Analoum avait tout d’abord pensé que c’était une chance cette pluie. Les cheveux s’étaient rétractés serpentant vers la forêt, se cachant là où ils pouvaient. Depuis que l’eau tapissait le sol, les mèches n’avaient pas bougé comme figée par le froid liquide qui s’écoulait sur la terre battue. Cependant, Analoum n’avait pas prévu les éboulis de boues, les rues inondaient et tous les obstacles invisibles dissimulaient sous l’eau. La brume s’effaçait, dégageant l’horizon. Leur troupe se trouvaient à découvert dans la sinistre capital où Analoum avait un jour aimait vivre. S’il y avait des sentinelles, elle savait qu’ils seraient dans les problèmes jusqu’au cou. Elle n’avait pas connaissance d’archet dans les rangs des oiseaux noirs, mais il fallait rester prudent. Les soldates savaient se battre. Et avec un chat géant, ça devenait compliqué de passer inaperçu.

Le palais les surplombait ouvrant dans l’esprit de la brune les difficultés qui ensuivrait leur ascension. Tout avait trop été facile depuis le commencement de leur aventure. Même si Suan portait chance, la conviction qu’un événement pas prévu viendrait obscurcir leur chemin agita l’esprit d’Analoum. Elle ne quittait plus des yeux la structure, le regard rivé sur le moindre mouvement provenant des hauts murs. Pendant un long moment, elle scruta la zone, vrillant ses pupilles du palais à la route que son groupe empruntait. Il n’y avait pas âme qui vive. L’angoisse montait d’un cran à chaque bruissement, à chaque fois que l’un d’eux s’empêtrait dans la végétation submergée. La pluie tombait en rideau remplaçant pour un temps la brume.

La troupe marchait lamentablement, les genoux enfermés par l’eau qui montait et qui prouvait que la capitale avait bien été construite dans une cuvette. Si son frère jumeau était encore en vie, elle lui aurait jeté un regard de vainqueur en haussant les sourcils pour appuyer le fait qu’elle avait toujours raison. Albaon. Son souvenir était une ronce autour de son cœur. Les épines s’y enfonçaient toujours fermement. La douleur qu’elle ressentait lui tordait le ventre quand le manque se faisait trop présent. Plus encore que tous ses autres frères perdus à jamais, c’était Albaon qui créait des larmes de sangs dans les parois de son chagrin. C’était avec lui qu’elle était née, qu’elle avait grandi. Lui avec qui elle s’endormait et se réveillait. Toutes les nuits et tous les matins avaient été rude après son enlèvement. La force l’avait quitté et pendant des jours Analoum était resté sur le sol de sa maison-cabane sous les yeux de ses sœurs et de son dernier frère rescapé : Adaman. Quelle loque ! pensa-t-elle, en grognant.

Trysol se retourna. Analoum envoya sa main en l’air pour l’inviter à continuer sans se préoccuper d’elle. La rouquine s’exécuta lentement captant encore un peu sa détresse.

— Albaon, murmura la brune. J’aurais du mieux te protéger, mieux te traiter. Je me suis laissée endoctrinée par la connerie.

Une boule de tristesse se coinça au fond de sa gorge. Son nez picota. Elle serra ses poings, crispa sa mâchoire. Hors de question de pleurer. Ce n’était carrément pas le moment. Elle se durcit, alors que les souvenirs surgissaient les uns après les autres.

Enfant, ils ne se quittaient pas une seconde, faisant ainsi dire à leur parent qu’ils n'étaient qu’un. La vie les avait divisé en deux êtres qui ne se ressemblaient pas. Albaon possédait une chevelure d’un châtain si clair qu’on l’aurait dit enrobé de miel. Ses yeux avaient d’étranges tâches bleues et lorsqu’Analoum posait son regard dans le sien, elle pensait ses iris violette. Le jour où les soldates l’avait enlevé, il n’avait posé aucune résistance alors qu’il rejoignait Lysorlt, le frère aîné de Trysol. Il avait retiré ses mains des siennes et sous les ondulations de son voilage, Analoum avait vu un sourire d’adieu se dessiner.C’est comme s’il lui avait lui-même briser un vase en terre cuite sur son crâne. L’incompréhension avait mué bien plus tard en profond chagrin, quand elle avait saisi toute la subtilité de la scène. En fait, elle avait mis deux semaines à comprendre. Le visage de son amour d’enfance, Dram, lui avait montré la vérité et ça lui avait brûlé le cœur plus encore que de voir sa famille diminuer d’année en année. Elle avait su pourquoi Albaon été parti. Lysorlt. Ils ne pouvaient vivre l’un sans l’autre. L’amour. C’était lui le voleur. D’ailleurs, c’était lui qui rendait le plus fou. De ce jour, Analoum avait fait une croix dessus enrubannant son cœur dans un chiffon d’égoïsme. Ce n'était pas plus mal. Ici, personne ne pouvait aimer. Celui qu’elle avait adoré, Dram, n’était qu’une chimère emmurée dans ses rêves, passant d’un visage d’enfant à celui d’un homme dont elle n’était même pas sûr de la véracité. Trsyol et elle, c’était quelque chose qui s’y apparentait. Mais c’était plus un besoin physique qu’elles partageaient et une amitié que la passion. La vie leur avait imposée de verrouiller leur sentiment. Se seraient-elles convenue si le royaume n’avait pas subi ce fléau ? Elles s’étaient rencontrées pendant la grande fuite, avaient marché l’une à côté de l’autre pendant des jours. Leurs frères s’étaient liés eux aussi et leur famille respective s’était plu. Toutes les deux, ce n’étaient qu’un concours de circonstance. Elles avaient vécu les mêmes souffrances à quelques points près. Elles se comprenaient, n’avaient plus besoin de parler pour entendre la voix de leur cœur réceptif. Elles étaient un couple comme il y en avait tant dans les campements des réfugier. Femme et femme. Homme et homme. L’amour naissait parfois. Il n’était pas toujours forcé. Mais en ce qui les concernait leur couple était un moyen de se défouler sensuellement quand tous les acculait.

Analoum soupira longuement. Fichue nostalgie ! songea-t-elle en tapant ses poings dans l’eau. Trysol se tourna à nouveau vers elle le visage fermé comme à son habitude. Elle ne fit qu’un mouvement de tête pour l’encourager et interprétant les pensées qui nageaient en elle. Sa rouquine l’impressionnerait toujours. Comment parvenait-elle a tout voir en un simple regard ? Analoum détourna ses yeux et continua. Était-elle si facile à deviner ? Elle savait que oui. Rien à foutre ! grogna-t-elle, intérieurement.

Au bout d’une bonne heure d’effort à patauger comme des tétards, Suan avait décidé de monter sur le chat ; Tartanne. Il avait ce regard de plus en plus lointain depuis leur première rencontre. Lui aussi était facile à deviner. Et Analoum comprenait tout à fait ce qui le pesait tant. Outre le fait qu’il avait perdu ses sœurs et avait peur pour le reste de sa famille encore en vie, il cherchait des réponses sur ce qu’il était. Les êtres comme Tartanne étaient des créatures à part et les hommes avec qui ils se liaient n’étaient pas de simple mortel. Il était bien connu que les chats à trois queues étaient des gardiens d’âme, ce qui voulait dire que Suan était un réincarné. Et au vu des couleurs que portait le félin, il devait avoir plus de mille ans, ce qui voulait dire que Suan était en train de gérer, et le fait qu’il était un Hàng Xiè et ses vies antérieures. Cela voulait dire aussi, qu’il avait une connaissance plus vaste qu’aucune personne vivant ici-bas. Mais ça faisait de lui un être plus dangereux encore. Que se passerait-il quand il sera manier la brume, quand il percevra l’odeur de ses proches ? Il pourra partir et entre temps, il aura gagné la force de cent hommes. Il savait déjà se battre. Qu’est-ce qui l’empêcherait de les tuer, récupérer la fiole, ce pourquoi il marchait dans leur rang et partirait en bas ? Analoum compta sur le fait qu’il ressentait les cœurs. L’enlèvement de Shaeln pouvait être une possible chance pour que Suan reste avec elles au moins jusqu’à entrer dans le palais et sauver Adaman.

En pensant à son petite frère, Analoum accentua son flair. Le sang circula plus vite dans les veines de son visage. Son nez devait être strié de rayures violine. Pendant une bonne minute, la tête lui tourna. Elle arrêta sa progression, s’ancrant dans le sol boueux pour éviter un déséquilibre. Sa vision se floua un instant pour revenir à la normal. Elle inspira, reprit la marche. Dans un mouvement de naseau, elle s’appliqua à fouiller des les odeurs qui venaient par milliers. Le tri fut vite fait alors qu’elle se concentrait sur Adaman. Son cœur s’apaisa. Le garçon était toujours vivant. Elle le renifla bruyamment devinant sa position. Le parfum de son sang s’agglutinait dans un même endroit ; elle pensa à des geôles sous le palais. Il n’y avait que de la terre et des pierres qui les séparait.