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Une chose est claire, songea Analoum, je suis encadrée par le danger, la mort et la poisse. Tartanne fermait la marche et l’avoir dans son dos ne l’enchantait guère. Elle redoutait le moment où les problèmes arriveraient ou plutôt où les malheurs frapperaient. Allaient-ils encore être séparés ? L’idée ne l’enchanta pas. Elle n’avait pas la moindre envie de finir comme Trysol, mais en pénétrant à nouveau dans le palais, elle avait eu conscience d’y mourir.
Tartanne réduisit sa taille au plus bas pour surprendre les éventuelles ennemies tandis que Suan continuer à diffuser la parole de chacun. Il était le centre de tous, la cohésion du groupe. Analoum appréciait l’avoir avec elle, tout comme elle bénissait le moment de leur rencontre. C’était lui qui avait permis tout cela. Même s’il était une réelle menace, il permettait d’avancer, de déjouer les obstacles qui se traçaient sur leur chemin. Lui et sa sœur étaient des envoyés des esprits pour rétablir leur monde. Une sorte de messie.
— Xin-Shen dit que l’escalier est libre jusqu’au premier étage. Arrête de faire crisser ton épée sur le bord de ton fourreau, c’est énervant.
Suan se tourna vers elle. Ses yeux avaient pris une teinte plus orangée que par le passé et des fragments de noisettes réinvestissaient la zone autour de ses pupilles. Pouvait-il redevenir lui ? Les veines s’effaçaient au fur et à mesure. Cette vision apaisa Analoum.
— J’suis nerveuse, qu’est-c’tu veux qu’j’te dise ?
— Eh, bien ! arrête de l’être pour le moment. Profite de la tranquillité apparente du lieu.
— J’comprends pas comment t’fais pour être si serein.
— Je ne le suis pas. Et même si je sais que nous pouvons retourner la situation avec les soldates, je n’ai pas la moindre idée de si nous sortirons en entier d’ici. Je suis comme toi, Ana. J’ai peur. De beaucoup de chose. Mais, je n’ai plus grand-chose à perdre. Plus vraiment d’attache. J’essaie de relativiser… de…
Au sommet des marches, Suan indiqua un couloir.
— Il y a du monde. Mais on ne nous attend pas. Prudence.
Ici, il n’y avait plus d’eau, tout semblait fermée. Il n’y avait pas une seule fissure, les rideaux étaient tirés et de grands lustres de verre scintillaient au-dessus de leur tête.
À tâtons, ils approchèrent une porte entrouverte. On s’y activait.
Suan expliqua dans murmure que c’était la chambre par laquelle Tartanne et les autres s’étaient enfuis. Des coups de marteaux retentirent, suivi d’une voix forte.
— Fermez-moi ça rapidement avant que la chevelure ne pénètre cette aile du palais.
— On va de nouveau finir dans les souterrains de ce palais infame, prisonnière à jamais de ces foutus murs, moi j’te le dis. Jim n’a plus aucune emprise sur sa sœur. Meave n’a plus le contrôle d’elle-même depuis trop longtemps. Tu as bien vue comme moi ! Jim a failli y passer le mois dernier. Son masque, tu crois qu’il va tenir combien de temps avant que le mal qui possède Maeve ne devienne plus fort. Elle le nourrit. Elle va tous nous tuer.
— Arrête de geindre, on n’y peut rien. Elles nous sauvaient des combats, le moins qu’on puisse faire c’est de les servir. Ne pense pas être libre un jour. On l’a jamais était. Et regarde-nous ! On est monstrueuse. Des catins détruites jusqu’au fond de leur corps.
— Merde ! Zéon ! Meave a promis de nous libérer et nous offrir un village rien que pour nous. Moi, je m’en souviens.
— Quelle valeur a cette promesse, Ula ? Les lianissiens meurent chaque jour en nombreux. Ils vivent reclus avec la peur au ventre. Tout ça pourquoi ? Pour l’amour d’une sœur. On n’est rien. Jim est protégé par son pouvoir des mots. Plus personne ne se rebellera contre elle. Elle dit, on s’exécute.
— Des machines… On le restera jusqu’à notre mort. Chier !
Analoum et Suan se regardèrent. Ici aussi la peur tenait les tripes de chacune.
Ils dépassèrent la porte sans éveiller les soupçons de leur retour et continuèrent.
La brune se gratta la nuque. Ses gants en cuir avaient rétréci à cause de l’eau. Hors de question de les retirer devant les autres, alors elle commença à plier et déplier ses doigts, faisant soupirer Suan. C’était un fait, il n’aimait pas les bruits énervants.
— T’pense pas que Jim va nous tuer d’un simple mot ?
— Je ne sais pas. On verra qu’en on y sera.
Il restait calme malgré ce qu’ils avaient tous entendu.
Analoum secoua la tête, vrillant son regard derrière elle, par pur inconfort d’avoir encore Tartanne sur ses talons.
Le mal… ce n’était donc pas une simple malédiction. Quelque chose était entrée dans Meave. L’image des garçons volés se répandit dans son esprit. Combien était-il a avoir pu approcher Meave et lui donner un baiser ? À quoi ressemblait-elle ? Pourquoi ne quittait-elle jamais le palais ? Elle ou son mal ? C’était encore trop vague, malgré les explications de Galannys.
— Tenez-vous prêt. Il y a du monde ici et on nous attend.
À peine, Analoum eut-elle le temps de dégainer l’arme qu’elle avait ranger, qu’un groupe de six femmes-machines se présenta devant eux.
Suan fit comprendre qu’il n’y en aurait pas avant un moment, qu’elles étaient plus loin, vers l’aile sud. Moins d’une dizaine.
Tartanne attaqua le premier. Rapide comme un éclair, il grossissait et rapetissait en un clin d’œil. Ainsi éjecta-t-il les combattantes en l’air en un rien de temps. Elles se retrouvèrent étalées parterre, rugissantes et crachant des insultes à tout va.
À le regarder faire, la brune sentit sa tête tourner. Elle avait la nausée, mais ce n’était pas le moment de faiblir. Analoum se rua vers des soldates encore au sol, l’épée brandit en avant, la bouche grande ouverte. Ses crocs pointus avertissaient les autres de son envie d’en découdre. Elle sauta sur une femme dont les jambes cerclées de métal ressemblaient à la queue d’un serpent. En gesticulant, la femme-machine faillit la faire tomber, seulement Analoum se rattrapa de justesse à son étrange bras articulé et d’un geste vif du poignet, elle trancha net la tête de la soldate. La fougue entortillée au corps, la brune cogna le vent et porta plusieurs coups aux femmes, ricochant parfois sur leurs boulons ou leur émaillage. Tartanne lui passait entre les jambes, bougeait d’une façon a ce qu’il soit impossible de l’attraper.
Avec force et agilité, Analoum coupa un bras qui virevolta dans les airs et retomba sur Suan. La main claqua sur sa joue. Une gifle d’une main morte, pensa Analoum en lui jetant un coup d’œil. Allait-il resté là, comme une statue de plomb ou comptait-il les aider ?
Comme s’il avait entendu sa pensée, il entra dans la danse alors que d’autres femmes-machines rappliquaient.
— Salvatoum ! Elles sont combien ces guenons rapiécées ? T’as dit qu’y’en aurait plus avant longtemps. Tu t’fous d’moi, le maigrelet !
Suan n’avait pas entendu. Il agitait sa hallebarde dans des retasions étourdissantes Ça devenait compliquer de voir à quoi l’arme ressemblait. Elle n’était plus qu’une rosasse métallisée, fendant l’air. Analoum avait encore du mal à se dire que le jeune homme pouvait prétendre à lui trancher la tête. Cette agilité !
Elle finit par détourner les yeux et retira Quilin de la poitrine de son adversaire, avant qu’une masse la projette en avant. Une vive douleur enfla dans son dos. Elle plaqua ses mains sur la zone, lâcha un cri pour atténuer le mal et le changer en rage. Seulement, elle dut mettre trop de temps à renverser ses émotions et à produire la dopamine qui lui servirait à contrattaquer. Des bras articulés par dizaines l’attrapèrent avec force et s’enroulèrent autour d’elle, comme une corde trop serrée. Plus Analoum se débattait, plus les bras se refermaient sur elle. Le comprenant vite, la brune se figea et ramollie tout son corps. La mécanique se stoppa net, laissant un sourire satisfait sur les lèvres de la lianissienne.
Pendant qu’elle glissait vers le sol, toujours retenu par ce bordel de bras en pagaille, elle analysa l’hybride qui se tenait plus loin. Sa petite taille lui indiquait son jeune âge, mais en y regardant de plus près, elle était simplement naine. La beauté solaire de son visage la déconcerta un instant et les rides déployés autour de ses yeux, parlait d’une femme d’environs quarante ans. Mais ce qui étonnait Analoum était ses bras articulés qui gesticulaient tout autour d’elle comme une pair d’aile découpée.
— Arg !!!
Un cri sur aigu détonna dans la pièce. Tout le monde se retourna, même les femmes qui agonissaient au sol.
Analoum déglutit bruyamment en posant ses yeux sur Suan.
Ce cri.
Pas maintenant.
Tartanne et elle se captèrent avec nervosité, tandis que Suan luttait contre Tampo.
Analoum cherchait à savoir si Trysol s’était réveillée ou si Suan avait eu un coup de terreur. Deux choses pouvaient le déclencher pour le moment : la peur et Trysol. Qu’il soit un Hàng Xiè de second rang ou non, il n’avait pas encore la capacité de muter par lui-même. Il n’était pas son propre chef. Ce qui signifiait que Suan ne pourrait pas diriger Tampo. Le fait que Trysol n’était pas là, pourrait leur coûter cher. Est-ce que Tampo les dissocierait des femmes-machines ?
En un quart de seconde, la créature se forma paralysant toute l’assemblée.
— On va tous crevés, se résigna Analoum et se laissant tomber au sol.
Les bras se délièrent rapidement, comme absorbés par un danger plus complexe qu’elle, et rejoignirent leur propriétaire.
Avant que qui que ce soit ne pense à bouger, Tampo rugie le regard imbibé de ce rouge effrayant où des veines noires se glissaient, accentuant la peur qui infligeait à ceux qui le regardaient. Il sauta sur la soldate la plus proche de lui, et avant qu’elle n’ait pu faire reculer, il planta sa gueule béante et entièrement noir dans la chair de son épaule. Un hurlement de douleur perça l’air et gela le cœur la brune. Peut-être était-ce son instinct de survit qui réagissait, mais elle se jeta contre le mur, derrière une tapisserie.
Tampo secoua sa proie qui valdingua de l’autre côté de la pièce. La peur se lisait sur chaque visage, mais les créature hybrides encerclèrent le Hàng Xiè prêt à en découdre. Elles ne savaient pas combien elles n’étaient rien en comparaison de lui.
Tartanne longea à son tour les murs jusqu’à Analoum. D’une de ses longues queues, il l’attrapa. Elle voulut se défendre, mais se laissa faire en observant la mise à tabacs des combattantes.
— Tu cherches à faire quoi MR. La poisse ? N’faut carrément pas bouger.
Bouger ou ne pas bouger ? Au fond, est-ce que ça empêcherait de se faire bouffer par Tampo ?
Elle regrettait de ne pas comprendre ce que le chat pensait. Elle se laissa diriger jusqu’au couloir et quand il la reposa par terre et que la dernière femme-machine se répandit en morceau contre le sol, elle comprit qu’il fallait fuir, trouver une échappatoire. L’idée de sortir du palais lui passa dans l’esprit, mais par où ? À cet étage, dans cette aile, il ne semblait avoir aucune sorti. Une protection contre la chevelure. Ce palais regorgeait de bien trop de danger pour une femme aussi faible. L’espoir la mettait dans une situation chaotique. On lui donnait le choix de mourir de façon horrible.
— Salvatoum ! J’veux vivre, moi !
Tartanne grossit à nouveau, fermant de son corps le couloir où elle se trouvait. Dans son malheur, elle avait un soupçon de chance, même si c’était la poisse qui lui tendait.
En l’entendant feuler, Analoum sut qu’un combat singulier allait se jouer entre eux.
Elle ne serait pas là pour y assister, déjà en train de courir comme un dératé poursuivi par une horde de démons assoiffés de vie.
— Pourvu que ton sacrifice serve à quelque chose le chat, s’insurgea-t-elle.
Les couloirs défilaient devant ses yeux. Elle s’éloignait. Le combat avait débuté et elle entendait les impacts de deux corps en collision.
Trouver une issue ! Trouver Meave ! Trouver Jim !
Trouver de quoi se sauver…
Son cœur tabassait sa poitrine et même si elle était endurante, l’air qu’elle inspirait lui brûlait la gorge et asséchait sa bouche.
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