chapitre 11

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Encore somnolant, Suan enfonça son visage dans la chaleur d’un coussin plus épais que les autres et surtout plus doux. La froideur de sa sœur s’étendait sur son ventre. Elle devait être en boule comme une petite sourie, la figure entre les mains et les genoux touchant le front. Xin-Shen avait toujours des positions étranges. C’était à se demander si son corps comportait un squelette ? Suan songea au fait qu’elle était un spectre. Avait-elle toujours des os ? Très probablement que oui. Si non, comment pouvait-il les sentir sous la peau fine de ses doigts quand elle lui réclamait la main. Un fantôme passait les murs. Sa sœur devait les contourner mais percevait ce qu’ils dissimulaient.

Suan frotta son nez dans le moelleux du coussin, en apprécia la souplesse. Il s’y roula, prenant garde à ne pas écraser la fillette endormir à ses côtés, y planta ses doigts, pressa la texture, la caressa. Ce coussin était si gros et un bruit singulier s’en extirpait, comme un gargouillis à peine audible. Le jeune homme sourit, porta sa main sur son estomac. C’était lui qui produisait ce son. Pourtant il n’avait pas fin. Il continua à fourrager ses doigts dans le coussin de plus en plus velu. Il sourit de plus belle avec une vague conviction qu’il avait un chien-lion comme oreiller. Et peut-être n’avait-il pas tout à fait tort.

Un ronronnement s’étendit dans la pièce ce qui eut pour effet de raidir le corps de Suan. Je ne suis pas capable de ça, pensa-t-il en ouvrant brusquement ses yeux. Un chien imaginaire non plus. Ses mouvements se figèrent alors qu’il sentit une masse s’enrouler autour de sa taille. Un serpent à poil ? Ici, il était prêt à croire n’importe quoi, tant le visuel de ce monde différé du sien.

Il baissa lentement les yeux avant qu’une queue entre dans son champ de vision. Elle serrait sa taille sans pour autant le compresser. Entre ses jambes pliées, une seconde s’agitait gaiement tapant contre son genou. Il n’osa pas tourner la tête pour visualiser la troisième qui ondulait dans le vide pareil à une anguille hors de l’eau. Son esprit se vida le temps d’y voir plus clair. Une chose était sûre, il ne dormait plus. Et ça l’inquiéta.

Qu’est-ce que cette journée allait-il lui proposer en surprise ? N’en avait-il pas eu assez avec Shaeln la veille ? L’univers s’acharnait sur lui et son cœur qu’il sentait plus endurant, mais pour combien de temps encore. Il finirait par lâcher ou s’habituer. Il espérait la deuxième option.

Lentement, il bascula la tête en arrière, les cheveux emmêlés au poil du « coussin ». Deux grosses babines se dessinèrent sous ses yeux, piquées de longues moustaches. Elles remuaient à l’instar d’un museau en forme d’étoile d’un noir profond légèrement écaillé. Il était humide, certainement aurait-il été marrant d’appuyer dessus, mais Suan ne s’y risqua pas. Son souffle se coupa. Ses paupières restèrent grandes ouvertes dans l’incapacité de cligner. Il courba un peu plus sa nuque, son front caressa les longs poils d’une crinière ondulé et variant du roux au noir passant par une multitude des teintes gris et marrons. C’était un amas de taches, comme si un enfant avait marché dans la peinture et en avait mi partout.

Quand la chose bougea à son tour et déposa quatre immenses yeux d’un noir abyssale et aux pupilles fendues sur Suan, celui-ci poussa un cri si strident que la maisonnée trembla avec lui. D’un bond, il se carapata le plus loin possible de l’animal, c’est-à-dire dans un recoin de la salle de musique à quarante centimètres du chat géant qui prenait la moitié de la pièce de son gigantisme. Xin-Shen sous le bras, Suan rougissait de peur alors qu’il n’arrivait plus à trouver son souffle. Dans un état lamentable sa sœur le fixait, l’air hébété.

— Tu es fou, ma parole ! Qu’est-ce qui te prend de crier comme un perdu de si bon matin. J’espère pour toi que c’est parce que tu as vu un mort ! Sinon, je te fais geler la cervelle !!!

Ne jamais réveiller sa sœur en sursaut, elle détestait ça. Il le savait, mais là, même pour elle, il n’aurait pas su contrôler la frayeur qui venait de passer en lui. Il ne parvenait pas à réaliser la chose qui se mouvait devant lui, les pattes fléchies pour ne pas se cogner la tête.

Dans les escaliers, le martellement des bottes suivi d’une course éffréné jusqu’à lui. Analoum fut la première dans l’encadrement de la porte, les cheveux en bazar, le regard hagard quand il se posa sur la bestiole dont les deux paires d’oreilles qui couronnaient le sommet de sa tête remuaient frénétiquement.

— Manquait plus que ça, lâcha-t-elle en laissant glisser la main sur sa joue.

Trysol arriva enfin, un brin anxieux quand elle avisa le « problème ». Elle vint pincer l’arrêt de son long nez droit et soupira.

— Ils sont de quel couleur ses yeux ? demanda-t-elle au jeune homme qui retrouvait à peine son souffle.

— N- noi-noir, réussi-t-il à dire sans toutefois bouger ne serait-ce qu’un orteil. Je- je fais quoi ?

— Bah, tu fais en sorte que ton animal domestique s’approche le moins possible de nous, s’enquilla Analoum de lancer, prête à tourner les talons.

— A- Attendez ! Ne me laissez pas avec ça. Je… aidez-moi. Qu’est-ce que c’est ?

— T’inquiet pas. C’est ton familier maintenant, il t’expliquera ce qu’il est et pourquoi il est là.

La brune se détourna de lui, mais avant de partir marqua un arrêt. Elle planta à nouveau ses yeux rose dans les siens.

— Je suis sérieuse quand je te demande de faire en sorte qu’il ne s’approche pas de nous. On n’a pas besoin de la poisse, mais bien de tes yeux.

Analoum s’éclipsa comme Trysol avant elle. Suan pouvait les entendre parler de l’énergumène qui s’assit devant lui comme un bon chat prêt à donner la patte pour une friandise.

Xin-Shen se décolla doucement de lui. Elle s’extirpa de ses bras et soupira à son tour.

— Combien de fois faudra-t-il que je te répète que je ne suis pas en danger. Personne ne me voit, à l’excepter de cette Gerelle.

Rien que dit penser, sa sœur roula les yeux au ciel et grimaça. Elle ne l’aimait pas, il n’y avait pas à tortiller. C’était comme lui et Trysol sauf qu’eux devaient se supporter pour quelque chose. De toute façon, à l’heure qu’il était Gerelle ne devait plus vivre. Shaeln la pensait morte et il n’avait pas tort de le croire. Suan aurait pu vérifier, mais le moment n’était pas le mieux choisi pour faire un saut dans la tête de Gerelle. Le chat géant était toujours face à lui, avec cet étrange rictus qui lui donnait l’impression d’un sourire niais se dessinant sur ses babines.

Suan n’osa pas se décoller du mur qu’il aurait volontiers traversé. Quant à sa sœur, elle contourna le gros minou avec l’enthousiasme d’un enfant qu’elle était toujours. Après avoir fait deux fois le tour de l’animal, elle plongea ses doigts sur son buste poilu. Son sourire doublait et la sillait à merveilleux.

— Même si je porte malheur à ceux qui croisent mon chemin, je porte bonheur à mon frère d’âme. Je t’ai attendu longtemps. Te revoilà. Tu es mort dans cette famille et sur ce domaine que je veuille. Je t’ai écouté et t’ai attendu près de ta tombe.

— Je deviens fou. Ce doit être l’air. La nourriture. Je ne sais pas, paniqua Suan en se frottant les tempes mollement.

— Tu es loin de l’être : fou. Tu m’as manqué Adom.

Le chat parlait et sa voix s’étendait en écho dans le crâne de Suan. Il ne s’étonna pas vraiment de cette façon de communiqué, mais le nom dont venait de l’attifer le félin lui déplut.

— Je ne sais pas qui tu as perdu, mais je ne suis pas Adom. Je m’appelle Suan.

— Dans cette vie. Tu changes tellement de nom, Adom. Je n’ai pas assez de mémoire pour m’en rappelait. Au fond, je m’en moque. Si tu le désire je t’appellerai Suan. Peu m’importe ton visage, ton âge, du moment que tu es là. Même cette créature de malheur en toi, je ne la crains pas. J’en ai combattu des plus féroce que toi.

Le chat le fixais d’un air résolu à l’aider en toute occasion et, maffois, il avait déjà rencontré un Hàng Xiè à ce qu’il disait. Suan ne serait pas contre un petit cours pour contrôler l’être qui vivait en lui. Pour le moment rien n’était à déclarer, mais le risque se précisait à chaque minute écoulée. Il aurait préféré un autre instructeur, mais le matou ferait l’affaire. Enfin, à Suan de trouver la force d’en avoir moins peur.

— Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu me veux ? grogna d’agacement Suan en décidant d’effectuer un pas en avant.

Un peu de courage.

Xin-Shen était entre les pattes du chat, emmitouflé dans ses longs poils. Ce qu’elle était pénible à se mettre ainsi en danger. Fantôme ou non, était-elle vraiment à l’abri dans ce monde où les chats poussaient comme des bambous ?

— Je suis Tartanne depuis le jour où tu m’as nommé. Je veux ta survie, ton bonheur, tes sourires et ton amitié éternel. Je serai à jamais ton guerrier, ton familier.

— Bien, Tartanne, je n’y comprends pas grand-chose, mais on fera avec. Je n’ai pas le temps pour claquer des dents. Et les filles ne vont plus tarder à remonter pour venir chercher ma sœur.

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