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Elle parlait avec une certaine lenteur comme pour contrôler le son qui sortirait de sa bouche.
— La faute aux nuages et la ville flottante qui pour se venger d’une guerre perdue nous a caché le soleil. Des vieilles histoires de chaumières. Qui, ma foi, pourrait bien être vraies. J’ai arrêté de me poser mille questions.
Il y avait chez elle une résignation, comme si une lame dormait au-dessus de sa tête et que quoi qu’elle eût pu faire, l’arme aurait fini par la fendre.
— Pourquoi ?
— Tu es si curieux. Comme la fillette. Elle aussi ne cessait ses pourquoi ? Ses comment ? Elle n’est plus revenue. J’espère qu’elle n’est pas tombée.
Un voile de tristesse embua ses yeux dont les iris se coloraient de sang. Le rose devint rouge comme une pomme trop mure. Suan s’interrogea sur les larmes qui auraient pu y couler. Etaient-elles faite de poison ?
Avant que la jeune femme ne s’exprime et réponde à Suan, une voix stridente hurla vers le potager décochant un nouveau sursaut au jeune homme.
— Adama ! Reviens sur le champ !
Des pas se firent connaître écrasant branches mortes et légumes secs.
Suan s’enfonça dans le buisson derrière lui, sous le regard mélancolique d’Adama.
Il y avait à nouveau ce quelque chose de suppliant. Comme un appel à l’aide que l’on ose exprimer.
— Es-tu fou ? aboya un être envoilé. Partir alors que je ne veux pas que tu quittes la cave et en plus sans ton voile. Tu veux mourir ? Ne te fis pas à ce que pense les filles du village, les cheveux tueurs rodent toujours et les oiseaux noirs sont quelque part tapi dans l’ombre. Ils finiront par trouver l’emplacement de notre village. Comme ils le font à chaque fois. Tu es le seul frère qui me reste. Sois gentil et écoute-moi.
— Analoum, je suis fatigué de rester enfermé jour et nuit. Regarde-moi, je grandis et bientôt la nature sera que je suis un homme. Tu pourras me badigeonner d’artifice que ça ne suffira pas. Plus tu feras ton possible pour que je ressemble à une belle femme, plus on songera à un mensonge. Si les oiseaux noirs viennent, ils seront ce que je suis. Il aurait fallu que je sois aussi fin que Jeckm.
— Jeckm est un homme ?
Adama hocha la tête, surprit que sa sœur le découvre.
Suan observa la scène ainsi que le voile dont Analoum recouvrit son frère.
— Peu importe ce qu’il est, toi tu as quinze ans, je ne te laisserai à personne, foi de grande-sœur. Jeckm a passé l’âge de se faire enlever.
Elle lui attrapa la main et le tira en dehors du potager.
Suan s’extirpa de sa cachette et vint s’asseoir à son tour sur la courge. Il regarda Adama et Analoum s’éloigner, puis lorsqu’il ne les vit plus, il toisa les épicéas qui l’entouraient. Ils le surplombaient comme cent géants tourmenteurs. L’avertissement était clair. Partir serait le mieux.
— Grenouille ne restons pas là. Il y a bien trop d’ombre dans cette cité de brume. Un ciel qui pleut de la cendre n’est porteur que de malheur. As-tu écouté ? On dirait que les hommes court un grave danger dans ce monde. Je ne pourrai pas te protéger correctement, sans me faire remarquer.
Il se redressa, écrasa des légumes encore jeunes et en extraie les graines qu’il enroula dans les rubans tressés, avant de quitter le potager. Cependant, Grenouille, attirait par le parfum de pot-eau-feu, sautilla sur le chemin qu’avait emprunté Adama et sa sœur. Si petite, si rapide.
Suan n’eut pas le temps d’opérer un second pas et se retourner sur le vide.
Bien plus loin, il vit sa petite compagne filer tout droit vers des ruines.
Il s’élança à son tour, couru plus qu’il ne marchait et réussi à la rattraper. Mais déjà, il se savait observer. Accrochés aux ruines, des lierres chahutés par la brise le fixaient de leur tâche blanche qui formait un œil sur chaque feuille.
Un murmure s’éleva derrière l’inquiétante demeure usée par le temps. Il déglutit, cachant Grenouille contre son torse, tourna lentement sur lui-même, avisa chaque ombre, chaque mouvement de branches, puis une course effrénée de chevaux, lui vola un sursaut. Ne sachant pas d’où provenait les hennissements et les cris qui commençaient à résonner autour de lui. Il détala au hasard. Il s’enfonça dans des bosquets. Le vent souffla amenant les voix qui disparaissait l’instant suivant. Son cœur bondissait. Il percutait ses idées, sa logique, son instinct. Fuyant un événement insaisissable, il sortit des broussailles pour tomber tout cuit dans la large rue d’un village de fortune. Il resta tétanisé, planté au beau milieu d’une bataille de bras et d’épée. Des soldats ou des personnes s’y apparentant, tiraient sur les voiles et entraient dans des baraquements, des chaumières rapiécées. Ils en extrayaient de très jeune fille, de jeunes femmes, dont les mères cherchaient à garder cramponnée à elles. Dans le feu de l’action, un voile s’accrocha au visage de Suan qui observait la scène la bouche entrouverte, incapable de faire le moindre geste.
Sous les ordres d’une femme d’une vingtaine d’années, les êtres vêtus de noir et dont les manches de leur veste ressemblaient aux ailes d’oiseaux, on fit sortir plus d’une jeune fille, choisissant les bonnes, comme si toutes n’étaient pas bonne à prendre. Certains des soldats tapaient entre leur jambe d’une belle poigne et des sons discordant sortaient alors des bouches voulues rester closes.
Les chevaux tapant leurs sabots sous l’effets de la nervosité, partaient les uns après les autres avec sur le dos, la prise de leur cavalier.
Suan tenta enfin de fuir quand une femme le bouscula, tirant sur la robe d’une autre. Elle portait un pantalon et de hautes bottes. Elle criait à s’en arracher les cordes vocales, comme la plupart des femmes du village. D’ailleurs, avant de se redresser, Suan trouva étrange qu’il n’y ait pas un homme. Et il se rappela la scène au potager. Cette Analoum protégeant son frère. Elle aussi portait un pantalon, alors qu’Adama, lui, était vêtu de mille tissus.
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