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La brume s’invita à nouveau, s’installa en voiles blanchâtres et disparates sur le paysage. Tout était encore détrempé autour d’eux, en contre bas, les rues inondées ne se tarissaient pas rappelant à Suan les rizières ainsi que les ruisseaux à proximité de son village. Les mèches se cheveux respiraient à nouveau mais elles ne bougeaient d’un centimètre. Cette pluie leur avait permit au moins d’avancer sans se préoccuper d’elles. Mais ce qui étonnait Suan, c’était la facilité à laquelle ils avaient accédé au pied du palais. Il n’y avait personne. Pas de garde. Pas de sentinelle. Et quand il s’était immiscé à nouveau dans l’esprit de Shaeln, pour savoir si l’adolescent était toujours en vie, il avait vu les portes s’ouvrit pour se fermer sur le groupe de garçon. À l’intérieur, il n’avait décelé que deux femmes taillées comme des bœufs. Elles ne portaient ni masque ni voile, et l’expression sur leur visage était aussi fermé que celle de Trysol.

Il aurait voulu en apercevoir plus, mais la tête lui avait tourné et il avait coupé le lien, laissant Shaeln parcourir un immense couloir dans lequel il pataugeait. De l’eau clair baigné le sol où le reflet de torches enflammées formaient comme des voûtes au-dessous d’un plafond bien plus haut. Suan n’avait pas pu voir ce qui s’y cachait, mais il pensa à la chevelure. Les gens du palais s’étaient protégés. De ça, il en était quasiment sûr. Et c’est avec appréhension qu’il avait demandé à sa sœur de visualiser où se trouver les garçons ; parce qu’ils devaient être gardé dans une même pièce, et d’y chercher Shaeln.

Appuyé contre la roche sous laquelle Trysol avait allongée Analoum, il guetta le retour de sa sœur. Il tenta de rétablir la connexion avec Shaeln mais du sang lui coula du nez et l’arrêta net dans son action. Il devait faire confiance à Xin-Shen. Elle était la seule à pouvoir les aider pour le moment. Ça le tuait un peu de se savoir capable de tout un tas de chose et de ne pas pouvoir exercer ses pouvoirs parce que son corps d’humain ne le lui permettait pas pour le moment. Ses vies passées s’énuméraient et se présentaient encore à lui sous diverse forme. Des souvenirs imagées, des paroles, des odeurs, des sensations et des facultés, comme le fait d’entendre les cœurs et jusqu’à la nature parler. Quand il s’était approché du palais avec Xin-Shen et Tartanne, une liane enroulée à une mèche paralysée lui avait fait remarquer que ce n’était pas le premier à tenter d’entrer. Ne meurs pas trop vite ! Il l’avait fixé et un visage d’un vert profond était apparu. L’âme du végétal avait communié avec lui pendant quelque seconde. Suan savait qu’il aurait pu en apprendre plus si le mal à sa tête qu’il avait déjà ne s’était pas accentuée.

— Ne sois pas impatient. Ça va prendre un peu de temps pour que ton corps accepte tes nouvelle capacité et le changement qu’il opère. Au moins, il est plus résistant que l’ancien. Les gens du bas possèdent quelque chose de plus que ceux du haut. Ils sont plus tolérants aux mutations. Ils sont plus adaptables.

La voix de Tartanne immergea son esprit. Il n’avait rien à faire que l’accueillir en se demandant s’il entendait tout ce qu’il pensait. Réussirait-il à se faire à l’idée que ce Akota saurait tout de lui ?

Quelque chose s’enroula à sa cheville, monta progressivement sur sa jambe pour s’enrouler à sa taille et grimper jusqu’à ses épaules. C’était le chat, ou plus exactement, l’une de ses trois immenses queues qui battaient l’air comme un pendule. Il n’avait pas intérêt à le réconforter de la sorte une fois introduit dans le palais. Suan n’avait aucune envie de venir y planter son hallebardequ’il avait noué dans son dos. Enfin, il pensait ça, mais est-ce que Tartanne pourrait les accompagner ? Il était évident qu’aucun passage dérobé ne pouvait accueillir une bestiole aussi grosse.

— Va pour bestiole. Je peux comprendre. Mais je ne suis pas gros. Surveille tes pensées quand je suis dans ta tête. Ma taille importe peu. Je peux rétrécir jusqu’à disparaître.

Suan vrilla son regard dans les deux pairs d’yeux qui lui conférait un amour qu’il n’était pas sûr de mériter dans cette vie. Tartanne était un cadeau trop beau fait par l’univers et il ne savait pas encore comment interpréter tout ce qu’il vivait, ce que ce chat géant représentait. Il l’aimait. Cela était indéniable. Il le savait au plus profond de lui. Mais dans sa logique, aimer un être qu’il ne connaissait que depuis le matin seulement, les laissait en proie à un malaise grandissant. D’ailleurs, pourquoi était-il si calme en compagnie du matou ? Pourquoi l’acceptait-il sans difficulté ? N’aurait-il pas été normal, de marcher à dix mètres de lui, de ce méfier de lui, de chercher à mieux comprendre ?

Suan soupira, les doigts malaxant sa tempe.

— On a tout une vie pour que tu comprennes chaque aspect de notre relation, Suan. Ne t’éparpille pas. Tu as une mission à mener à bien. Ton cœur semble le vouloir. Ta tête à juste du mal à fusionner avec lui. Notre lien subsiste depuis des siècles. Tu n’ai pas bizarre, tu ressens ce que je suis pour toi.

— Tu vois tout de moi, pas vrai ?

— Tout, jusqu’à la profondeur de ton inconscient. Je suis ton gardien.

— Tu es moi.

— Non, ça je ne le serai jamais. Je te connais comme tu ne pourras jamais te connaître. Je suis un peu comme ta raison.

— J’ai du mal à accepter tout ce qui se passe. Tout ce que je deviens. Ça me fait peur.

Il détourna ses yeux de chat, croisa celui de Trysol qui écoutait d’une oreille distraite. Elle devait le prendre pour un fou à parler seul.

— Je ne sais pas ce qui te fait peur, et pour tout dire, je m’en fiche. Mais tu as intérêt à gérer tes émotions. On a assez de problèmes comme ça pour que tu nous fasses une petite panique et que tu réveilles totalement le Hàng Xiè. Tu fais comme tu veux, lui lança-t-elle, sur un ton désagréable.

Ça manière de s’adressait à lui le refroidit et vint pincer ses lèvres. Quand ses sourcils se froncèrent, il vit une nouvelle fois la terreur qui miroitait dans le regard de la rouquine. Quoi qu’il pût lui inspirer, Suan s’agaça de sa méchanceté.

— Ça te ferait mal de me parler autrement !

Tout son corps se durcit, ses poings se crispèrent et les veines sur son visage se teintèrent toutes de noirs.

— Ça ne te suffit pas de me regarder comme si j’étais une créature de malheur, comme si j’allais mettre à feu et à sang un royaume mourant ! Il faut que tu t’adresse à moi en appuyant le fait que tu ne me veux pas dans ce groupe. Désolé de te l’apprendre, mais c’est grâce à moi qu’aucune de vous n’est encore morte. Et ne me parle pas de Xin-Shen ! lui coupa-t-il l’herbe sous les pieds. Je n’ai pas demandé à être ce que je suis. Et j’aimerais bien te voir à ma place, dans un monde qui n’est pas le tien, avec des pouvoirs et des vies passées qui te sautent au visage. J’ai peur, oui ! Je suis terrifié de tout ce que j’apprends, amis comme tu peux le constater, je fais tout pour gérer cette émotion. Je pourrais me laisser submerger. Mais moi, je sens que j’ai quelque chose à accomplir ici. Pas pour toi ou Analoum, mais pour toutes ces voix que j’entends suffoquer.

Il montra le paysage d’un mouvement circulaire du bras. Son visage se froissa toujours plus, alors que son cœur pleurait de fatigue et de si peu de reconnaissance.