3
*
Le crépuscule noyait doucement le ciel brumeux quand le trio, suivi de Grenouille décidèrent d’emprunter le cercle d’eau. Aucun n’avait pied et même leurs plus lourds vêtements laissés en marge, près de l’arbre, ne suffisait pas à nager sans prendre la tasse. Il y avait dans l’eau de longues tiges de roseau qui ne paraissaient pas en surface, mais qui empêchait de déployer le mouvement d’une brasse. Laborieusement et après deux repèche de Suan, ils rejoignirent la fosse aux cendres. Analoum devina sans mal qu’il leur faudrait être rapide.
— Il faut passer avant que le ciel ne s’éteigne tout à fait. C’est à ce moment-là, qu’elles allumeront le feu.
— Quel feu ? s’étonna Suan.
— Es-tu l’idiot de ton village, ma parole ?
Trysol secoua la tête lentement haussant les sourcils et faisant papillonner ses cils. Il devait l’être, sans quoi, il ne poserait pas une question aussi stupide en voyant tous ces tas de bois et cette braise encore rougie.
En se tournant vers sa sœur, Suan réalisa qu’il était le seul à n’avoir rien comprit de tout ça.
— Les soldats, elles vont ériger un grand feu tout autour du village, lui révéla Xin-Shen. C’est pour éloigner les cheveux.
— Comment sais-tu ça ?
— Je l’ai entendu en cherchant Nyim. Préviens les filles que d’ici une bonne heure, la plupart des oiseaux noir rouleront parterre d’avoir trop bu. Il y a plusieurs tavernes et le soir semble rimer avec détente. Beaucoup d’entre elles ont des projets.
— Et Nyim ?
— Je ne sais pas. Elle n’est pas très bavarde, et quand je l’ai quitté, elle rédigeait quelque chose dans un grand livre. Elle m’a paru absente même quand on s’adressait à elle.
Suan soupira et répéta le tout à ses compagnes de route. Aucune d’elles ne réagit vraiment occupées à déjouer le plan des branches mortes qui s’agrippaient à leur pantalon. Plusieurs fois, Trysol se brûla avec des braises, Analoum glissa sur du bois calciné et à maintes reprises, elles durent tirer Suan embourbé dans des cendres mouvantes. Le crépuscule était presque rendu à son apogée lorsqu’ils trouvèrent tour à tour appuie sur une rambarde et qu’ils piétinèrent les pissenlits d’un carré de jardin laissé à l’abandon. Grenouille attendait patiemment sur le rebord de la fenêtre d’une chaumière, soufflant à plusieurs reprises de la maladresse de chacun. Heureusement qu’ils n’étaient que trois.
À peine rejoignirent-ils le mur de pierres, qu’une immense flamme jaillit du cercle, séchant presque immédiatement leur tenu légère et humide de leur baignade. Comme si l’appel de lumière autour du village ne suffisait pas, un nombre incalculable de torches furent allumées.
— Comment passer inaperçu ?! ironisa Suan. Il fait plus jour quand plein après-midi.
Pour porter moins l’attention sur eux, ils retirèrent leur voilage. Mais ça ne suffisait pas pour déambuler dans les rues à découvert.
La brume avait disparu en totalité et les ombres se faisaient rares entres les maisonnettes entassées. Le fait qu’Analoum avait toujours les rayures au centre de son visage violet ne permettrait pas à se fondre dans la masse. À vrai dire, rien n’allait et les soldats commençaient à inonder les ruelles.
Trysol attira tout le petit monde en arrière, entre le dos de la chaumière et le mur de flamme. Elle analysa chaque déplacement, chaque porte qui s’ouvrait, qui se fermait.
— Les herbes sont hautes et les jardins se rejoignent les uns les autres. À quatre pattes, tout le monde. Suan, mets-toi devant et montre-nous le chemin. Xin-Shen, si tu m’entends, tu seras nos yeux. Si quelqu’un approche de nous, préviens ton frère. Il nous faut avant de nous rendre chez Nyim, des vêtements. Trouve-nous des soldats isolés.
Tout le monde se tourna vers elle, dans un acquiescement contestable.
Xin-Shen comprit qu’elle serait les yeux et les oreilles du trio, mais aussi, celle qui devrait leur trouver de quoi se confondre à la foule. Elle avait un rôle important.
Energiquement, elle prit les commandes dirigeant son frère qui répétait chacun de ses mots dans un chuchotement balayé par la cacophonie ambiante. Trysol reléguait les informations à Analoum qui fermait la marche.
Au bout de sept maison contournée, Xin-Shen alerta son frère. Une oiseau noir, les fesses en bombes, la tête dissimulait par un stock de bois, était seule. Pas l’ombre d’une aide extérieur. Suan en fit par à Trysol, qui ne comprit qu’un mot sur deux. Elle voulut lui faire répéter, mais il se leva d’un bond et lança la première opération. Le corps de moitié mangé par les herbes folles, il saute sur la femme et sa charge de bois. Elle bascula. Il la retient par les épaules, regarda derrière lui, chercha la rouquine. Personne.
— Qu’est-ce qu’elle fiche ? gronda-t-il, alors qu’il se sentit soulevé.
En moins d’une seconde, il se retrouva dos au sol. Des mains encerclèrent son cou. Elles le sanglèrent. Il eut du mal à respirer, mais trouva la force de fixer le jardin.
Toujours personne.
Il se demanda un instant tout en tordant les poignets de son agresseuse, si Trysol avait bien comprit ce qu’il lui avait dit. Ne la voyant pas arriver, il songea à Analoum et son flaire. Avait-il usé ses forces ?
Suan se tortilla alors que la soldat serrait ses cuisses sur son bassin. Elle n’aurait pas raison de lui l’assura-t-il en atteignant sa nuque. En une pression bien ciblé sur un nerf, il assomma la femme blonde dont la couronne de tresses se dénoua lorsqu’elle s’écrasa contre le sol.
Suan regarda tout autour de lui de peur qu’on ait pu entendre le mouvement d’agitation, puis il avisa les deux têtes qui sortaient des herbes et les pairs d’yeux qui le fixaient. Il resta dubitatif. Est-ce qu’Analoum et Trysol se fichaient de lui ? C’était quoi cette tête d’ahuri ?!
— Ne vous pressez surtout pas ? commenta-t-il.
L’oiseau noir remua. Il lui donna un coup de sandale et entreprit de la dévêtir lui-même.
Ses compagnes rappliquèrent étrangement surprise par la dextérité qu’il avait eut à se défendre. Pas une. Pas deux. Il enfila les vêtements qui lui parurent un poil trop large. Analoum serra plus fort la ceinture autour de sa taille pour que la veste soit plus proche de ses courbes.
Avant qu’ils ne décident de poursuivre leur ascension dans le village. Ils choisirent d’investir la maison face à eux et d’y chercher d’autres habits.
Xin-Shen les guida à l’intérieur. La communication était moins chaotique et Trysol trouva une cape au couleur des oiseaux noirs qu’elle passa sur ses épaules. Analoum se contenta d’une chemise noire qui trainait sur les planches du salon. Elle sentait la transpiration et semblait tâchés de sang, mais la brune n’était pas à ça près. Chacun entrepris de coiffer les autres. Et en moins de temps qu’il ne faut pour allumer un brasier, chacun des membres du trio porté une couronne de tresse sur la tête. Sachant que les voiles étaient retirées ici, Trysol mélangea des gouttes de son sang à un peu de cendre et tatoua le visage de Suan.
A tour de rôle, ils analysèrent leur aspect et convaincu, ils sortirent de la barraque pour circuler dans les rues.
Suan resta derrière les filles, de quoi dissimuler son visage dans le cas où une soldat aurait voulu s’attarder sur ses marques. Peut-être avaient-ils eut raison de poudrer leurs cheveux de cendre pour mieux, encore, se confondre à toutes ses blondes qui tapissaient l’horizon. À croire qu’il fallait porter le soleil sur sa tête pour devenir un oiseau noir. Dans la foule qui ne cesse d’accroitre, Suan dirigeait du mieux qu’il pouvait, Analoum et Trysol. Xin-Shen avançait à un rythme soutenu devant eux. Mais l’énergie qu’elle avait dépensé toute la journée, rendait son image moins visible que si elle était au milieu de sa forme. Suan gardait son regard posé sur elle, cependant après plusieurs bousculades, il tira sur les bras de ses compagnes.
Il faut se mettre sur le côté. Je ne vois plus ma sœur. Elle a disparu devant le groupe de tout à l’heure.
— Sérieusement ? grogna Trysol en retenant la manche d’Analoum.
Les paupières de la brune commençaient dangereusement à papillonner. Suan s’inquiétait de ce qu’avait dit Trysol au fait de rester trop longtemps le flaire activé.
Ils se déportèrent vers un muret où des oliviers fleurissaient en abondance de fruits. Suan analysa l’environnement, d’une façon détendue comme le lui avait suggéré la rouquine et enfin, il avisa Grenouille qui les cherchait elle aussi. Elle agita ses mains et montra férocement un chemin que personne n’empruntait.
Ils reprirent la route. Personne n’interrompit les festivités. Le clame dans le groupe régnait.
On se savait en chemin vers la connaissance, mais on doutait encore de comment se déroulerait la réalité.
Annotations
Versions