Chapitre 1

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La mer était calme ce soir-là, une étendue infinie où le ciel et l’eau semblaient se fondre dans une danse silencieuse. La ville endormie n’entendait que le murmure des vagues, un rythme familier qui berçait les âmes jusqu’à l’aube. Mais Gabriel, lui, ne dormait pas. Assis sur une vieille caisse en bois à l’intérieur de sa cabane secrète, il fixait la toile devant lui. La peinture fraîche s’accumulait en couches épaisses, mêlant des nuances de bleu et de rouge. Pourtant, son regard se perdait ailleurs, bien au-delà des couleurs.

Il pensait à Elias.

Cela faisait des années qu’ils partageaient cette amitié étrange, à la fois simple et complexe, comme une étoile solitaire dans un ciel vide. Elias, avec ses mains pleines de carnet et ses yeux toujours tournés vers les étoiles. Elias, qui avait ce sourire rare mais si précieux, un sourire qui semblait contenir des galaxies entières. Gabriel soupira, le pinceau suspendu dans l’air. Il savait que cette toile serait différente. Ce n’était pas un paysage. Ce n’était pas un rêve. C’était lui. Elias.

Son regard glissa vers une autre toile, appuyée contre le mur, à moitié recouverte par un drap. C’était un portrait de Sofia, capturée dans toute son exubérance, son rire vibrant presque palpable à travers les teintes éclatantes d’orange et de jaune. Il se souvenait du jour où il l’avait peinte, au café "Les Fragments de Lumière". Sofia avait insisté pour poser, assise à une table, une tasse de thé dans une main et un crayon dans l’autre. Elle n’avait pas arrêté de parler pendant des heures, commentant chaque trait, chaque couleur. "Fais-moi belle, mais pas trop. Je veux être réelle, pas parfaite," avait-elle dit en riant. Gabriel avait souri. Avec Sofia, la perfection n’avait jamais eu besoin d’être inventée.

Une autre peinture, juste à côté, représentait Léon. Cette toile était différente, plus sobre, presque mélancolique. Gabriel l’avait peinte un après-midi pluvieux à la bibliothèque du port. Léon lisait un livre ancien, ses doigts effleurant les pages avec une attention presque religieuse. Gabriel n’avait pas pu s’empêcher de capturer ce moment, fasciné par la sérénité de son ami. Mais en regardant le portrait aujourd’hui, il se demandait s’il avait aussi immortalisé la solitude cachée dans les yeux de Léon, une solitude qu’il n’avait jamais osé évoquer à voix haute.

Et puis, il y avait Amara. Le tableau était plus vibrant, presque chaotique, avec des éclats de rouge et de violet qui semblaient danser sur la toile. Il l’avait peinte au sommet de la jetée des courageux, un jour où la mer était déchaînée. Amara se tenait là, défiant les vagues, les cheveux au vent et les bras écartés comme pour défier le monde entier. "Si tu veux me peindre, Gabriel, tu dois capturer ma force," avait-elle dit. Et il l’avait fait, mais pas comme elle l’imaginait. Car dans sa force, il avait aussi vu une fragilité qu’elle cachait soigneusement, et qu’il avait laissé transparaître dans les ombres de la peinture.

De toutes ces toiles, celle d’Elias était la plus intime, la plus effrayante à terminer. Avec Sofia, Léon, et Amara, il avait peint des instants, des fragments de leur vie. Mais avec Elias, c’était différent. Chaque coup de pinceau semblait révéler une vérité qu’il n’était pas encore prêt à affronter. Le regard sur la toile n’était pas celui d’un ami, mais d’un garçon qui avait capturé son cœur, un garçon qu’il ne savait pas encore comment aimer.

Dehors, un bruit de pas sur les galets le tira de ses pensées. Il se figea. La cabane était son refuge, un sanctuaire qu’il avait juré de garder secret. Personne n’était censé savoir qu’il venait ici. Mais avant qu’il ne puisse réagir, la porte grinça doucement, laissant entrer une silhouette familière.

— Tu pensais vraiment que je ne finirais pas par te trouver ? demanda Elias avec un sourire en coin, les mains dans les poches de sa veste.

Gabriel sentit son cœur s’arrêter. L’espace exigu de la cabane sembla se rétrécir davantage. Elias s’avança, ses pas résonnant légèrement sur le plancher de bois. Il jeta un coup d'œil autour de lui, remarquant les peintures accrochées aux murs, les pinceaux éparpillés, et surtout, la toile encore humide posée sur le chevalet.

— Tu es vraiment doué, murmura-t-il. Mais pourquoi te cacher ?

Gabriel voulut répondre, mais sa gorge était sèche. Comment pouvait-il expliquer que cet endroit était plus qu’un atelier ? Que chaque coup de pinceau, chaque couleur choisie, n’était qu’une tentative désespérée de capturer ce qu’il n’arrivait pas à dire ?

— Je ne me cache pas, répondit-il finalement, la voix basse. J’aime juste être ici, seul.

Elias haussa un sourcil, amusé. Il s’approcha de la toile, et Gabriel sentit son estomac se nouer. Il voulait l’arrêter, mais ses jambes refusaient de bouger. Elias inclina légèrement la tête en observant les traits encore frais. Puis son sourire disparut.

— C’est… moi ?

Le silence qui suivit fut plus lourd que n’importe quelle tempête. Gabriel se maudit intérieurement. Pourquoi n’avait-il pas couvert cette peinture avant de partir ? Pourquoi avait-il laissé Elias entrer ? Mais maintenant, c’était trop tard. La vérité était là, exposée sur la toile comme une étoile éclatante dans une nuit sans nuages.

— Oui, répondit-il enfin, presque dans un souffle.

Elias ne détourna pas les yeux de la toile. Ses doigts frôlèrent un instant la peinture, mais il se retint de la toucher. Quelque chose dans son expression changea, comme une étoile qui vacille un instant avant de briller plus fort.

— C’est beau, dit-il doucement. Mais pourquoi moi ?

Gabriel détourna le regard, incapable de soutenir celui de son ami. Il chercha une réponse, une excuse, une échappatoire, mais rien ne vint. Finalement, il haussa les épaules, un rire nerveux échappant à ses lèvres.

— Peut-être parce que tu es toujours dans ma tête.

Elias se tourna vers lui, surpris par l’honnêteté brutale de cette réponse. Il ouvrit la bouche pour parler, mais aucun mot ne vint. À cet instant, la lumière d’une étoile filante traversa le ciel, visible à travers la fenêtre brisée de la cabane. Les deux garçons levèrent les yeux instinctivement, le moment suspendu entre eux.

— Une étoile filante, murmura Elias.

— Fais un vœu, répondit Gabriel.

Elias baissa les yeux vers lui, un sourire énigmatique sur les lèvres.

— Je crois que je n’ai pas besoin de vœux ce soir.

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