Chapitre 8
Le téléphone vibra sur la table, brisant le silence de l’après-midi. Gabriel hésita un instant avant de regarder l’écran. C’était Elias. Un léger sourire étira ses lèvres malgré lui, mais il sentit rapidement ce sourire se faner lorsqu’il lut le message :
« Hey, Gaby ! Camille et moi allons à la fête foraine ce soir. Ça te dit de venir avec nous ? Ce sera sympa ! »
Son cœur se serra. La simple mention de Camille suffisait à transformer une invitation chaleureuse en une épreuve. Il aurait pu répondre immédiatement, dire oui, prétendre que tout allait bien et passer la soirée à jouer le spectateur silencieux de leur complicité grandissante. Mais il n’en avait pas la force. Pas ce soir.
Il laissa son doigt glisser sur le clavier et tapota une réponse rapide :
« Désolé, Elias. Je crois que j’ai attrapé un virus ou un truc du genre. Je vais rester au calme. Amusez-vous bien à la fête foraine. »
Il resta un moment à fixer le message avant d’appuyer sur envoyer. L’excuse sonnait creuse, mais Elias n’insisterait pas. Elias ne voyait jamais au-delà des mots, pas comme Gabriel l’aurait voulu. Quelques instants plus tard, le téléphone vibra de nouveau.
« Mince ! Prends soin de toi, ok ? On se rattrapera. »
Gabriel posa le téléphone, un poids lourd s’installant dans sa poitrine. On se rattrapera. Mais il savait que ce ne serait pas la même chose. Pas avec Camille entre eux.
Plus tard dans la soirée, alors qu’il feignait de regarder un film pour occuper son esprit, son téléphone sonna de nouveau. Cette fois, c’était Sofia, une amie de longue date qui avait l’habitude de ne pas tourner autour du pot.
— T’es où, toi ? demanda-t-elle dès qu’il décrocha, sa voix pétillante traversant le combiné.
— Chez moi, répondit-il simplement, en s’enfonçant un peu plus dans son canapé.
— Et pourquoi tu n’es pas à la fête foraine avec Elias ?
Gabriel soupira, jouant nerveusement avec un coussin posé à côté de lui.
— J’avais pas envie, lâcha-t-il après une pause.
Sofia resta silencieuse un instant, puis reprit, sa voix plus douce, presque prudente.
— Tu l’aimes, hein ?
Les mots tombèrent comme une pierre dans un lac, créant des vagues qui se propagèrent à travers le silence. Gabriel sentit son cœur s’accélérer, et sa gorge se nouer. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle aborde le sujet de manière si directe.
Il ne répondit pas tout de suite, mais Sofia n’avait pas besoin de mots.
— C’est Elias, pas vrai ? reprit-elle doucement.
Gabriel ferma les yeux, inspirant profondément avant de hocher la tête, bien qu’elle ne puisse pas le voir.
— Oui, murmura-t-il finalement, sa voix à peine audible. Ça fait… deux ans. Peut-être plus.
Sofia laissa échapper un soupir compatissant.
— Gabriel… pourquoi tu ne lui dis rien ?
— Parce que ça ne changerait rien, répondit-il, sa voix teintée d’amertume. Il y a Camille maintenant. Il est… heureux avec elle.
Un silence s’installa, mais il était moins oppressant que Gabriel ne l’aurait cru. Sofia, comme toujours, savait écouter sans interrompre.
— Tu sais, tu as le droit de ressentir ce que tu ressens, dit-elle enfin. Mais tu ne peux pas te blâmer pour quelque chose que tu ne contrôles pas.
Gabriel resta silencieux, mais ses doigts se crispèrent légèrement autour du coussin qu’il tenait.
Après avoir raccroché, Gabriel resta un moment assis dans le noir, le téléphone posé à côté de lui. La conversation avec Sofia l’avait laissé vidé, mais étrangement plus léger. Il ne se sentait pas compris, mais au moins, il avait dit la vérité à quelqu’un.
Il se leva finalement, se dirigeant vers son bureau. Là, sous une pile de carnets de croquis, se trouvait celui qu’il appelait son "carnet spécial Elias". Il le sortit avec précaution, le tenant comme un objet précieux.
Ce carnet, il l’avait commencé il y a deux ans, peu de temps après avoir réalisé qu’il aimait Elias d’une manière qui dépassait l’amitié. Chaque page était remplie de dessins de lui : Elias riant, Elias pensif, Elias regardant le ciel avec ce sourire rêveur qu’il aimait tant.
Gabriel feuilleta lentement les pages, un mélange de nostalgie et de tristesse se mélangeant dans sa poitrine. Il avait mis tout son cœur dans ces dessins, chaque trait reflétant l’amour qu’il n’avait jamais pu exprimer.
Mais maintenant, il y avait Camille. Chaque coup de crayon semblait plus lourd, plus douloureux, comme un rappel cruel qu’Elias regardait ailleurs.
Il prit son crayon, tentant de dessiner à nouveau, mais sa main tremblait légèrement. Il traça quelques lignes hésitantes avant de presser trop fort. La mine du crayon se brisa, et le bruit sec résonna dans la pièce.
Gabriel laissa tomber le crayon sur le bureau, sa frustration éclatant dans un murmure rauque :
— T’es ridicule… pourquoi t’es comme ça ?
Il se passa une main sur le visage, se traitant intérieurement de tous les noms. Mais malgré sa colère contre lui-même, il savait qu’il ne pouvait pas s’en empêcher. Elias était ancré en lui, comme une étoile dans son ciel intérieur, brillante mais hors de portée.
Gabriel s’était installé sur son lit après avoir laissé son carnet sur le bureau, son regard perdu dans le vide. L’air de sa chambre semblait plus lourd que d’habitude, comme si chaque respiration était une épreuve. Il prit son téléphone, pensant trouver une distraction pour apaiser le poids qui pesait sur lui. Mais en ouvrant Instagram, il regretta immédiatement son geste.
La première publication qui s’afficha fut celle d’Elias. Une photo lumineuse, pleine de vie, où Camille riait aux éclats, une pomme d’amour à la main. Elias se tenait à côté d’elle, un sourire large éclairant son visage, ses yeux plissés par le bonheur. Sous la photo, une simple légende : "Une soirée parfaite. "
Gabriel sentit son cœur se serrer. Il fit défiler les images, chacune plus vibrante que la précédente. Elias tenant un énorme ours en peluche qu’il semblait avoir gagné pour Camille à un stand de tir. Camille qui tendait la main vers Elias, les manèges illuminés en arrière-plan. Puis une dernière photo, celle qui le fit vaciller : Elias avec de la barbe à papa au coin des lèvres, riant, tandis que Camille tendait un doigt pour l’essuyer.
Il sentit sa gorge se nouer. Ses doigts se relâchèrent, et son téléphone glissa doucement de sa main pour atterrir sur son lit. Il resta immobile un instant, fixant le plafond, mais il ne pouvait empêcher les larmes de monter. Une première perla au coin de son œil, puis une autre, roulant lentement sur sa joue.
— Je suis en train de le perdre… jour après jour, murmura-t-il dans un souffle.
Il porta une main tremblante à son visage, essuyant maladroitement ses larmes, mais elles continuaient de couler. La réalité le frappait avec une force brutale : Elias s’éloignait. Chaque rire partagé avec Camille, chaque photo publiée, chaque instant qu’ils vivaient ensemble était une preuve que Gabriel n’avait plus la même place dans sa vie.
Il se recroquevilla légèrement sur lui-même, ramenant ses genoux contre sa poitrine. Une partie de lui voulait blâmer Camille, mais il savait que ce n’était pas juste. Ce n’était pas elle le problème. C’était lui, son incapacité à dire ce qu’il ressentait, sa peur de briser ce qu’ils avaient. Il se demandait combien de temps encore il pourrait supporter de voir Elias lui échapper ainsi, lentement mais inexorablement.
Et pourtant, malgré la douleur, il ne pouvait s’empêcher de sourire faiblement en repensant au visage d’Elias sur cette dernière photo. Même dans sa tristesse, Elias restait la lumière dans son univers, une lumière qu’il ne pouvait atteindre, mais qu’il continuerait d’aimer, peu importe la distance.
Annotations
Versions