chapitre 10
Les sentiers, si on pouvait encore les appeler ainsi, étaient envahie par la flore et les entrelacs de cheveux qui circulaient mollement sur les sols. Suan les fixait se hisser sur l’herbe haute tels une horde de chenilles dodues. En ce traînant nonchalament, la chevelure avait ce quelque chose d’animal domestique un tantinet pataud. Suan avait presque envie de tendre sa main pour venir en caresser une mèche, cependant la raison lui interdit. L’idée de mourir s’y sottement, ne lui plaisait guère.
L’aube avait jailli colorant ce que l’on percevait à peine du ciel et éclairant leurs pas. La brume se faisait moins dense depuis qu’il avait repris conscience et que le monologue d’Analoum sur la créature qu’il était, avait fait son chemin dans son esprit. Plusieurs fois, Xin-Shen lui demanda « si tout allée bien », ou « s’il avait envie de parler. ». Suan n’en ressentait pas le besoin ou plutôt, il aurait préféré discuter de ça avec leur mère. Il songea à entrer dans sa tête, mais la fatigue pesait sur ses os. L’expérience n’avait rien d’agréable et les sueurs froides qui glissaient encore entre ses veines le rendit plus méfiant sur la pratique. Jusqu’où cela l’aurait mené de toute façon. N’avait-il pas plus envie de savoir comment se contrôler, plutôt que de savoir le nom de ses ancêtres, l’histoire familiale ?
Le regard tiré à sa droite, il s’arrêta un instant pour contempler la ville qui se dressait devant lui ; immense, luxurieuse, mais complétement figé par la flore et les nuages qui mordaient les piquets au sommet des toitures. Cette ville était un continuel entrelac d’escaliers, de montées et de descentes, tout ça auréolait de verdure brune et verdâtre et partiellement emprisonné de cette brume légère qui dissimulerait un ou deux mystères dans son sillage. Lesquels Suan ne désirait pas connaître. Il avait déjà bien à faire avec son propre mystère pour s’en occuper d’un autre, alors que ce monde se découvrait de plus en plus sinistre. Il avait au moins la confirmation que sa mère et sa sœur vivaient encore. Elles résistaient. Pour combien de temps encore, ça il n’aurait su le dire et n’en avait de tout manière pas l’envie. Plus il se persuaderait qu’il terminerait avant qu’elles périssent moins il n’imaginait le chemin qui les séparait désormais.
En enjambant une nouvelle fois des racines en pagaille, il serra son flambeau et le dirigea vers une mèche qu’il jugea trop près de lui. Elle se recroquevilla sur elle-même, pour s’étirer dans une autre direction. Il reproduisit le geste une bonne dizaine de fois, imitant ses compagnes de routes. Son sang battait fort sous sa chair et la fatigue le rendait moins vigilant.
Quand les torches ne brûleront plus, que feront nous, pensa à haute voix Suan.
Trysol se retourna sur lui, un sourcil haussé.
— Tu mettras le voile qui est dans ta poche.
Il lança une œillade audite voilage. Il le trouvait bien trop fin, tout comme ceux des filles maintenues dans leur manche. Quand ils les avaient testés on pouvait encore voir leur visage dissimulait derrière. L’épaisseur laissait réfléchir sur l’éventualité de finir cacher dans une des nombreuses bâtisses abandonnées. Plus personne de devait vivre ici depuis un moment. Si non, l’illusion était bien établie.
***
Les zigzagues qu’ils effectuaient pour contourner les nombreuses ruelles encombrées par la tignasse commençaient à courir sur la patience d’Analoum. Elle n’en voyait plus le bout comme empourpré dans un labyrinthe qui n’en finirait jamais, et en prime qui se jouait de ses souvenirs d’antan – pour le moins heureux. Nerveusement, elle lustra le pommeau de son épée en exerçant des cercles avec sa paume. Elle s’en serait fait un trou dans son gant si Trysol n’avait pas glisser sa main dans la sienne. La fermeté dans la poigne de son amie lui décocha un frisson qui longea son échine et vint se planter dans le bas de ses reins. Le désir grignota sa peau pendant une fraction de seconde avant qu’elle ne réagisse et ignore la pensée qui se formait dans sa tête. Elle reconnaissait à peine le sud de la ville, autrefois baignée par de grandes routes où des centaines de transporteurs circulaient sur leur monture. Les arbres et la végétation restaient à sa place cédant de grands espace vert comme des prairies entre les différents quartiers. Par quelle sorcellerie, il s’y trouvait tant de troncs et de toitures verdoyantes ? Est-ce que les sacs de graines d’une centaine de jardiniers de la capitale, c’était trouvé entre les mains d’un idiot fini pour que la nature lui paraisse si étouffante. On aurait dit que la forêt se prolongeait d’elle-même, mais sans de véritable explication. Est-ce que des Garbodin, ces créatures sanguines dont les pouvoirs faisaient bourgeonner les arbres même en hiver, avaient élu domicile ici ? Combien en y avait-il ? Cela pourrait s’avérait plus dangereux que prévu s’ils croisaient ces êtres à mi-chemin entre le cheval et le pélican. Comme si la chevelure n’était pas suffisante ! s’emporta intérieurement Analoum. Des hypothèses, elle en avait à revendre.
Le regard à droite, puis à gauche, elle s’arrêta en crachant un souffle à la fois d’épuisement er de contrariété. Elle secoua la tête, serra les dents. Elle venait de perdre à nouveau ses repères et céda à Trysol le droit de choisir la prochaine direction. Elles se relayaient comme ça depuis l’entrée dans la ville. Après tout, elles étaient nées ici. Elles avaient encore la capacité de s’y déplacer, bien que le paysage donnât à se demander si c’était encore chez elles.
Toujours la main dans celle de Trysol, Analoum se laissa guider, entendant Suan trébucher encore une fois et chuinter sur une nouvelle égratignure. Il se redressa en silence, se collant à nouveau à elles. Il n’était plus jamais loin d’elles, peut-être trop proche, car la brune pouvait sentir la chaleur de la flamme qu’il maintenait derrière elle.
Elle n’aurait pas admis qu’il donnait à cette quête un quelque chose de plus. Encore moins, le fait qu’il lui faisait penser à son premier amour : Darm. Un garçon maladroit, avec un caractère bien trempé, qui quand il se chamaillait avec elle finissait par se taire tout en restant auprès d’elle. Il ne parlait plus, à la fois pour se restreindre de dire un mot blessant et pour atténuer l’importance de la dispute. Qui souvent état d’une puérilité à manger du foin. Ce garçon, s’il n’y avait pas eu tout ça, elle le savait au fond d’elle, il aurait été le seul et l’unique. Mais la vie lui avait choisi Trysol comme compagne et elle ferait largement l’affaire ? Toutefois, il lui arrivait parfois d’imaginer à quoi pouvait bien ressembler Darm. Qu’advenait-il de lui ? Avait-il péri ou serait-il de semeur dans un camp lointain ? Son cœur se sera à cette seule idée. Elle ferma les yeux et retrouva son aplomb habituel.
Dans une rue plus dégagée que les autres, au centre de la ville, Analoum se figea en apercevant un banc défraichi dans ce qui était le parc des poétes. Ses frères l’y emmenaient souvent, la tenant toujours loin des regards des disciples du roi des lianes, comme bon nombre de grand frère, de père ou de grand-père. Même s’il était interdit aux femmes de cacher leur visage, les hommes qui tenaient à elles, jouaient d’ingéniosité pour dissimuler leur féminité et se rendait aux yeux des disciples, imberbe et très peu maquillés.
— Tout était inversé à l’époque, lâcha-t-elle enlisé dans le passé.
Trysol caressa le dos de sa main lui arrachant à nouveau un frisson. Son silence pesait lourd, tout comme l’envie qui se frayait un chemin dans le bas ventre d’Analoum. La fatigue mêlée à une forte adrénaline lui faisait perdre un peu la tête. Elle avait besoin de décompresser, pourtant, elle ne lâcherait pas les rennes de ses désirs. Elle ne sentait plus la fragrance du frère de Trysol. On vidait son fluide vital sous son nez. Il était trop tard pour lui. Elle garderait le secret, le temps que le groupe trouve un moyen de pénétrer le palais. Il ne faudrait pas tarder.
Une nouvelle chute de Suan l’avertit qu’il n’aurait bientôt plus la force de faire un pas devant lui, alors elle accéléra la cadence afin d’être au plus près du palais, qui surmontait une donne à peine plus grande que deux bâtissent se chevauchant. Les murs d’un blanc nacré suffoquaient sous les ronces de cheveux. C’était à se demander comment les oiseaux noirs parvenaient jusqu’aux grandes portes ? Puis elle songea à la flamme qu’elle tenait. Analoum savait pertinemment que la grande porte leur resterait fermé au nez. Elle n’essaya même pas d’élaborer un plan pour accéder à l’intérieure en passant par là. La sœur de Suan demeurait leur seul atout pour le moment.
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