Chapitre 22

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Les jours qui suivirent l’accident furent marqués par un mélange d’espoir ténu et de douleur écrasante. Elias, malgré sa force de caractère habituelle, était plongé dans une réalité qu’il n’avait jamais imaginée : il ne voyait plus qu’à 40 %. Chaque mouvement, chaque tâche, chaque moment banal de sa vie était désormais un défi. Gabriel, quant à lui, oscillait entre le rôle de soutien indéfectible et celui d’un spectateur impuissant face aux blessures visibles et invisibles de celui qu’il aimait.

Les premiers jours à l’hôpital furent remplis d’examens. Les médecins expliquaient en détail les dégâts : les griffures profondes causées par le bâton avaient abîmé de façon permanente certaines parties des globes oculaires, laissant Elias avec une vision floue et des zones d’ombres dans son champ de vision. Elias, assis dans son lit, écoutait en silence, ses mains crispées sur les draps. Chaque mot semblait le plonger un peu plus dans un abîme dont il ne voyait pas encore la sortie.

— Quarante pour cent… murmura-t-il, presque pour lui-même.

Gabriel, assis près de lui, tenta de briser ce silence lourd.

— C’est quelque chose, dit-il doucement, presque suppliant. On va faire en sorte que ça soit suffisant.

Mais Elias ne répondit pas. Son regard, autrefois pétillant et assuré, semblait désormais perdu, brisé par une réalité qu’il n’avait pas choisie.

Quelques semaines plus tard, après avoir quitté l’hôpital, Elias fut transféré dans un centre de rééducation spécialisé. Là-bas, les journées étaient rythmées par des exercices précis et méthodiques, visant à maximiser ce qui lui restait de vision tout en l’aidant à s’adapter à sa nouvelle réalité. Les premières séances furent un choc pour Elias, qui se heurtait à l’implacable vérité de ses limites.

Chaque exercice, aussi simple qu’il puisse paraître, semblait être une montagne à gravir. Repérer un objet posé à quelques mètres, marcher en ligne droite en suivant un guide visuel, ou simplement lire une ligne de texte demandait une concentration intense. Elias serrait souvent les poings, sa frustration bouillonnant en lui.

Un après-midi, alors qu’il échouait à attraper une balle qu’on lui lançait dans un exercice de coordination, il explosa de colère.

— C’est ridicule ! hurla-t-il, lançant la balle à travers la pièce. À quoi ça sert, tout ça ?!

Gabriel, qui observait depuis le coin de la pièce, se précipita vers lui, attrapant doucement son bras.

— Elias, ça va prendre du temps. Personne ne s’attend à ce que tu réussisses tout du premier coup, murmura-t-il.

Mais Elias se dégagea brusquement, ses yeux embués de larmes.

— Et si je n’y arrive jamais ? rétorqua-t-il. Si je reste comme ça pour toujours ?

Gabriel resta silencieux un instant, cherchant les mots justes.

— Alors je serai là, répondit-il finalement. Peu importe combien de temps ça prend, je resterai.

Les nuits étaient les plus difficiles. Quand le centre plongeait dans le calme, Elias se retrouvait seul avec ses pensées. Gabriel, bien qu’épuisé par ses propres émotions, restait souvent assis à ses côtés, essayant de combler ce vide silencieux. Une nuit, alors qu’ils étaient tous deux plongés dans l’obscurité de la chambre, Elias brisa le silence.

— Pourquoi tu restes ? demanda-t-il d’une voix rauque, son regard fixé sur le plafond invisible.

Gabriel releva la tête, surpris par la question.

— Comment ça, pourquoi je reste ? répondit-il doucement.

— Tu n’as pas signé pour ça, Gaby, continua Elias, sa voix tremblante. Je suis un poids. Tu mérites quelqu’un qui n’a pas besoin d’être guidé à chaque pas.

Gabriel sentit son cœur se serrer, mais il refusa de céder à cette vague de tristesse. Il se leva, s’approcha du lit, et s’assit à côté d’Elias.

— Tu n’es pas un poids, Elias. Tu es la personne que j’aime. Peu importe les défis, peu importe ce que ça implique, je veux être là pour toi.

Elias tourna légèrement la tête vers lui, ses yeux brillants de larmes qu’il n’osait pas laisser couler.

— Et si je ne suis plus celui que tu aimais avant ? murmura-t-il.

Gabriel posa une main sur celle d’Elias, serrant doucement ses doigts.

— Alors je vais apprendre à aimer celui que tu deviens.

Malgré les efforts pour se concentrer sur la rééducation d’Elias, Gabriel ne pouvait pas chasser de son esprit l’idée que l’accident n’avait peut-être pas été complètement innocent. Les paroles échappées d’une conversation entre deux visiteurs résonnaient dans sa tête.

Un soir, alors qu’Elias dormait, Gabriel décida de chercher des réponses. Il retrouva le nom du garçon qui avait causé l’accident et découvrit, grâce aux réseaux sociaux, qu’il avait déjà eu des différends avec Elias lors d’une fête précédente. Les détails restaient flous, mais une chose était claire : il y avait eu un antécédent.

Gabriel n’en parla pas immédiatement à Elias, craignant de le bouleverser davantage. Mais l’idée que quelqu’un ait pu intentionnellement nuire à Elias le hantait.

Malgré les tensions et les défis, Gabriel et Elias continuaient à avancer, un jour à la fois. Chaque petite victoire – Elias identifiant un objet ou réussissant un exercice difficile – devenait un moment à célébrer. Gabriel s’efforçait de maintenir une attitude positive, même si, intérieurement, il luttait contre ses propres insécurités.

Une nuit, alors que Gabriel s’apprêtait à quitter la chambre pour dormir dans la pièce voisine, Elias l’appela doucement.

— Reste, murmura-t-il. Juste ce soir.

Gabriel hocha la tête, s’installant dans le fauteuil près du lit.

— Merci, Gaby, murmura Elias, sa voix chargée d’émotion. Pour tout.

Gabriel, les yeux fermés, répondit doucement :

— Tu n’as pas à me remercier. C’est toi qui rends tout ça possible.

Dans l’obscurité, leurs silences se mêlèrent, mais cette fois, il n’y avait ni tension ni peur. Juste une promesse implicite de continuer, ensemble, malgré les obstacles.

Gabriel, bien que concentré sur la rééducation d’Elias et ses propres efforts pour rester positif, ne pouvait chasser de son esprit ce qu’il avait entendu : l’accident d’Elias pourrait ne pas être un simple coup du sort. Cette idée, comme un poison, s’infiltrait dans ses pensées, le poussant à chercher des réponses. Une nuit, alors qu’il était seul dans le centre, il prit son téléphone et appela Sofia.

— Sofia, j’ai besoin de ton aide, commença-t-il, sa voix hésitante.

— Bien sûr, Gaby. Qu’est-ce qui se passe ?

— Ce garçon, celui avec le bâton… Tu te souviens de son nom ?

Sofia resta silencieuse un instant, semblant réfléchir.

— C’était Jordan. Jordan Floret. Pourquoi tu demandes ça ?

Gabriel hésita, mais il finit par répondre :

— J’ai besoin de comprendre.

Avec le nom en main, Gabriel chercha Jordan sur Instagram. Il trouva rapidement son profil, regorgeant de photos de fêtes et de soirées où il apparaissait souvent entouré d’amis. Mais parmi ces clichés de façade, Gabriel sentit quelque chose de dissonant : Jordan semblait afficher une confiance exagérée, presque forcée.

Après un long moment d’hésitation, il envoya un message direct.

Gabriel : On doit parler. Juste toi et moi. C’est à propos de ce qui est arrivé à Elias.

La réponse arriva plus vite qu’il ne l’avait imaginé.

Jordan : Demain, à 18h. Parc derrière le lycée. Pas de témoins.

Gabriel sentit un frisson d’appréhension parcourir son corps, mais il savait qu’il devait y aller.

Le lendemain, Gabriel arriva au parc, le cœur lourd mais déterminé. Jordan était déjà là, assis sur un banc, son téléphone à la main. Lorsqu’il leva les yeux et vit Gabriel, un sourire narquois étira ses lèvres.

— Alors, c’est toi, le parfait petit ange gardien d’Elias ? lança-t-il, sa voix teintée de sarcasme.

Gabriel ignora la pique et s’assit à une distance raisonnable.

— Pourquoi tu as fait ça ? demanda-t-il directement, ses yeux fixant ceux de Jordan.

Jordan haussa les épaules, jouant avec un bâton trouvé au sol, comme pour accentuer l’ironie de la situation.

— Pourquoi ? Parce qu’il l’a mérité, répondit-il calmement.

Gabriel sentit sa mâchoire se serrer, mais il resta silencieux, l’encourageant à continuer.

— Tu crois vraiment qu’Elias est un saint ? reprit Jordan, son ton devenant plus dur. Quand on était gamins, il était le pire des enfoirés. Il m’a humilié devant tout le monde. Des moqueries, des surnoms débiles… Chaque jour, c’était pire.

Gabriel cligna des yeux, abasourdi. Il n’avait jamais entendu parler de cette facette d’Elias.

— Il a changé, Jordan. Ce que tu dis… ça ne ressemble pas à lui, répondit Gabriel, défensif.

Jordan rit, mais son rire était amer.

— Les gens changent, oui. Mais ça n’efface pas ce qu’ils ont fait. J’ai toujours voulu lui rendre la pareille, et ce soir-là… L’alcool a juste rendu les choses plus faciles.

Gabriel sentit un frisson glacé parcourir son dos. Jordan ne montrait aucun remords.

De retour chez lui, Gabriel ne pouvait chasser de son esprit les mots de Jordan. Elias, un harceleur ? Ces images ne correspondaient pas à la personne qu’il connaissait, mais Jordan avait parlé avec une telle intensité que Gabriel ne pouvait s’empêcher de douter.

Il se tourna et se retourna dans son lit cette nuit-là, les pensées tourbillonnant dans sa tête. Il aurait pu en parler à Elias, mais quelque chose l’en empêchait. Était-ce la peur de raviver des souvenirs douloureux ? Ou le simple fait qu’il ne voulait pas ajouter un fardeau supplémentaire à celui qu’Elias portait déjà ?

Ce secret devint un poids, mais Gabriel décida de le garder pour lui. Elias avait besoin de soutien, pas de confrontations avec un passé qu’il ne pouvait pas changer.

Les jours suivants, Gabriel commença à montrer des signes de tension. Il mangeait de moins en moins, son appétit disparaissant sous le poids de ce qu’il savait. Les repas qu’il partageait avec Elias étaient ponctués de silences prolongés, ses réponses devenant plus courtes, presque mécaniques.

Elias, bien qu’occupé par sa rééducation, remarqua rapidement le changement.

— Gaby, tu vas bien ? demanda-t-il un soir, posant une main légère sur celle de Gabriel.

Gabriel hocha la tête, un sourire forcé sur les lèvres.

— Oui, ne t’inquiète pas, répondit-il, même si son visage pâle et ses joues creusées racontaient une autre histoire.

Malgré son propre trouble, Gabriel ne faillit pas dans son rôle de soutien. Il était présent à chaque séance de rééducation, encourageant Elias avec des mots doux et des gestes rassurants. Mais à l’intérieur, il se sentait de plus en plus vide, rongé par la vérité qu’il portait seul.

Un soir, alors qu’ils regardaient un film ensemble dans la chambre, Elias tourna la tête vers Gabriel, un léger sourire aux lèvres.

— Je ne sais pas comment tu fais, dit-il doucement. Tu es toujours là pour moi, même quand je suis insupportable.

Gabriel baissa les yeux, incapable de soutenir son regard.

— Parce que je t’aime, murmura-t-il, sa voix chargée d’émotion.

Ces mots, bien que sincères, étaient teintés d’un poids que Gabriel ne pouvait partager.

Gabriel savait qu’il ne pouvait pas garder ce secret éternellement, mais il ne voyait pas comment en parler sans briser la fragile stabilité qu’ils avaient construite. Chaque jour, il oscillait entre l’amour qu’il portait à Elias et la douleur de ce qu’il savait sur son passé.

Dans le silence de ses nuits, il se demandait s’il avait fait le bon choix. Et pourtant, lorsqu’il voyait le sourire d’Elias, même légèrement terni par sa rééducation, il savait qu’il continuerait à porter ce fardeau pour lui, quitte à s’y perdre lui-même.

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