16 - Plume
L’oisillon que Séraphine avait ramassé ne ressemblait à rien de ce qu’elle connaissait jusque-là. Et pourtant, elle était passionnée d’ornithologie. C’était d’ailleurs en quête de Gros-bec casse-noyaux et surtout pour combler sa solitude qu’elle s’était aventurée dans la forêt et avait trouvé ce petit être pépier faiblement. Ni une ni deux, elle l’avait aussitôt ramené chez elle, à l’orée de la forêt.
Il avait certes la peau toute rose, encore nue et fragile, mais c’était tout. Son bec était d’une longueur effarante, l’extrémité piquante comme une aiguille, d’une couleur bleu vif encore plus anormale. Son postérieur présentait un appendice allongé et sa tête était large avec des protubérances au-dessus de ses yeux encore clos et aveugles, où perçaient deux points lumineux à travers la membrane.
Était-ce un oisillon malformé et abandonné par sa mère par sélection naturelle ? Séraphine n’avait pas d’autre hypothèse et, bien qu’inquiète face à ce spécimen, elle ne se sentait pas la force de le céder à la mort. Elle redoubla donc d’efforts pour le nourrir et pour trouver des réponses dans sa bibliothèque. De son grand-père Séraphin, elle avait hérité du prénom, de la passion pour l’ornithologie mais aussi de superbes ouvrages à la reliure fatiguée par d’innombrables heures de lecture.
Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle trouva, parmi ce formidable legs, un tout petit livre qu’elle n’avait jamais remarqué tant il ne payait pas de mine. Il n’était pas imprimé mais écrit à la main, et elle y reconnut le style caractéristique de Grand-Père Séraphin qui en savait beaucoup plus qu’il ne le laissait prétendre. Ou qui semblait être doté d’une imagination débordante.
Sinon, pourquoi aurait-il rempli des pages et des pages sur des oiseaux mythologiques, comme s’il les avait côtoyés et étudiés ?
Et pourquoi y avait-il une rubrique sur son oisillon au bec bleu vif ?
Pourquoi Séraphine décida-t-elle de suivre les directives du livret pendant des jours et des jours, jusqu’à ce qu’il gagne en vigueur, que ses yeux lumineux s’ouvrent pour se poser sur elle et la désigner comme sa mère ?
Pourquoi ne s’étonna-t-elle pas lorsqu’un matin, elle trouva une unique plume du même bleu que le bec sur le corps allongé de l’oisillon à qui il poussait également une queue reptilienne et une crinière luminescente ?
La plume tomba et Séraphine décida de la porter en guise de boucle d’oreille. D’autres poussèrent en un magnifique camaïeu bleuté, passant de l’outremer au céruléen jusqu’aux nuances les plus pâles du bleu dragée. Celle de Séraphine virait à l’azur et faisait briller de fierté ses yeux bruns.
Un jour, le faible oisillon devint une magnifique créature issue des contes et légendes. Elle déploya ses ailes dans les profondeurs de la forêt et veilla sur les promenades de sa maman de substitution. Plus jamais, Séraphine ne connut les tristes promenades en solitaire car jamais son griffon ne la quitta.
Annotations