chapitre 3
Le jeudi soir arriva plus vite que Gabriel ne l’aurait cru. Toute la journée, il avait senti une légère tension dans l’air, quelque chose qu’il n’arrivait pas à identifier. Peut-être était-ce simplement le poids de la pluie de météores qui approchait, ou peut-être autre chose qu’il n’osait pas nommer.
À la fin des cours, il rejoignit le petit groupe habituel dans la cour. Sofia était en train de gribouiller un dessin sur son carnet tandis qu’Amara discutait avec animation d’une nouvelle série qu’elle venait de découvrir. Léon, fidèle à lui-même, lisait un livre, bien que son attention semblait fluctuer au rythme des éclats de voix d’Amara. Et puis, il y avait Elias.
Assis sur le rebord d’un muret, Elias jouait distraitement avec la lanière de son sac. Ses cheveux semblaient capturer les derniers rayons de soleil de la journée, et son regard était perdu quelque part au loin, comme s’il suivait un fil invisible dans ses pensées.
— Alors, t’es prêt pour ton cours de chant ? demanda Amara soudain, coupant Gabriel dans sa contemplation silencieuse.
Elias releva la tête et lui adressa un sourire.
— Toujours. C’est mon moment préféré de la semaine.
Gabriel se redressa légèrement. Cours de chant ? Il n’en avait jamais entendu parler.
— Depuis quand tu prends des cours de chant ? demanda-t-il, essayant de garder un ton détaché.
— Depuis quelques mois, répondit Elias avec un léger haussement d’épaules. Tous les jeudis et vendredis soirs. C’est une petite salle près du port. Rien de trop sérieux, mais ça me détend.
Gabriel hocha la tête, mais un léger picotement d’incertitude s’installa dans son esprit. Pourquoi Elias n’avait-il jamais mentionné ça avant ?
— Et y’a du monde sympa ? demanda Sofia en levant les yeux de son carnet.
Elias eut un sourire qui fit accélérer le cœur de Gabriel.
— Ouais. Il y a une fille, notamment. Elle est… différente.
Le mot resta suspendu dans l’air comme une note fragile. Sofia haussa un sourcil curieux, tandis qu’Amara plissait les yeux avec une expression moqueuse.
— Différente, hein ? Genre comment ? demanda-t-elle, un sourire malicieux étirant ses lèvres.
Elias sembla réfléchir un instant, cherchant ses mots.
— Elle a une voix incroyable, déjà. Mais c’est pas juste ça. Elle a cette manière de parler, comme si elle voyait le monde différemment. Elle m’a même fait remarquer des trucs sur ma manière de chanter que je n’avais jamais remarqués avant.
— Et elle est mignonne, j’imagine ? lança Amara, un éclat de provocation dans la voix.
Elias rit doucement, mais il ne répondit pas directement. Ce silence fit naître une chaleur désagréable dans la poitrine de Gabriel, un mélange d’inconfort et de jalousie qu’il ne voulait pas reconnaître.
— Comment elle s’appelle ? demanda-t-il finalement, essayant de paraître indifférent.
— Camille, répondit Elias simplement.
Le nom glissa comme une goutte d’eau froide sur la peau de Gabriel. Il détourna le regard, fixant un point imaginaire au sol.
— Elle a l’air cool, dit-il, sa voix plus faible qu’il ne l’aurait voulu.
Elias sembla le remarquer, mais il n’insista pas.
— Elle l’est. Mais bon, c’est juste pour chanter, hein, rien de plus.
Gabriel força un sourire, mais il avait l’impression que les mots d’Elias s’étaient gravés dans son esprit. "Rien de plus." Pourquoi cette phrase résonnait-elle autant ?
Cette soirée-là, Gabriel n’arrivait pas à se concentrer. Il avait essayé de peindre, mais ses mains semblaient incapables de suivre ses pensées. Tout ce à quoi il pouvait penser, c’était à Elias et à cette Camille.
Il se surprit à imaginer leur cours de chant : Elias, concentré, sa voix résonnant dans la salle, et cette fille, Camille, qui l’observait avec des yeux pleins d’admiration. Était-elle jolie ? Était-elle drôle ? Avait-elle ce même sourire en coin qu’Elias réservait parfois à Gabriel ?
Un mélange de colère et de tristesse monta en lui. Il se sentait ridicule. Elias était libre de parler à qui il voulait, de s’intéresser à qui il voulait. Et pourtant, l’idée qu’une autre personne puisse captiver son attention de cette manière lui donnait envie de tout casser.
Il laissa tomber son pinceau sur la table et s’affala sur son lit, fixant le plafond. La lumière douce de sa lampe de chevet projetait des ombres dansantes sur les murs, mais il n’y trouvait aucun réconfort.
— C’est rien, murmura-t-il pour lui-même. Ce n’est rien.
Mais dans le silence de sa chambre, il savait que ce n’était pas vrai.
Le vendredi matin, Gabriel sentit que quelque chose avait changé. Elias semblait plus joyeux, plus léger, comme s’il portait une énergie nouvelle. Pendant le déjeuner, il raconta en détail son dernier cours de chant, parlant des exercices qu’ils avaient faits et des morceaux qu’ils apprenaient.
— Et Camille ? demanda Amara avec un sourire en coin. Elle était là aussi ?
Elias acquiesça avec enthousiasme.
— Bien sûr. Elle m’a même proposé qu’on chante en duo pour la prochaine session. Elle a une de ces voix, vous devriez l’entendre.
Gabriel pinça les lèvres, triturant distraitement son sandwich. Il avait envie de dire quelque chose, mais il ne savait pas quoi. Une partie de lui voulait demander à Elias de quoi il s’agissait vraiment entre lui et cette Camille. Mais il savait que c’était absurde.
— Ça a l’air sympa, finit-il par dire, même si ses mots sonnaient creux.
Elias tourna les yeux vers lui, comme s’il attendait autre chose, mais Gabriel garda le silence.
Et toute la journée, il se sentit comme une étoile, à des années-lumière de l’éclat chaleureux d’Elias
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