Chapitre 2
Le lendemain matin, Gabriel se réveilla dans un état semi-conscient, l’esprit embrouillé par des fragments d’images qui flottaient encore dans sa tête. La cabane. La toile. Elias, debout devant , son sourire en coin et ses mots qui résonnaient encore : "Je crois que je n’ai pas besoin de vœux ce soir."
Il ouvrit lentement les yeux, le regard perdu dans le plafond blanchi par les rayons dorés du soleil. Sa chambre était baignée d’une douce lumière matinale, mais tout autour de lui trahissait son désordre habituel. Un carnet ouvert reposait sur son bureau, griffonné de croquis oubliés. Un pinceau taché de bleu séché roulait près de sa lampe de chevet. Et l’odeur familière de peinture, douce-amère, emplissait encore l’air.
Gabriel soupira. Il tourna la tête vers son réveil, une vieille horloge numérique dont les chiffres rouges semblaient le narguer. Il était en retard. Encore. L’adrénaline monta en flèche, balayant son état de torpeur. Il bondit hors du lit, attrapa un pull gris froissé et un jean abandonné sur sa chaise, puis s’empressa de descendre les escaliers.
Dans la cuisine, le bruit du percolateur résonnait doucement, se mêlant à l’odeur familière du café et des toasts grillés. Sa mère, encore en robe de chambre, feuilletait distraitement un magazine de décoration, un sourire amusé aux lèvres lorsqu’elle vit son fils débouler comme un ouragan.
— Tu vas encore arriver en courant, hein ? lança-t-elle en secouant la tête.
— Comme d’hab’, répondit Gabriel en attrapant un morceau de pain à moitié tartiné.
Il ne lui fallut que quelques secondes pour enfiler ses baskets et franchir la porte. Le froid vif de l’extérieur le frappa immédiatement, le vent marin s’insinuant sous son pull et lui piquant la peau. L’odeur salée de la mer et celle, plus âcre, des pins bordant le chemin lui rappelèrent à quel point leur petite ville était ancrée dans la nature. Tout était familier ici : les maisons de pierre blanches avec leurs volets colorés, les petites ruelles pavées, et, au loin, le grondement constant des vagues.
En arrivant au lycée, Gabriel se sentit happé par l’agitation de la cour. Des éclats de voix, des rires et des appels résonnaient dans l’air. Les groupes d’élèves se formaient comme des petites constellations mouvantes, éparpillées entre le terrain de basket et les bancs ombragés. Une légère odeur d’herbe fraîchement coupée et de craie humide flottait autour du terrain, où quelques joueurs s’échangeaient des passes rapides en criant pour se motiver.
Gabriel balaya la cour du regard jusqu’à apercevoir Sofia, assise sur un banc près des arbres. Ses jambes croisées, elle griffonnait dans son carnet, un crayon coincé entre ses lèvres. Elle avait cette capacité étrange à ignorer le chaos qui l’entourait, comme si elle vivait dans sa propre bulle créative.
— Eh bien, tu n’as pas une tête de déterré, toi ? lança-t-elle en relevant les yeux lorsqu’il s’approcha.
— Mal dormi, répondit-il en haussant les épaules.
— T’as encore passé la nuit à peindre, hein ? Allez, raconte-moi tout. Qu’est-ce que tu mijotes ?
Gabriel sentit ses épaules se raidir. La cabane, la toile, Elias... Tout ça était trop proche, trop fragile pour qu’il en parle.
— Rien de spécial, mentit-il. Juste des trucs abstraits.
Sofia plissa les yeux, comme si elle essayait de lire dans ses pensées. Après un moment, elle haussa les épaules et referma son carnet avec un claquement sec.
— Si tu le dis. Mais je veux voir ça bientôt, ok ? Oh, au fait, j’ai croisé Amara. Elle est déjà en train de massacrer des joueurs à la salle d’arcade avant les cours. Tu crois qu’elle a oublié l’existence de l’école ?
Leurs rires s’entremêlèrent au brouhaha ambiant alors qu’ils traversaient la cour en direction du bâtiment principal. Les conversations, les bruits de casiers qui claquaient, et les éclats de rire des groupes d’amis créaient une atmosphère vibrante et familière.
Gabriel n’avait pas besoin de lever les yeux pour sentir sa présence. En avançant dans le couloir, il savait qu’Elias était là, quelque part.
Et il ne tarda pas à le trouver. Adossé à son casier, Elias discutait avec Léon, ses gestes calmes et fluides. Sa veste en jean légèrement délavée s’accordait à merveille avec son air détendu. Ses cheveux, comme toujours légèrement ébouriffés, semblaient capter la lumière du matin. Gabriel sentit une boule se former dans son estomac.
Elias tourna la tête, croisant le regard de Gabriel. Le sourire en coin qu’il lui adressa suffit à faire vaciller Gabriel. Ce sourire n’avait rien d’hostile, rien d’éloigné. C’était un sourire qu’il réservait pour lui, et lui seul, ou du moins c’est ce que Gabriel espérait.
— Eh, Gabriel, tu viens ? appela Sofia depuis l’autre bout du couloir.
Il détourna les yeux, presque soulagé d’avoir une excuse pour s’éloigner. Pourtant, même en rejoignant Sofia, il jeta un dernier coup d’œil par-dessus son épaule. Elias continuait de parler avec Léon, mais son sourire restait accroché à ses lèvres, comme une étoile scintillant dans un ciel immobile.
Les cours du matin passèrent dans une sorte de torpeur. Le grattement des stylos sur les feuilles, le raclement des chaises sur le sol, et les soupirs collectifs des élèves rythmaient chaque heure. Gabriel essayait de se concentrer, mais ses pensées revenaient sans cesse à Elias.
Il repensait au premier soir où Elias l’avait emmené observer les étoiles. Ils avaient à peine douze ans. Allongés sur une couverture dans l’herbe humide, ils avaient passé des heures à parler de la Voie lactée, des constellations, et des mystères de l’univers. Elias avait pointé une étoile brillante du doigt, expliquant qu’elle s’appelait Vega. "Elle est là depuis des milliers d’années," avait-il dit avec admiration. Gabriel, cependant, n’avait pas regardé l’étoile. Il avait fixé Elias, fasciné par la passion qui illuminait son visage.
À la pause, la cour était animée. Des rumeurs circulaient, mêlées aux éclats de rire et aux cris joyeux des élèves qui se rassemblaient en petits groupes. L’odeur des sandwichs et des chips flottait dans l’air, et quelque part, un ballon rebondissait sur le béton avec un bruit sourd.
Amara arriva en trombe, un paquet de chips à la main, le sourire triomphant.
— Ok, les losers, devinez qui vient de pulvériser le record de Space Invaders à l’arcade ce matin ? lança-t-elle, essoufflée.
— Encore toi ? soupira Léon, son livre à moitié ouvert sur les genoux.
C’est alors qu’Elias rejoignit leur groupe, une bouteille d’eau à la main.
— Vous avez entendu parler de la pluie de météores ce week-end ? demanda-t-il.
Gabriel releva la tête. Une pluie de météores. Un événement rare, précieux. Leurs regards se croisèrent à cet instant.
— Tu seras là, toi ? murmura Elias, presque imperceptiblement.
Gabriel sentit son cœur battre plus fort.
Ce week-end. Sous les étoiles.
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