Facile, ce thème-là, vous me direz. Après tout, il existe tellement d’histoires de ce type, avec une poupée hantée qui sème la peur voire la destruction sur son sillage, souvent une pauvre famille qui n’a rien demandé. Vous connaissez tous Chucky, Annabelle, Robert et même cette petite saloperie de pantin dans Chair de Poule. Pas la peine donc de parler de ces horreurs pendant des plombes.

Je trouve dommage que personne ne parle des bons côtés de cette forme de magie ou de possession. Oui, parfois l’objet est seulement animée par un sortilège, et parfois il renferme une âme. Ça peut changer beaucoup de choses, ne serait-ce pour tenir la conversation. Essayez de parler avec un simple enchantement : la poupée vous fixera de ses yeux peints et stupides et continuera de bouger comme il lui a été commandé. En revanche, avec une âme réincarnée, c’est tout de suite plus intéressant.

Certaines ont du mal à retrouver des capacités cognitives et leur habileté d’antan, quand elles avaient encore un corps de chair et de sang. On pourrait ça drôle de les voir se cogner et bouger maladroitement sur leurs petites jambes de tissu ou de plastique, et de ne pas savoir aligner deux mots. Personnellement, je trouve ça triste, du moins selon les circonstances.

Un monstre qui a abrité son âme dans un poupon pour fuir les représailles de ses atrocités, autant dire que quand je mets la main dessus, je le défais fil par fil ou bien je fais fondre lentement son corps de celluloïd. Une personne arrachée de force à son corps en guise de cobaye ou qui, dans son chemin vers l’autre côté, s’est trompée de route et accrochée à ce qui ressemblait le plus à son enveloppe originelle, oui, ça me fait de la peine.

J’ai donc beaucoup de poupées chez moi. Mes proches pensent que je n’ai pas grandi ou bien que j’éprouve un désir de maternité inassouvi par ma stérilité. Il n’en est rien. Je me suis juste donné pour mission de composer cette étrange collection. Je chine dans les vide-greniers et autres petites échoppes, je sonde les poupées et, quand j’y sens une âme, l’amène chez moi et la juge.

J’en ai puni, des criminels qui croyaient s’en sortir grâce à ce stratagème, une transition avant de trouver un nouveau corps organique à posséder. Certains tordus voulaient même rester des poupées pour perpétuer leurs horreurs, l’un d’eux aimait l’idée de prendre ma place et voir s’il était possible d’échanger nos corps. Je déteste vraiment les films Chucky depuis ma rencontre avec cette petite merde.

Quant aux autres, les innocentes, je leur offre ma protection. Elles peuvent vivre en toute quiétude sous mon toit, avec moi et leurs compagnons d’infortune qui, d’ailleurs, coûtent une fortune, matériellement parlant. On m’a déjà contactée pour me racheter mes poupons anciens. Dans leurs rêves.

Le plus triste, c’est quand mes petites âmes égarées ne veulent pas de cette nouvelle vie et me demandent de les aider à quitter cette enveloppe qui ne leur sied pas. Là aussi, j’ai une longue liste de petites victimes. Je n’ai oublié aucun de leur nom et, ne pouvant continuer de les regarder, je les ai enterrées dans mon jardin, avec tous les vrais bébés que j’ai perdus, du temps où j’essayais d’enfanter.

C’est déprimant, peut-être même bizarre et ridicule à vos yeux, mais c’est le chemin que j’ai choisi et je ne cesse d’y avancer avec le plus grand sérieux.