Chapitre 7
Le lendemain de la pluie d’étoiles, la lumière douce du matin semblait envelopper la ville d’un calme inhabituel. C’était le début des vacances d’été, un moment que Gabriel aurait normalement attendu avec impatience : deux mois loin des devoirs, du stress des cours, et des journées rythmées par la monotonie scolaire. Mais cette fois, l’idée de passer ces semaines à regarder Elias et Camille se rapprocher lui donnait une sensation étrange, à la fois d’anticipation et de crainte.
Il était resté allongé plus longtemps qu’à l’habitude, fixant le plafond, où des ombres dansantes projetées par ses rideaux semblaient imiter les étoiles de la veille. Chaque mouvement des ombres lui rappelait le visage d’Elias, éclairé par la lumière céleste, ses yeux brillants d’un émerveillement enfantin, et ce sourire qu’il avait porté en parlant d’elle.
Camille. Son nom flottait encore dans l’air comme une mélodie persistante, une note douce mais douloureuse. Gabriel savait qu’il n’avait pas le droit de ressentir cette jalousie, mais elle était là, brûlante, impossible à ignorer.
Avec un soupir, il se redressa, frottant son visage de ses mains moites. Les vacances venaient à peine de commencer, et déjà, il sentait qu’elles allaient être longues.
Ce jour-là, Gabriel trouva refuge dans le petit café près du port, un lieu familier qui offrait toujours une certaine sérénité. Les murs, ornés de vieilles photos de la ville et de souvenirs maritimes, dégageaient une chaleur nostalgique, tandis que l’odeur du café fraîchement moulu emplissait l’air. Il choisit une table près de la fenêtre, où la lumière du soleil jouait avec les reflets des verres et des tasses.
Son carnet de croquis était posé devant lui, ouvert à une page blanche, mais son crayon restait immobile. Les bruits familiers du café – le tintement des tasses, les murmures des conversations, le grincement du parquet – formaient un fond sonore apaisant. Pourtant, Gabriel ne trouvait pas la paix qu’il cherchait. Son esprit était trop agité, ses pensées revenant sans cesse à la soirée précédente.
Il tentait de dessiner, de se perdre dans les traits familiers du papier, mais ses mains restaient inertes. Elias et Camille occupaient tout l’espace de son esprit. Il imaginait leurs rires, leurs conversations, les regards qu’ils s’échangeaient. Cette scène, bien qu’entièrement fabriquée par son esprit, lui faisait mal.
Le tintement de la clochette de la porte l’arracha à ses pensées. Il releva la tête par réflexe, et son cœur rata un battement. Elias venait d’entrer, un sourire éclatant éclairant son visage. Mais ce n’était pas cela qui le troubla. Non, ce fut Camille, juste derrière lui, son rire léger résonnant dans l’air comme une douce mélodie.
Elias ne l’avait pas encore vu, mais Gabriel sentit une chaleur désagréable monter en lui. Il baissa rapidement les yeux vers son carnet, feignant de griffonner quelque chose, son cœur battant à un rythme douloureux.
Elias, évidemment, finit par le repérer.
— Gaby ! s’exclama-t-il en s’approchant, visiblement ravi de le voir.
Gabriel releva la tête avec un sourire qu’il espérait crédible, bien que chaque muscle de son visage semblait lutter contre lui.
— Salut, répondit-il, sa voix légèrement rauque.
Elias se dirigea directement vers lui, tirant une chaise pour s’asseoir, tandis que Camille s’approchait un peu plus lentement. Elle lui adressa un sourire poli, chaleureux, mais Gabriel ne pouvait s’empêcher de ressentir un pincement dans la poitrine.
— Qu’est-ce que tu fais là ? demanda Elias, curieux.
— Juste… dessiner un peu, répondit Gabriel en désignant son carnet, bien qu’aucun dessin n’ornait encore la page ouverte.
Elias hocha la tête avant de se tourner vers Camille.
— Ah, je devrais te présenter. Camille, voici Gabriel, mon meilleur ami.
Gabriel sentit ces mots résonner en lui. Mon meilleur ami. Un titre qu’il avait toujours apprécié, mais qui, dans cet instant précis, semblait plus amer qu’autre chose.
— Enchantée, Gabriel, dit-elle avec une voix douce et un sourire sincère. Elias m’a beaucoup parlé de toi.
— Enchanté, répondit Gabriel, sa voix légèrement tremblante, bien qu’il tentât de la maîtriser.
Ils restèrent tous les trois à discuter, ou plutôt, Elias et Camille parlèrent pendant que Gabriel hocha distraitement la tête, répondant par des sourires forcés et des monosyllabes. Il se sentait comme un étranger, assis à une table où il n’avait jamais voulu être.
— On parlait justement de nos plans pour les vacances, dit Elias en souriant à Camille. Deux mois, c’est long. Je veux profiter à fond.
Camille acquiesça, son regard pétillant d’enthousiasme.
— Et toi, Gabriel ? Tu as des projets ? demanda-t-elle, tournant ses yeux sincères vers lui.
Gabriel hésita, pris de court par la question.
— Pas vraiment… répondit-il finalement. Je pensais juste… dessiner et me reposer un peu.
Elias secoua la tête, un sourire amusé aux lèvres.
— Toi, passer deux mois à dessiner seul dans ta chambre ? Pas question. On trouvera quelque chose à faire ensemble.
Les mots d’Elias, bien que prononcés avec une légèreté désarmante, frappèrent Gabriel plus profondément qu’il ne l’aurait imaginé. Ensemble. Le mot semblait si simple, mais il ne pouvait s’empêcher de penser que cet "ensemble" inclurait aussi Camille désormais.
Après un moment, Elias et Camille se levèrent pour partir.
— On doit y aller, dit Elias en posant une main légère sur l’épaule de Gabriel. Mais on se voit bientôt, ok ?
Gabriel hocha la tête, son sourire forcé toujours collé à son visage.
— Ravi de t’avoir rencontré, ajouta Camille avec un sourire avant de suivre Elias vers la porte.
Lorsque la clochette retentit à nouveau, marquant leur départ, Gabriel se retrouva seul. Le silence autour de lui semblait plus lourd qu’auparavant, comme si la lumière chaleureuse du café s’était estompée en même temps qu’Elias et Camille.
Il baissa les yeux vers son carnet. Le crayon qu’il tenait était toujours immobile, mais sa main tremblait légèrement. Lentement, il commença à dessiner. Les traits étaient hésitants au début, mais bientôt, ils prirent forme.
Sur la page, deux silhouettes apparurent, assises sous un ciel étoilé. Mais cette fois, l’une des silhouettes semblait s’effacer, disparaissant doucement dans l’ombre.
Gabriel posa son crayon, fixant le dessin avec une expression mélancolique. Il savait que ces vacances seraient longues, trop longues.
Gabriel resta assis dans le café longtemps après le départ d’Elias et Camille, les mains jointes devant son carnet de croquis, le regard fixé sur la page blanche où dansaient encore les ombres des traits qu’il n’avait pas osé dessiner. Son cœur était lourd, compressé par une jalousie qu’il savait irrationnelle, mais qu’il ne pouvait pas ignorer. Chaque éclat de rire de Camille, chaque regard qu’Elias lui avait adressé, avait laissé une trace douloureuse en lui, comme une fissure s’étendant lentement à travers quelque chose de fragile.
Elias n’avait jamais eu de petite amie. Gabriel le savait bien. Ils avaient ri ensemble à ce sujet, il y a longtemps, lorsqu’Elias avait plaisanté sur le fait qu’il n’était "pas encore prêt à se ranger". Mais aujourd’hui, cette réalité semblait changer. Camille avait une place qu’aucune autre fille avant elle n’avait occupée. Cela semblait inévitable, presque naturel. Un jour, Elias tomberait amoureux, profondément, irrévocablement, et Gabriel serait relégué à la périphérie de sa vie.
Il serra les poings sur la table, ses ongles s’enfonçant dans sa paume. Céder. Le mot s’imposa à lui, brutal, mais il le rejeta aussitôt. Non, ce n’était pas le bon terme. Ce n’était pas une guerre à perdre ou à gagner. Elias avait le droit de vivre, d’aimer, de créer des liens qui ne le concernaient pas. Mais pour Gabriel, cette pensée était insupportable. Pas parce qu’il était possessif, mais parce qu’il savait que lorsqu’Elias avancerait, il resterait derrière.
Une vague de solitude le submergea, plus froide et plus intense qu’il ne l’aurait cru. Elias était la personne qu’il aimait le plus au monde, pas seulement comme un ami, mais d’une manière qu’il n’avait jamais osé admettre, même à lui-même. Il n’y avait personne d’autre qui illuminait sa vie comme Elias le faisait, personne qui rendait ses journées meilleures simplement par sa présence. Et s’il pouvait… s’il en avait le courage… il lui demanderait d’être plus que son ami.
Il imaginait parfois franchir cette ligne invisible entre eux. Ces moments furtifs, volés à ses rêves les plus secrets, où il s’autorisait à penser à une vie où Elias serait à lui, complètement. Mais il effaçait toujours ces pensées presque immédiatement, écrasé par la peur du rejet, par l’idée que cela pourrait tout gâcher. Parce qu’aussi douloureux que cela soit de le voir s’éloigner, perdre Elias définitivement était une possibilité qu’il ne pouvait pas supporter.
Il soupira, relâchant lentement la tension dans ses mains. Les traits hésitants qu’il avait dessinés sur la page semblaient refléter son propre état d’esprit : une tentative de capturer quelque chose de trop grand, de trop insaisissable. Gabriel savait qu’il ne pouvait pas retenir Elias, et peut-être qu’il ne devait même pas essayer. Mais l’idée qu’il puisse un jour ne plus être au centre de sa vie lui donnait l’impression de s’éteindre doucement, comme une étoile filante qui disparaît dans l’ombre du ciel.
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