Chapitre 6
La colline s’élevait au-dessus de la ville comme un sanctuaire silencieux, offrant une vue dégagée sur le ciel infini. L’ascension était douce, mais chaque pas semblait alourdi pour Gabriel, comme si le poids de ses pensées ralentissait son avancée. L’air était frais, chargé d’une odeur d’herbe humide mêlée à celle des pins qui bordaient le sentier. Chaque inspiration remplissait ses poumons d’une fraîcheur apaisante, mais ne suffisait pas à calmer le tourbillon de sentiments qui l’habitait.
Quand il atteignit le sommet, il le vit. Elias, assis sur une couverture étendue sur l’herbe, les jambes croisées, le visage tourné vers le ciel. La lumière douce des premières étoiles dessinait des ombres délicates sur ses traits, et son sourire, presque imperceptible, semblait répondre au calme de l’univers au-dessus de lui. Gabriel ralentit instinctivement, ses yeux s’attardant sur la silhouette familière. Il sentit son cœur s’accélérer, mais cette fois, ce n’était pas à cause de l’effort.
Elias tourna la tête en entendant ses pas et lui adressa un sourire lumineux, celui qui semblait toujours avoir le pouvoir de faire oublier à Gabriel le chaos de son esprit.
— T’es là, dit-il simplement, comme si sa présence avait toujours été une évidence.
Gabriel força un sourire en retour, bien qu’il sente déjà une tension grandir en lui.
— Je t’avais dit que je viendrais, répondit-il en s’approchant, son ton calme masquant l’agitation intérieure.
Il s’assit sur le bord de la couverture, laissant une distance respectueuse entre eux. Le tissu froissé sous lui était tiède, réchauffé par la présence d’Elias, mais Gabriel n’osa pas s’approcher davantage. Elias tendit une main vers une petite glacière à côté de lui et en sortit une bouteille d’eau qu’il tendit à Gabriel avec un sourire malicieux.
— Tiens. Rester hydraté, c’est essentiel pour observer les étoiles, plaisanta-t-il, son ton léger contrastant avec la profondeur du ciel qu’il contemplait.
Gabriel prit la bouteille, esquissant un sourire en coin.
— C’est nouveau, ça ? Les règles de l’astronomie ?
— Absolument, répondit Elias avec un sérieux feint, avant de laisser échapper un rire léger qui résonna doucement dans la nuit.
La nuit s’installa pleinement, enveloppant la colline d’une obscurité paisible, troublée seulement par les étoiles qui commençaient à parsemer le ciel. Les premières étoiles filantes apparurent timidement, traçant des lignes argentées à travers la voûte céleste. Elias, toujours aussi absorbé par le spectacle, pointa l’une d’elles avec enthousiasme.
— Regarde celle-là ! Tu as vu comme elle était rapide ?
Gabriel hocha la tête, mais son regard restait fixé ailleurs. Il observait Elias, absorbé par la joie simple de ce moment. La manière dont ses yeux brillaient, l’inclinaison légère de son sourire, le mouvement de ses doigts qui indiquaient une nouvelle étoile filante… Tout en Elias semblait amplifié par cette lumière douce, comme si l’univers lui-même avait décidé de le mettre en valeur.
Mais alors qu’une nouvelle étoile traversait le ciel, Elias brisa le silence d’une voix rêveuse.
— Ça me fait penser à Camille.
Le nom, inattendu, frappa Gabriel comme une vague glacée. Il baissa les yeux, fixant ses mains qui jouaient avec le bouchon de sa bouteille d’eau.
— Elle adore regarder les étoiles, reprit Elias. Elle m’a raconté qu’elle venait souvent ici avec son père quand elle était petite.
Les mots flottaient dans l’air, suspendus comme une mélodie douce mais douloureuse. Gabriel resta immobile, ses doigts se crispant légèrement autour de la bouteille. Il sentait une chaleur désagréable monter en lui, un mélange de jalousie et de tristesse qu’il avait du mal à contenir.
Il pensa à se lever, à partir sans un mot. Une part de lui voulait fuir, s’éloigner de cette douleur qu’il n’avait pas demandé à ressentir. Mais une autre part, plus rationnelle, lui rappela qu’il n’avait pas ce droit. Elias avait le droit de parler de Camille. Il avait le droit de l’apprécier, de penser à elle, d’être captivé par elle. Gabriel, lui, devait apprendre à vivre avec.
— Elle a l’air géniale, dit-il finalement, sa voix basse et presque inaudible.
Elias hocha la tête sans se tourner vers lui, comme absorbé par ses propres pensées.
— Elle l’est, murmura-t-il, un sourire flottant sur ses lèvres. Elle comprend vraiment comment profiter des petits moments, tu vois ?
Gabriel ne répondit pas. Ses yeux restaient fixés sur l’herbe à ses pieds, tandis que son esprit s’égarait dans une tempête de pensées. Les étoiles filantes continuaient leur danse au-dessus d’eux, mais Gabriel ne les voyait plus.
Le silence retomba, mais Gabriel n’y trouvait aucun réconfort. Ses poings se serraient légèrement sur ses genoux, et sa mâchoire, tendue, trahissait l’effort qu’il faisait pour garder son masque intact. Chaque mot d’Elias sur Camille semblait appuyer sur une blessure encore à vif, mais il ne pouvait pas lui en vouloir.
Elias, lui, semblait parfaitement à l’aise, allongé sur le dos, les bras croisés derrière la tête. Il observait les étoiles avec une fascination enfantine, un sourire paisible flottant sur son visage. Gabriel jeta un regard furtif dans sa direction et sentit son cœur se serrer.
Elias était magnifique, dans cette simplicité lumineuse qui semblait être une partie de lui. Mais il était aussi lointain, inaccessible, comme une étoile trop brillante pour être touchée. Gabriel détourna rapidement les yeux, honteux de ses propres pensées.
Elias se redressa légèrement, posant son menton sur ses genoux, et tourna la tête vers Gabriel.
— Hé, fais un vœu, Gaby.
La douceur dans sa voix fit sursauter Gabriel, qui releva les yeux avec hésitation.
— Pourquoi ? demanda-t-il, sa voix plus rauque qu’il ne l’aurait voulu.
— Pour les étoiles filantes, répondit Elias, un sourire malicieux étirant ses lèvres. Tu ne peux pas les laisser passer sans demander quelque chose.
Gabriel esquissa un sourire forcé, mais il ne parvint pas à chasser le poids qui pesait sur lui.
— Et toi ? T’as fait un vœu ? demanda-t-il, essayant de détourner l’attention.
— Toujours, répondit Elias, son regard retournant vers le ciel. Mais si je te le dis, il ne se réalisera pas.
Gabriel rit doucement, mais son cœur battait plus vite. Il détourna les yeux vers l’horizon, où la lueur des étoiles se reflétait sur la ville endormie.
Il ferma les yeux un instant, sentant le vent jouer avec ses cheveux. Dans le silence de son esprit, il formula un vœu simple mais inavouable : Ne me laisse pas disparaître dans l’ombre.
La pluie de météores atteignit son apogée, illuminant le ciel de traînées lumineuses qui dansaient dans l’obscurité. Elias, allongé à nouveau, suivait du regard chaque étoile, ses lèvres légèrement entrouvertes comme pour murmurer quelque chose qu’il gardait pour lui.
Gabriel, assis à côté de lui, observait cette scène avec une douleur sourde. Le contraste entre eux était flagrant : Elias, emporté par la magie du moment, insouciant, et lui, enfermé dans un silence lourd, consumé par des émotions qu’il ne pouvait pas partager.
Elias ne remarqua rien.
Et Gabriel, dans ce silence empli de non-dits, réalisa qu’il était à la fois plus proche et plus éloigné d’Elias qu’il ne l’avait jamais été.
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