuis elle en payait le prix, un bien lourd tribut.

Aussi bidon que pouvait paraître l’argument, elle n’avait pas pensé à mal. Elle avait juste voulu emporter un petit quelque chose de chez Volodia, son voisin, camarade de lycée et accessoirement le garçon dont elle était secrètement amoureuse depuis la maternelle. Ils n’étaient pas amis malgré toutes ces années à se croiser, mais il était toujours gentil avec elle, et elle grappillait les moments où, au détour de leur rue, il décidait d’échanger quelques paroles avec elle. Lorsqu’il lui avait proposé de faire leurs devoirs ensemble pour rattraper leur sale note en algèbre, elle avait sauté sur l’occasion.

Volodia était plutôt apprécié au lycée, malgré sa réputation de type un peu excentrique. Ni populaire ni paria, ni même transparent. Neutre. Et cela lui convenait bien. Il avait tout le temps de profiter du lycée et de son temps libre pour ses hobbies, sans crainte de tomber sur des harceleurs. Quant à Délie, elle avait la joie de ne pas voir une nuée de groupies lui tourner autour.

Il avait donc des passe-temps inhabituels pour son âge : la photographie, la méditation, la lecture de vieux textes, les vertus des pierres et cristaux, etc… C’était plutôt singulier pour un adolescent, et personne ne comprenait ce qu’il pouvait trouver à ces domaines. Délie se questionnait tout autant, mais cela le rendait plus attirant à ses yeux. Elle aimait le mystère.

Voilà pourquoi, pendant leurs devoirs dans la chambre de Volodia, elle profita d’une brève absence pour lui subtiliser deux cristaux, d’un noir profond et aux arêtes tranchantes. Elle apprit par la suite, grâce à Internet, qu’il s’agissait d’obsidienne, du verre volcanique. Des sources plus occultes du Net lui apprirent que cette pierre était très commune mais également très prisée en magie. Des illuminés s’amusaient à en faire des miroirs censés être dotés de pouvoir. Cela ma fit rire, mais pas longtemps hélas.

À défaut de miroir, les éclats volés étaient la prison cristalline d’une affreuse entité qui s’attaqua à Délie quelques nuits après son… délit. La créature trouva le jeu de mots très drôle lorsqu’elle maintint l’adolescente sur son lit et lui cracha ses accusations au visage.

« Tu mérites d’être punie, voleuse… », souffla-t-elle ensuite dans l’obscurité de la chambre, plus épaisse du fait de sa présence qui avalait les rares sources de lumière.

Lorsque la chose se matérialisait, les rayons de la lune ne filtraient plus à travers les rideaux, pas plus que la lumière orangée des lampadaires dans la rue. Il n’y avait plus qu’elle et sa noirceur écrasante, et Délie entre ses griffes. Et chaque nuit devint un cauchemar auquel elle ne pouvait échapper.

Elle était à la merci d’un incube bien déterminé à se nourrir d’elle jusqu’à ce qu’elle tombe en poussière. Lorsque le matin se levait enfin et que la créature s’abritait dans les éclats d’obsidienne, la jeune fille était blême d’épuisement et d’horreur, incapable de se confier à ses parents, à son frère ou même à Volodia. Son voisin savait-il quelles pierres maléfiques il avait en sa possession ? Se doutait-il de ce qu’elle pouvait subir, sous son habituel sourire qui ne la réchauffait plus lorsqu’ils se croisaient dans la rue ?

Lorsqu’elle essayait de tout dire ou même de cracher des reproches à quiconque lui parlait gentiment et ne voyait pas sa déchéance, sa langue se collait à son palais et elle se sentait étouffer. Était-ce la magie maléfique de l’incube qui la muselait, ou bien sa propre honte ?

Et combien de temps allait-elle tenir avant de perdre la raison ou mourir d’épuisement sous les assauts inépuisables de la créature ?

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