Chapitre 10
La journée parfaite à la plage semblait déjà appartenir à un autre temps. Gabriel s’était efforcé de savourer chaque éclat de rire, chaque mot échangé, chaque moment volé à sa propre anxiété. Mais une fois seul dans sa chambre, la lumière chaleureuse de ce souvenir se transformait en une ombre lourde et pesante.
Il s’allongea sur son lit, le regard fixé sur le plafond, où les ombres des branches des arbres dansaient doucement. La nuit était calme à l’extérieur, mais à l’intérieur de lui, une tempête faisait rage. Les rires d’Elias résonnaient encore dans sa tête, mais ils se mélangeaient désormais avec une autre voix, celle de Camille. Ils vont tellement bien ensemble, se disait-il malgré lui, et chaque fois que cette pensée surgissait, elle lui arrachait un morceau de son cœur.
Son téléphone vibra sur sa table de chevet, un rappel brutal que le monde extérieur continuait à tourner sans lui. Il hésita, tendant la main vers l’appareil comme s’il contenait une vérité qu’il n’était pas prêt à affronter. Lorsqu’il déverrouilla l’écran, ses craintes furent confirmées.
Elias avait publié une nouvelle photo sur Instagram. Une photo prise après leur séparation à la plage. Gabriel sentit son estomac se nouer.
Sur l’image, Elias et Camille étaient assis côte à côte sur un muret, leurs visages baignés par la lumière dorée du coucher de soleil. Camille riait, ses cheveux légèrement emmêlés par la brise, tandis qu’Elias tenait un cornet de glace dans une main et un sourire éclatant sur le visage. La légende était simple : "Un moment parfait pour finir la journée. "
Gabriel ne pouvait détourner les yeux. Les détails de la photo semblaient criants de vérité, comme une fenêtre ouverte sur une réalité à laquelle il n’appartenait pas. Ses doigts glissèrent pour faire défiler les commentaires. "Vous êtes trop mignons !", "Le couple de l’année, sérieux.", "Ils iraient tellement bien ensemble !" Chaque mot frappait comme une lame, s’enfonçant un peu plus profondément.
Il laissa son téléphone tomber sur son lit, fermant les yeux pour tenter d’échapper à l’image qui semblait gravée dans son esprit. Mais il ne pouvait pas fuir. La réalité était là, inébranlable : Elias et Camille formaient un duo que tout le monde voyait comme évident.
Les souvenirs de la plage revinrent à Gabriel, mais cette fois, ils étaient teintés d’amertume. Il revoyait Elias essayer des lunettes de soleil absurdes, éclater de rire en le taquinant, courir après lui dans le sable. Ces moments, si précieux pour lui, semblaient presque irréels maintenant. Peut-être qu’ils n’avaient jamais eu autant d’importance pour Elias qu’ils en avaient pour lui.
Gabriel passa une main tremblante sur son visage, essayant de calmer le tourbillon de pensées qui l’assaillait. Pourquoi je ressens ça ? Pourquoi ça fait si mal ? Il voulait être heureux pour Elias. Il voulait se réjouir de son bonheur. Mais chaque sourire qu’il adressait à Camille, chaque moment qu’il partageait avec elle, lui donnait l’impression d’être effacé, d’être relégué à l’arrière-plan.
Une partie de lui savait qu’il était irrationnel, que cette jalousie qui bouillonnait en lui n’était pas juste. Mais une autre partie, plus sombre, ne pouvait s’empêcher de crier à l’injustice.
Gabriel savait qu’il perdait Elias. Pas d’un coup, mais lentement, comme du sable qui glisse entre les doigts. Il s’était toujours accroché à l’idée que leur lien était spécial, qu’il était unique. Mais la réalité s’imposait à lui : Elias avançait dans sa vie, et il était coincé, incapable de le suivre.
Il attrapa son carnet de croquis, le "carnet spécial Elias", et le posa sur ses genoux. Ses doigts glissèrent sur la couverture usée, où les traces de ses nombreuses ouvertures étaient visibles. Ce carnet était son refuge, le seul endroit où il pouvait exprimer ce qu’il ressentait sans crainte de jugement.
Il tourna les pages, revoyant les dessins qu’il avait faits au fil des mois, des années. Elias riant, Elias pensif, Elias regardant le ciel avec ce sourire rêveur qu’il aimait tant. Chaque trait était imprégné d’un amour qu’il n’avait jamais osé avouer, un amour qui débordait de chaque ligne, de chaque ombre.
Il tenta de dessiner à nouveau, mais sa main tremblait. Les lignes qu’il traçait étaient hésitantes, imprécises. L’image dans sa tête – celle d’Elias riant sur la plage – refusait de se matérialiser.
— Pourquoi je suis comme ça… ? murmura-t-il, sa voix à peine audible, brisant le silence de la pièce.
La mine de son crayon se brisa sous la pression, un bruit sec qui résonna comme un coup de marteau dans sa tête. Il laissa tomber le crayon sur le bureau, passant une main dans ses cheveux.
— Ridicule… t’es pathétique, Gabriel, se murmura-t-il à lui-même, une boule de frustration et de tristesse dans la gorge.
La nuit était avancée lorsqu’il s’allongea à nouveau sur son lit, les yeux fixant le plafond sans vraiment le voir. Il revoyait Elias, cette fois dans ses rêves, mais les images étaient floues, comme une photo mal développée. Elias riait, mais il était loin, trop loin pour que Gabriel puisse l’atteindre.
Lorsqu’il se réveilla, le soleil filtrant à travers ses rideaux ne réchauffa pas le poids qu’il portait dans sa poitrine. Il resta allongé un moment, immobile, ses pensées encore embrouillées par le mélange de rêves et de réalité.
La vérité était implacable : il aimait Elias, mais il savait qu’il n’aurait jamais sa place dans cette nouvelle vie qu’il construisait, une vie où Camille occupait de plus en plus d’espace.
Il inspira profondément, sentant les larmes monter à nouveau. Mais il les retint, du moins pour l’instant. Une autre journée commençait, et il devait faire semblant. Comme toujours.
La lumière du matin filtrait doucement à travers les rideaux de la chambre de Gabriel, mais elle ne parvenait pas à dissiper l’obscurité qui pesait sur son cœur. Depuis cette soirée où il avait vu la photo d’Elias et Camille, il avait commencé à l’éviter. Cela n’avait pas été un choix conscient au début, mais plutôt une réaction instinctive, une tentative maladroite de protéger ce qui restait de lui.
Chaque message d’Elias restait sans réponse immédiate. Gabriel se contentait de réponses courtes, dénuées de chaleur, qu’il envoyait des heures après les avoir lues. Il prétendait être occupé, inventait des excuses – des devoirs, des sorties de famille inexistantes, ou simplement une "envie de rester seul".
Mais cette distance qu’il imposait à Elias ne faisait qu’accentuer sa propre douleur. Chaque jour, il sentait son cœur se briser un peu plus, rongé par l’idée qu’Elias, de son côté, ne remarquait peut-être même pas son absence.
Sofia, qui avait toujours eu un don pour remarquer les choses que Gabriel voulait cacher, finit par intervenir. Elle l’appela un après-midi, mais cette fois, elle ne laissa pas Gabriel s’échapper avec une excuse vague.
— Gaby, ça suffit, dit-elle d’une voix ferme mais douce. Tu fais quoi, là ? Tu l’évites, pas vrai ?
Gabriel, allongé sur son lit, serra son téléphone dans sa main, le cœur battant à tout rompre.
— J’ai juste besoin d’un peu de temps, Sofia, répondit-il faiblement.
— Du temps pour quoi ? se renfrogna-t-elle. Pour te détruire ? Parce que c’est ce que tu fais, Gaby. Tu te fais du mal, et ça ne résoudra rien.
Gabriel ferma les yeux, la gorge serrée. Il savait qu’elle avait raison, mais l’admettre était une autre histoire.
— Je ne peux pas, Sofia, murmura-t-il finalement. Je ne peux pas le voir… avec elle. Je ne peux pas imaginer… qu’il l’aime.
Sofia resta silencieuse un instant, puis elle reprit, sa voix teintée de tristesse.
— Tu penses qu’il t’abandonnera ?
Gabriel inspira profondément, mais sa voix se brisa lorsqu’il répondit.
— Il le fera. Pas tout de suite, mais… il le fera. Elle est… parfaite pour lui. Et moi, je ne suis qu’un poids.
Ces mots, bien qu’ils soient prononcés à voix basse, résonnèrent comme une vérité brutale dans la tête de Gabriel. Il savait qu’il exagérait, que son esprit jouait contre lui, mais la peur de perdre Elias était trop forte. L’idée qu’Elias puisse être amoureux de Camille le hantait, chaque pensée à ce sujet le déchirant un peu plus.
Il imaginait Elias tenant la main de Camille, lui racontant des blagues qu’il lui avait autrefois réservées, partageant des moments qu’ils avaient toujours vécus ensemble. Et puis, un jour, Elias n’aurait plus de place pour lui. Il le savait. Cela arriverait inévitablement.
Ces pensées tournaient en boucle, l’éloignant encore davantage de tout ce qui aurait pu le rassurer. Gabriel n’arrivait pas à s’empêcher de s’enfermer dans cette douleur qu’il s’infligeait lui-même.
Sofia, après un long moment de silence, reprit, sa voix plus douce.
— Tu sais, Gaby, si tu continues comme ça, tu vas perdre Elias. Pas parce qu’il veut t’abandonner, mais parce que tu refuses de lui laisser une chance.
Gabriel ouvrit les yeux, fixant le plafond, un mélange de frustration et de désespoir brûlant en lui.
— Mais je ne peux pas… Je ne peux pas faire semblant.
— Alors ne fais pas semblant, répondit Sofia. Dis-lui ce que tu ressens. Arrête de fuir.
Gabriel hocha doucement la tête, bien qu’elle ne puisse pas le voir. Il savait que Sofia avait raison, mais les mots semblaient impossibles à prononcer.
Et pourtant, au fond de lui, une part de lui-même savait qu’il ne pourrait pas continuer ainsi éternellement. S’il voulait garder Elias dans sa vie, il allait devoir affronter la réalité, aussi douloureuse soit-elle.
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