Chapitre 12
Depuis la visite d’Elias chez lui, Gabriel avait remarqué un changement subtil mais douloureux. Ce n’était pas une rupture franche, mais une distance progressive, presque imperceptible pour quiconque ne connaissait pas Elias comme lui le connaissait. Les messages avaient diminué, les appels étaient devenus rares, et les invitations à sortir, autrefois fréquentes, semblaient s’être volatilisées.
Elias continuait à publier sur Instagram, chaque post un rappel cruel de la vie qu’il semblait vivre sans Gabriel. Une soirée karaoké ici, une balade en bord de mer là-bas. Sur chaque photo, Elias souriait, rayonnant comme il savait si bien le faire. Pourtant, Gabriel, qui avait passé des heures à déchiffrer ces sourires, y décelait une ombre. Peut-être qu’il se trompait. Peut-être qu’il projetait son propre mal-être sur Elias. Mais cette ombre, réelle ou imaginaire, lui donnait une étrange sensation de vide.
Les publications où Camille apparaissait étaient les plus difficiles à regarder. Camille, avec son rire éclatant, sa gestuelle naturelle et ses regards pleins de complicité envers Elias, semblait si à l’aise à ses côtés. Gabriel imaginait leurs conversations, leurs moments partagés, et chaque pensée le poignardait un peu plus. Elias avait toujours été au centre de son univers, mais il était clair que Gabriel ne l’était plus au centre de celui d’Elias.
Lors d’une soirée organisée par leurs amis, Gabriel céda enfin aux insistances de Sofia et accepta de sortir. Elle l’avait sermonné sans relâche pendant des jours, le poussant à ne pas s’enfermer davantage dans sa bulle.
— Gaby, tu vas venir, point final. Fais semblant de t’amuser si tu veux, mais arrête de te cacher.
Gabriel arriva à la soirée avec une appréhension presque palpable. La maison de Léon résonnait de musique et de rires, les conversations se mêlant au bruit des verres qui s’entrechoquaient. Pourtant, au milieu de cette agitation, Gabriel se sentit étrangement seul.
Son regard chercha instinctivement Elias. Il le trouva rapidement, debout près du canapé, une bière à la main, riant avec Camille et quelques autres amis. Il était magnifique, comme toujours, son sourire illuminant la pièce. Mais lorsqu’Elias croisa son regard, le sourire qu’il lui adressa semblait différent. Il n’était pas aussi éclatant qu’avant, pas aussi chaleureux. C’était un sourire poli, presque distant.
Gabriel sentit son cœur se serrer. Cette froideur, qu’elle soit intentionnelle ou non, était pire que l’absence. Il avait toujours vu Elias comme une lumière réconfortante, mais cette lumière semblait désormais briller pour d’autres.
Gabriel s’installa sur un fauteuil à l’écart, observant la scène d’un œil distant. Chaque éclat de rire partagé entre Elias et Camille était comme une gifle silencieuse. Il n’avait pas sa place dans cette dynamique. Elias était au centre de tout, attirant naturellement l’attention, tandis que Gabriel se tenait à la périphérie, invisible.
Sofia s’approcha de lui, un verre à la main, et s’assit sur l’accoudoir du fauteuil.
— Tu te tortures encore, hein ? murmura-t-elle, son regard se posant brièvement sur Elias avant de revenir sur Gabriel.
Gabriel détourna les yeux.
— Non, répondit-il, mais sa voix manquait de conviction.
Sofia soupira, reposant son verre sur une table basse à proximité.
— Gaby, regarde-toi. Ça se voit que tu te fais du mal. Et tu sais quoi ? Tu n’aides personne en restant là à te morfondre.
Gabriel ouvrit la bouche pour répondre, mais il n’y avait rien à dire. Chaque mot qu’elle prononçait était vrai. Il le savait, mais ça ne rendait pas les choses plus faciles.
— Si tu continues comme ça, tu vas le perdre pour de bon, ajouta Sofia avec une pointe de tristesse dans la voix.
Gabriel serra les dents, les poings légèrement crispés sur ses genoux. Les mots de Sofia résonnaient en lui, mais il se sentait paralysé, incapable d’agir.
Plus tard dans la soirée, Elias finit par venir lui parler. Il s’approcha doucement, un verre à la main, et s’installa sur l’accoudoir du fauteuil à côté de Gabriel.
— Hé, murmura-t-il, son sourire léger, mais fatigué. Ça va ?
Gabriel hocha la tête, évitant de croiser son regard.
— Oui, ça va.
Elias le scruta un instant, comme s’il cherchait à percer une façade qu’il avait appris à connaître trop bien.
— T’es sûr ? reprit-il, sa voix empreinte d’une douceur qui brisait presque les défenses de Gabriel.
— Oui, répondit Gabriel rapidement, presque trop rapidement.
Elias hésita, mais finit par se lever, tapotant l’épaule de Gabriel avant de rejoindre les autres.
Gabriel regarda son ami s’éloigner, une boule d’amertume se formant dans sa gorge. Ce bref échange, bien que cordial, lui donnait l’impression que leur lien s’effilochait. Le fossé qui les séparait semblait s’élargir à chaque minute passée.
En rentrant chez lui, Gabriel ne put s’empêcher de repenser à la soirée. Il rejouait chaque instant dans sa tête, chaque mot, chaque regard. La distance entre eux n’était plus une impression ; elle était réelle, palpable. Elias s’éloignait, et Gabriel se sentait impuissant face à cela.
Il fixa son téléphone, hésitant à lui envoyer un message. "On peut parler ?", ou peut-être simplement un "Tu me manques." Mais ses doigts restèrent immobiles. Il savait qu’il n’aurait pas le courage d’appuyer sur "envoyer".
Posant son téléphone sur sa table de nuit, Gabriel s’allongea sur son lit, l’esprit en ébullition. Le silence de la pièce n’apaisait rien. Au contraire, il amplifiait ce vide qu’il ressentait, ce gouffre qui semblait grandir en lui.
Cette nuit-là, Gabriel comprit que s’il continuait à fuir Elias, il risquait de le perdre pour de bon. Mais affronter ses sentiments restait une montagne qu’il ne savait pas comment gravir.
Deux jours s’écoulèrent dans un silence presque oppressant. Gabriel, rongé par la culpabilité et l’appréhension, continuait à éviter Elias. Il passait ses journées enfermé dans sa chambre, le regard perdu sur les pages blanches de son carnet, incapable de dessiner quoi que ce soit. Chaque tentative de poser son crayon sur le papier se soldait par un échec, ses pensées constamment ramenées à Elias et à ce gouffre grandissant entre eux.
En milieu d’après-midi, alors qu’il s’efforçait de trouver un semblant de distraction dans un vieux film, des coups retentirent à sa porte. Gabriel sursauta, son cœur s’accélérant aussitôt. Il n’avait pas besoin de vérifier pour savoir qui était là.
— Gabriel, ouvre-moi, dit la voix d’Elias, ferme mais non dénuée de douceur.
Gabriel hésita, le regard fixé sur la porte. Une part de lui voulait ignorer l’appel, prétendre qu’il n’était pas là. Mais une autre part, plus forte, le poussa à affronter ce moment qu’il redoutait tant. Après une brève lutte intérieure, il se leva et ouvrit la porte.
Elias se tenait là, ses sourcils légèrement froncés, l’air à la fois déterminé et inquiet. Il était habillé simplement, mais son visage reflétait une fatigue émotionnelle que Gabriel ne lui avait jamais vue.
— Je peux entrer ? demanda-t-il, son ton calme mais insistant.
Gabriel hocha la tête sans un mot, s’écartant pour le laisser passer. Elias pénétra dans l’appartement et se tourna immédiatement vers lui.
— D’accord, maintenant tu vas me dire ce qui se passe, dit-il en croisant les bras. Ça fait des semaines que tu m’évites, et je veux savoir pourquoi.
Gabriel détourna les yeux, incapable de soutenir le regard perçant d’Elias.
— Je t’ai déjà dit que j’avais besoin de temps, murmura-t-il, sa voix faible.
Elias secoua la tête, visiblement frustré.
— Ce n’est pas "avoir besoin de temps", Gaby. Tu m’as coupé de ta vie, et je ne comprends pas pourquoi. Si j’ai fait quelque chose, dis-le-moi. Si ce n’est pas le cas, explique-moi.
Gabriel ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Son esprit tournait à toute vitesse, cherchant une réponse qui pourrait satisfaire Elias sans révéler la vérité qu’il gardait si précieusement enfouie.
— Je… Je suis désolé, finit-il par dire, les yeux rivés au sol.
Elias le fixa un instant, sa frustration se mêlant à une douleur visible.
— Désolé de quoi ? demanda-t-il doucement. De m’éviter ? De ne pas me parler ? Je ne comprends pas, Gabriel. Je ne comprends rien.
Alors qu’Elias parlait, son regard se posa sur le bureau de Gabriel, où un carnet ouvert était posé. Les pages tournées révélaient plusieurs croquis, et Elias reconnut immédiatement son propre visage sur l’un d’eux.
Il s’avança lentement, ses sourcils se fronçant légèrement, avant de poser la main sur le carnet. Gabriel, remarquant son mouvement, sentit son souffle se couper.
— Attends… Elias, non, protesta-t-il, mais il était déjà trop tard.
Elias feuilleta les pages, découvrant une série de dessins, chacun représentant un moment, une expression, une émotion. Des croquis minutieux, certains en noir et blanc, d’autres esquissés à la hâte, mais tous portaient une intensité qui lui était impossible d’ignorer.
Il releva la tête, le regard troublé.
— Gaby… c’est quoi, ça ? demanda-t-il d’une voix basse, presque incrédule.
Gabriel resta figé, incapable de répondre. Son cœur battait à tout rompre, et une boule se formait dans sa gorge.
— Tu… Tu passes ton temps à me dessiner ? poursuivit Elias, feuilletant encore quelques pages. Il y a combien de dessins là-dedans ?
Gabriel se détourna, sa voix tremblante.
— C’est rien, murmura-t-il. Juste… juste un passe-temps.
Mais Elias posa le carnet sur le bureau, ses yeux cherchant ceux de Gabriel avec une intensité qui le cloua sur place.
— Non, ce n’est pas rien, répondit-il doucement. Gabriel, pourquoi tu fais ça ?
Le silence qui suivit était presque insupportable. Gabriel sentit ses mains trembler légèrement tandis qu’il se forçait à respirer. Il aurait voulu disparaître, s’effacer sous le poids de ce regard.
— Parce que… parce que je t’aime, finit-il par lâcher, sa voix à peine audible.
Elias resta figé, ses yeux s’écarquillant légèrement. Gabriel, incapable de regarder sa réaction, continua à parler, les mots jaillissant malgré lui.
— Je sais que ce n’est pas ce que tu veux entendre. Je sais que c’est… c’est égoïste de ma part. Mais c’est comme ça. Ça fait des années, Elias, et je… Je n’arrive pas à arrêter.
Il sentit ses jambes faiblir et s’assit sur le bord de son lit, la tête basse.
— C’est pour ça que je t’évite, murmura-t-il. Parce que te voir avec elle, te voir sourire, être heureux sans moi, ça me tue. Et je sais que je n’ai pas le droit de ressentir ça.
Le silence retomba, mais cette fois, il était chargé d’émotions. Elias, toujours debout, semblait lutter avec ses propres pensées.
— Gaby… je… je ne savais pas, dit-il finalement, sa voix brisée.
Gabriel ne répondit pas. Il s’attendait au rejet, à l’inévitable distance que ces aveux allaient créer. Mais il n’était pas préparé à ce que dirait Elias ensuite.
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