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Planté au centre d’un minuscule bureau, Analoum admirait la beauté de sa rouquine. Les pierres aux sols, veinés d’une lumière blanche, offraient un spectacle comme dans le temps quand chacune d’elle vivait ici, entourait de leur famille respective. C’était loin de la terre battue de la chaumière au campement – ce bric-à-brac qui ne ressemblait pas à grand-chose une fois assemblée - et, cela lui remontait un peu le cœur dans la poitrine.
Analoum glissa ses doigts sur les murs tenturés de ce bleu brillant qui investissait tout les foyers dix ans auparavant. Elle s’y adossa, inclina la tête pour continuer son voyeurisme.
Assise sur l’unique fauteuil, Trysol dormait, les jambes détendues, les bras sur les accoudoirs, la tête en arrière légèrement obliqué à droite. Sa mâchoire crispée était en total désharmonie avec le reste de son corps relâché.
Analoum esquissa un sourire niais. C’est ce qui avait toujours fait le charme de la rouquine à ses yeux. Les contradictions de cette femme lui tenaient à l’âme. Leur relation avait beau s’être construit sur le manque et l’infortune, elle n’en restait pas moins attirée par elle. Par ce côté dur qui pouvait défigurer Trysol ou par les habitudes étranges que la rouquine ne se défaisaient pas d’une année à l’autre, Analoum ne pouvait regarder ailleurs très longtemps. Elle savait pourtant que leur amour, si elle pouvait en parler ainsi, ne durerait que le temps de cette traversée agonisante. Elles étaient ensemble par dépie. Par besoin.
Le torse nu, Analoum essuya une goutte de sueur qui longeait entre ses seins. Plutôt dans la soirée, elle avait dégrafé les bandages qui enroulait tout son thorax. Enfin, elle respirait et, constatait cette vive ardeur l’attraper à la gorge comme à chaque fois qu’elle redevenait femme. Plus rien ne l’empêchait d’être autre chose. Dans ces moments, seule Trysol était capable de la soulager, alors elle entreprit de la réveiller avec douceur. Mais c’était sans compter le parfum qu’elle dégageait et qui fit ouvrir les yeux de la rouquine en deux fentes félines. En une fraction de seconde tous les membres de la dormeuse furent en éveille, prêt à se repaitre du repas que minuit lui offrait. Si Trysol était de nature sauvage, et n’aimait pas beaucoup la compagnie ou les caresses affectueuses, quand il s’agissait de déguster Analoum, elle se découvrait moins austère. Trysol avait toujours été plus alerte aux odeurs qui l’entouraient. Cela rendait ses yeux rose plus profond qu’ils ne l’étaient déjà. Ils débordaient de ferveur et d’autre chose. Analoum la savait affamée de ce parfum excitant que portent les gens noyés par la concupiscence.
— Délecte-toi, ma douce, souffla Analoum dont les pans de sa chevelure s’accrochèrent à un pendant mural.
Elle la récupéra d’un mouvement souple et la laissa tomber jusqu’au bas de ses fesses.
Ses pas glissèrent sur le sol, l’amenèrent jusqu’au bureau sur lequel elle s’assit. Le regard de Trysol passa sur chaque courbes et une langue rougie pointa sur des lèvres ourlées par l’appétit qui grognait dans l’atmosphère.
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En une enjambée, elle se trouva sur Analoum, les doigts empêtrées dans le moelleux des hanches de sa complice. Elle ne manqua pas le changement de teint sur son visage et l’apprécia à sa juste valeur. Une rougeur sur du blanc ne laissait que peu de surprise. L’excitation montait si vite chez Analoum et, ne redescendait qu’avec la fougue d’une nuit torride. La douceur n’était pas quelque chose qu’elle affectionnait et, Trysol avait appris à répondre à ses attentes, développant une part bestiale. Alors c’était sans étonnement qu’elle planta ses ongles bleuis dans la chair. Si elle ne parvenait pas à se contrôler un tantinet, elle avait conscience qu’elle labourerait la peau de sa partenaire.
Les bras appuyés en arrière et soutenant son dos, Analoum défiait de son regard peint de désirs la chaleur qui flambait dans les yeux de Trysol. La rouquine esquissa un sourire qui dévoila ses crocs pointus. D’un mouvement sec, elle passa ses mains sous les fesses de la brune et la souleva pour venir cogner contre elle. La pression exercée par les cuisses d’Analoum eut vite fait de lui broyer la taille si ses bras ne les retenaient pas encore.
Elle s’humecta les lèvres. Passa et repassa sa langue sur ses canines, sachant pertinemment que ce geste avait tendance à vriller l’esprit de son amante. Elle s’en amusa. Analoum chuinta quand Trysol grinça ses ongles contre ses jambes enfermées dans son pantalon lui-même retenu dans ses bottes hautes et, remonta sur le bas de son ventre nu pour appuyer une caresse. Ses paumes dégringolèrent sur ses reins. La peau était comme du feu.
Trysol se courba. Elle admira l’éclat et les suppliques dans les yeux d’Analoum. Son nez, fin et long, frôla la tempe, inspira. L’odeur du sang et du désir brûla contre sa raison. Son bras serpenta jusqu’à la chevelure brune répandu sur le bureau et l’empoigna. La tête d’Analoum partit en arrière. Un cri détonna dans la pièce. Elle s’en délecta et colla sa bouche sur celle de son amante, puis poussa sa langue à l’intérieure. Le goût n’avait pas changé depuis la dernière fois. Il y avait toujours du fer et de la braise sous le palais d’Analoum. Le gémissement, obscène et grisant s’étendit. La vibration produit se répercuta dans tout son corps.
Trysol attrapa son visage à deux mains, planta ses ongles dans la mâchoire. Analoum glissa les siennes autour de sa nuque, à son crâne, puis à ses épaules. Le roulement de leurs langues n’en finissait plus. Elles se pressèrent l’une à l’autre comme s’il leur était possible de fusionner. Trysol ne parvenait plus à savoir ce qu’elle fichait avec ses bras. Elle les enroulait partout, comme si aucune accroche ne suffirait à temporiser son ardeur.
Elle mordait, griffait, laissant dans la pièce des sons de sussions pour le moins explicites.
Un rugissement contre sa gorge, une pression dans son cou, contre ses lèvres ; Analoum poursuivrait jusqu’à l’épuisement elle aussi.
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L’émotion subjugua Analoum quand Trysol la retourna brusquement. Ses mains se plaquèrent contre le bureau, ses semelles retrouvèrent le sol. Une jambe se glissa entre ses cuisses, elle sentit la chaleur que renfermait son amante. Si chaude. L’humidité de la salive sur sa peau nue la laissa frémir, tout comme les tracés que formait, dans le creux de son dos, la langue de la rouquine.
Noués de part et d’autre part les longs bras de Trysol, elle ne savait plus où donner de la tête lorsque la main de cette dernière s’écoula sur son ventre, frôla ses cuisses pour remonter sur son sexe. Un feu jaillit d’elle. Tout son corps se raidit. Son cœur pulsa à lui flamber la cervelle. Le poids qui s’appuyait contre elle, eut vite fait de lui faire perdre l’esprit, comme les caresses exerçaient sur sa partie sensible : ferme, mais ô combien délicat.
Trysol se frotta à elle, toujours vêtu de ses habilles. Elle ne les enlèverait pas, comme souvent. Rien ne transparaissait, pas même les minuscules bosses de sa petite poitrine. Torse nu, on peinait à savoir qu’elle était une femme. Trop de masse musculaire pour se rendre bien compte des arrondies subtils de son corps.
Après moultes morsures, moultes griffures, moultes caresses, Trysol glissa son corps dans ses bras. Analoum accueillit le geste les jambes tremblantes de désirs. L’intensité dans les prunelles de la rouquine aurait raison d’elle, c’était incontestable.
— Je remercie notre malchance de nous avoir mis sur le même chemin, réussit-elle à dire contre la bouche luisante de Trysol.
Celle-ci déroula sa langue, un peu trop longue, un peu trop pointu, un peu trop rouge et saliveuse, lui lécha le menton, le cou, le buste. Ses mains se resserrèrent sur ses fesses, à la limite de la douleur, et cette douleur Analoum la voulait, la chérissait parce qu’elle la ressentait des heures durant et plus tard dans son esprit, quand dans les soirs de solitude, elle n’utilisait que ses doigts.
Trysol la souleva d’une simple poussée, comme si elle ne pesait rien pour sa complice. Elle la reposa sur le bureau, où elle posa un genou pour s’aider à monter. Le dos au bois, Analoum s’appliqua à respirer alors que les baiser roulaient sur ses épaules, ses seins durcies par la froideur de la pièce et la chaleur de plaisir. Ils s’étirèrent jusqu’à la naissance de sa pilosité, où les doigts de Trysol avaient baissé le pantalon. Puis, remontèrent, laissant Analoum respirer à nouveau. Les lèvres se pressèrent l’une contre l’autre. La main familière de la rouquine pinça un téton. Un gémissement roula sous leur langue.
Analoum enroula ses jambes autour de la taille, les fit couler lentement sur celles de Trysol qui se frottait à elle tel un serpent rampant le sol.
C’étaient des mouvements de bassin anarchique qui prirent le relais quand la rouquine passa la cuisse sous ses fesses. Elles s’emboîtaient à genoux sur le bureau, remuant sur un rythme effréné qu’aucune d’elles n’osaient interrompre.
Analoum souffla, chercha de l’air, tandis que les bras de Trysol la serraient plus fort. La peau blanche de celle-ci avait pris un teint plus rose et ses marques changeaient de couleurs, passant du rouge piment au noir nacré. Elle y voyait les filaments argentés, ceux qui colorent les veines des gens amoureux, pourtant elle ne s’y trompa pas. Entre elles se n’étaient pas ça. C’était purement sexuelle, malgré l’attachement qu’elles avaient l’une pour l’autre. Il y avait, ici et là, des pigments grenades et lumineux qui réhaussaient ses traits. Trysol était magnifique, avec ses immenses yeux gorgés de sang par l’excitation.
Son bas-ventre se contracta. Un gémissement plus sonore retentit, suivi de celui de la rouquine et elles glissèrent dans les bras de l’autre. Leur cœur en débandade martelait encore les parois de leur poitrine. Dans un instant, elles remettraient le couvert. Et s’en suivrait d’une nuit à évacuer les frustrations. Peut-être que la chemise de Trysol s’envolerait dans la pièce. L’idée l’amusa, mais dans la situation actuelle, c’était déjà bien de s’envoyer en l’air.
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L’image de Shaeln l’avait empêché de s’endormir et le visage déçu de Xin-Shen remplissait son cœur de remords. La nuit s’éternissait et Suan abandonna l’idée de se reposer. Il longea l’étage, observa les pièces une bonne dizaine de fois, pour finir sur le renfoncement d’une fenêtre dans le couloir. Il admira partiellement le jardin qu’il trouva trop propre pour être à l’abandon. Qui pouvait l’entretenir ? La question se posa pendant de longues minutes. Depuis son arrivée dans la capitale, il n’avait pas vu âme vivre. Pourtant, pas une seule mèche de cheveux ne serpentait dans le jardin, vaste et fleuri. À moins qu’une nymphe y vive, il ne trouva pas d’explication plausible. Il le regarda encore une éternité, se senti attiré par les secrets qu’il pouvait détenir dans ses colonnes de roses grimpantes. Suan sauta à pied joins, déambula dans le couloir, descendit le premier étage. Le son de succions l’un fit hausser un sourcil. Il n’irait pas voir ce qu’il se passait dans la pièce au fond. La vision qu’il imaginait lui piqua déjà les yeux. Il secoua la tête, grimaça et s’engouffra dans la serre qu’il traversa au pas de course. Une porte, c’était ce qu’il le séparait du jardin. Il tourna la poignée pleine de poile. Un animal. Il haussa les épaules. Rien n’était plus dangereux que la chevelure ici. Personne ne s’y tenterait… Il soupira à cette seule pensée.
Devant l’étendue verte, Suan inspira une grande goulée d’air. Il y avait dans ce lieu un quelque chose de réconfortant, comme une main invisible qui viendrait ébouriffer sa tignasse. Une caresse affectueuse ? Il en avait grand besoin, alors que tout l’acculait. Mais à part Xin-Shen qu’avait-il ? Pouvait-il se permettre de se lover entre ses petits bras, lui qui faisait deux fois sa taille ? Le temps s’était si peu écoulé depuis qu’il avait quitté son foyer, pourtant toute sa vie était changé. Lui aussi se sentait différent. Pas seulement parce qu’il était un Hàng Xiè, mais parce qu’il avait du tout faire trop vite. Encore se soir, il lui restait difficile de se convaincre de la véracité de ce monde. Pourquoi lui ? Il n’arrivait pas à trouver une réponse valable. Il enchaina une dizaine de soupire en vrillant ses yeux sur le voile brumeux qui nappait le ciel. La lune et les étoiles lui manquaient. Suan regrettait de ne pas être mort lui aussi. À cette pensée, il suspendit son geste, marqua un arrêt. Et s’il l’était. S’il n’avait jamais quitté la chute d’eau ? Si cette escalier de lianes était la porte vers le monde d’ailleurs ?
Il secoua la tête. Comment un mort pouvait-il sentir autant la vie ? Elle lui rappelait à chaque instant dans un battement de cœur qu’il aurait préféré figé à jamais.
Un cri étouffé passa ses lèvres. Il n’alla pas plus loin que les allées de roses, se répercuta sur des bosquets et s’effaça comme un son insignifiant dans le ronron du ciel. Un frisson le traversa. Suan leva à nouveau les yeux vers la brume. L’humidité était plus dense comme s’il allait pleuvoir. Rien que l’idée de sentir une goute contre sa peau lui arracha une grimace affreuse.
En se glissant dans les allées de fleurs, il espéra un moment de paix où ses pensées pourraient se discipliner. Malheureusement, c’est le visage de Shaeln qui accapara son esprit. Il secoua plus fort sa tête pour ne pas y penser. Mais c’était peine perdue. Ce garçon était celui qui se rapprochait le plus de l’être réconfortant qu’il cherchait. Plus grand que lui, avec des bras plus fermes que Xin-Shen, Shaeln avait ce brin de tendresse au fond de sa voix mate.
Le cœur lourd, Suan suivit le chemin de pierre blanche qui zébraient toute la superficie du jardin en des arabesques artistiques. Il noya son regard sous des parterres de fleurs qu’il n’avait jamais vu. Lorsqu’une sensation de malaise le traversa. Une ombre passa. Il se tourna sûr vers les troncs qui délimitaient le jardin de… l’extérieur ? Qu’avait-il derrière ?
Ses sourcils se froncèrent, ses yeux se plissèrent. Il fouillait l’environnement, le cœur tressautant dans sa poitrine, les muscles contractés, dans une position de combat qu’il avait apprit avec ses sœurs.
Rien.
Pas l’ombre d’un vivant.
Ou même d’un mort.
Pourtant, la peur se précisa en lui. Une chose était, qu’elle n’avait rien avoir avec une terreur, plutôt une impression dérangeante. Comme si on l’aspirait. Qu’on cherchait à le soudoyer. C’était à l’image d’un petit animal qui demandait un coin de cuisse où se tenir au chaud.
Finalement, il rebroussa chemin sans voir plus loin que les tombes qui se présentaient entre deux buissons ardent.
Le jardin qu’il songeait apaisant ne lui renvoyait qu’un trouble grandissant. Puis Shaeln persistait à hanter ses pensées.
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