Chapitre 18
Le crayon dansait sur le papier, traçant des lignes précises qui prenaient peu à peu la forme d’un portrait. Gabriel, plongé dans son monde, ne percevait rien d’autre que le bruit léger de la mine frottant contre la feuille. Chaque trait semblait chargé d’une émotion qu’il ne parvenait pas à exprimer autrement.
Ce matin-là, il s’était réveillé avec une idée claire : immortaliser la lumière qui jouait sur le visage d’Elias lors de leur dernière sortie à la plage. Il avait passé des heures à se souvenir, à chercher les détails exacts de cette expression, oubliant tout le reste autour de lui.
La lumière dans la pièce changea, passant du doré éclatant du matin à une teinte plus douce et tamisée. Gabriel leva enfin les yeux vers l’horloge accrochée au mur, et un frisson le parcourut.
— Seize heures ? murmura-t-il, abasourdi.
Son ventre gargouilla, une sensation qu’il ignorait souvent jusqu’à ce qu’elle devienne impossible à nier. Il posa son crayon à contrecœur et se dirigea vers la cuisine.
Le réfrigérateur émit un léger grincement lorsqu’il l’ouvrit. Gabriel scruta son contenu avec indécision, ses yeux passant sur les plats soigneusement emballés que sa mère avait préparés. Rien ne lui semblait suffisamment "rapide" ou "simple". Il détestait l’idée de perdre du temps à cuisiner ou à manger.
Son regard se porta sur une grappe de bananes posée sur le comptoir. Il en attrapa une, l’éplucha rapidement et mordit dedans sans y réfléchir davantage.
— Ça fera l’affaire, murmura-t-il pour lui-même, regardant distraitement par la fenêtre pendant qu’il finissait la banane.
Une fois le fruit englouti, il jeta la peau dans la poubelle et retourna à son bureau, son estomac légèrement apaisé mais sans réelle satisfaction. Il se rassit, déterminé à terminer son dessin avant que ses parents ne rentrent dans une heure.
Le lendemain, Gabriel s’installa à nouveau à son bureau, prêt à travailler sur un nouveau croquis. Mais son téléphone vibra, et un appel visio d’Elias interrompit ses plans.
— Regarde ça, dit Elias dès que l’appel démarra, retournant son téléphone pour montrer une vue imprenable sur des montagnes enneigées.
La lumière dorée du matin illuminait son visage, et Gabriel sentit son cœur se réchauffer en voyant son sourire éclatant.
— C’est magnifique, non ? ajouta Elias.
— Oui, c’est incroyable, répondit Gabriel avec sincérité.
Ils passèrent des heures à discuter. Elias racontait ses randonnées, partageant des anecdotes sur son père glissant sur un rocher ou sa mère essayant de prendre des selfies parfaits. Gabriel, captivé par chaque détail, oublia complètement l’heure qui tournait.
Quand l’appel prit fin, Gabriel jeta un coup d’œil à l’horloge de son téléphone. Il était déjà quinze heures passées.
— Encore une journée où j’oublie de manger… murmura-t-il en soupirant.
Mais au lieu de se rendre à la cuisine, il s’allongea sur son lit, le téléphone posé sur sa poitrine. L’idée de manger ne l’attirait pas vraiment. Il ne ressentait qu’une vague sensation de vide qu’il associait plus à la fatigue qu’à la faim.
Ses pensées dérivèrent vers Elias, ses histoires, ses sourires. Ces moments lui semblaient bien plus nourrissants que n’importe quel repas.
Ce soir-là, Gabriel s’installa à table avec ses parents, un peu plus tard que d’habitude. Il s’assit en silence, jouant distraitement avec sa fourchette.
Sa mère, observatrice comme toujours, fronça les sourcils en le voyant engloutir son repas avec plus d’appétit que d’ordinaire.
— Tu n’as pas mangé ce midi ? demanda-t-elle d’un ton neutre, mais Gabriel sentit la légère inquiétude dans sa voix.
Il haussa les épaules, évitant son regard.
— J’ai oublié, répondit-il vaguement.
Elle soupira doucement, mais n’insista pas. Son père, de son côté, restait plongé dans son journal, insensible à la tension silencieuse qui flottait à table.
Gabriel, pourtant, sentait une boule dans son estomac, une culpabilité qu’il ne parvenait pas à identifier. Ce n’était pas tant d’avoir oublié de manger, mais plutôt de sentir qu’il n’en avait pas eu envie.
Les jours suivants, Gabriel se perdit à nouveau dans son quotidien : ses croquis, ses pensées, et surtout, ses échanges avec Elias. Chaque fois qu’il réalisait l’heure, il était trop tard pour un déjeuner "classique". Il se contentait de petites choses — une pomme, un biscuit — pour tenir jusqu’au soir.
Mais il se rassurait : il n’était pas vraiment "faim". Ce qu’il ressentait, c’était autre chose. Une sorte de vide qu’il comblait autrement, peut-être par ses dessins, ou ces moments volés avec Elias.
Un soir, alors qu’il fixait son assiette, il se surprit à se demander : Pourquoi est-ce que je n’y pense plus ?
Ce n’était pas un problème, se dit-il. Juste une phase.
Par moments, Gabriel retrouvait un équilibre qu’il n’avait pas conscience d’avoir perdu. Ces phases où il se nourrissait convenablement arrivaient souvent après des journées passées avec Elias ou Sofia, où les repas prenaient une dimension sociale. Partager un plat de pâtes ou se laisser convaincre par Sofia d’essayer une recette improvisée devenait une expérience plaisante plutôt qu’une corvée. Il se surprenait à goûter chaque bouchée, appréciant les saveurs simples mais réconfortantes. Le rire d’Elias ou les commentaires sarcastiques de Sofia sur ses talents culinaires suffisaient à alléger son esprit. Dans ces moments, manger ne semblait plus être un fardeau, mais un rituel partagé qui renforçait leurs liens.
Un dimanche matin, alors qu’il travaillait sur un croquis depuis plusieurs heures, il s’interrompit brusquement, surpris par l’intensité de la faim qui montait en lui. Cette fois, il ne l’ignora pas. Descendant à la cuisine, il prit son temps pour préparer un petit-déjeuner copieux : des tartines de pain grillé légèrement dorées, un œuf au plat à la texture parfaite, et un verre de jus d’orange fraîchement pressé. Le parfum du pain chaud et l’éclat du jaune d’œuf dans son assiette éveillèrent une satisfaction qu’il n’avait pas ressentie depuis longtemps. Chaque bouchée semblait raviver une énergie oubliée, comme si son corps lui rappelait que ces gestes simples étaient essentiels à son équilibre. Il resta un moment assis à table après avoir fini, observant la lumière douce du matin entrer par la fenêtre, un sourire léger sur les lèvres.
Ces phases de renouveau coïncidaient souvent avec des périodes où il se sentait plus léger émotionnellement, moins encombré par ses pensées ou ses doutes. Lorsqu’il retrouvait ce rythme, il réalisait à quel point il avait besoin de ces instants de soin personnel, ces gestes simples qui lui permettaient de se reconnecter à lui-même. Il s’efforçait de maintenir ces habitudes, mais elles finissaient souvent par s’effacer dès que l’anxiété ou l’obsession pour ses projets reprenait le dessus. Pourtant, ces éclairs de lucidité laissaient une empreinte durable : quelque part, il savait qu’il pouvait revenir à cet équilibre. Il n’était pas perdu, juste égaré temporairement.
Ce soir-là, Gabriel était seul à table. Ses parents étaient partis pour une soirée chez des amis, et il avait décidé de rester à la maison. Pourtant, malgré une assiette bien remplie devant lui, il n’avait pas vraiment faim. Il jouait distraitement avec sa fourchette, perdu dans ses pensées. Toute l’après-midi, il avait échangé par visio avec Elias, et chaque mot, chaque sourire de son ami restait gravé dans son esprit.
Son téléphone vibra soudainement sur la table, le tirant de ses rêveries. Il le prit sans réfléchir et ouvrit le message.
Elias : Tu fais quoi ? T’as l’air calme ce soir.
Gabriel : Je dîne. Enfin… j’essaie.
Elias : T’essaies ? Mauvais cuisinier ou pas faim ?
Gabriel : Pas faim, je suppose.
Il hésitait à répondre davantage quand une notification l’interrompit. Une photo s’afficha : Elias, torse nu, légèrement incliné, ses cheveux encore mouillés tombant sur son front. Une serviette était nouée autour de ses hanches, dévoilant ses abdos parfaitement sculptés et une partie de ses hanches.
Gabriel sentit son visage chauffer instantanément. Son cœur accéléra alors qu’il fixait la photo, incapable de détourner les yeux.
Gabriel : T’es sérieux, là ? Pourquoi tu m’envoies ça ?
Elias : Tu sais très bien pourquoi.
Avant qu’il ne puisse répondre, une deuxième photo arriva. Cette fois, Elias était allongé sur son lit, la serviette un peu plus basse, laissant deviner la courbe de ses hanches. Une main était posée négligemment sur son abdomen, tandis que l’autre tenait son téléphone. Son sourire espiègle et ses yeux brillants semblaient le défier.
Gabriel : Elias… Qu’est-ce que tu fais ?
Elias : Je t’ai trop perturbé pour que tu finisses ton repas ? ;)
Gabriel posa son téléphone sur la table, prenant une grande inspiration. Mais il ne pouvait pas s’empêcher de vérifier une nouvelle fois l’écran lorsqu’une troisième photo arriva.
Cette fois, la photo était encore plus audacieuse. Elias avait fait glisser la serviette pour laisser apparaître l’arête de son boxer, dévoilant une partie de sa peau, presque trop intime. Les ombres jouaient sur ses muscles, accentuant chaque détail.
Gabriel sentit son souffle s’accélérer, et il détourna le regard, le téléphone toujours dans sa main. Son ventre se nouait, un mélange de gêne et de désir qu’il ne pouvait plus ignorer.
Gabriel : T’es complètement fou…
Elias : Et toi, complètement silencieux. Ça veut dire que ça te plaît ?
Gabriel éteignit l’écran de son téléphone et se leva précipitamment, abandonnant son assiette à moitié pleine. Il monta rapidement les escaliers, son esprit embrouillé par une myriade d’émotions.
Dans sa chambre, il verrouilla la porte et se laissa tomber sur son lit. L’écran de son téléphone brillait toujours, et malgré lui, il ouvrit à nouveau les messages. Les photos semblaient encore plus frappantes maintenant qu’il était seul. Les courbes, les détails, l’audace d’Elias... tout résonnait en lui d’une manière qu’il ne pouvait ignorer.
Il passa plusieurs minutes à regarder ces images, son esprit complètement captif de l’effet qu’Elias avait sur lui. Chaque détail semblait réveiller quelque chose de plus profond, une tension qu’il tenta d’apaiser seul dans l’intimité de sa chambre.
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