Sainte-Geneviève des Fourches, Secret Service.

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Un matin comme tant d’autres, Sœur Marie Eudoxie du couvent Sainte-Geneviève des Fourches, se prélasse sur son lit aux premières lueurs du jour.

- Juste ciel ! Je dois m’activer, il est déjà 6h15 ! s’écrit-elle en se relevant de sa couche, le petit déjeuner ne va pas se préparer par l’opération du saint Esprit.

Elle court dans le corridor en direction des cuisines, lorsque l'imposante Sœur Eugénie lui barre la route. Gigantesque est clairement l’adjectif qui la qualifie le mieux, tant par sa taille de plus d’un mètre quatre-vingt, que par son poids dépassant le quintal.

- Bon matin, ma Sœur, la salut-elle, une chance pour toi que le coq chante dans ma caboche au lever du jour, sinon y aurait point de petit déjeuner ah ah.

Sa voix forte, à son image, résonne dans l’immense vestibule en pierre de taille.

- Mille excuses, Sœur Eugénie, je n’étais point endormie, mon esprit vagabondait...

- Comme je t’envie, la Dodo, moi je ne rêve jamais…

- Ce n’est pas toujours une bénédiction, j’en oublie très souvent mes devoirs…

Sa consœur lui tape sur l’épaule puis l’attire vers la porte de la cuisine d’où une délicieuse odeur de potage et de pain chaud émane de la grande cuisinière à bois. La table est mise et un magnifique bouquet de rhododendrons bleus fraichement cueillis colore la nappe en coton blanc.

- Par sainte Marthe, ce fumé est enivrant ! Et tu as déjà fait tout le labeur ! Tu es une perle, Sœur Eugénie, dit-elle en humant la délicieuse odeur qui s’échappe de la grosse marmite en cuivre.

- Vous autres me donnez tant depuis mon arrivée, c’est le moins que je puisse rendre.

Sœur Eugénie avait débarqué, avec ses gros sabots pointure 44, seulement deux semaines auparavant. Elle avait été chaudement recommandée par la Mère supérieure du couvent de Sainte-Fernande du Bourgeon, dans le Pas de Calais, qui l’avait honorée du titre de « cuisinière hors du commun ». Une distinction à double sens, car même si elle s’avérait être une excellente cantinière, son coup de fourchette était aussi lourd que ses plats.

- Bon matin à vous, mes filles.

La voix de la Mère Hortense les fait sursauter.

- Bon matin à vous, Mère, disent-elle de concert.

- Il sent bon dans cette cantine, que nous as-tu préparé, Sœur Marie Eudoxie ?

- Euh… toutes mes excuses, ma Mère, je…

- Une fois encore, c’est Sœur Eugénie qui rattrape tes manquements, la coupe-t-elle, si tu passais autant de temps à prier qu’à rêver, tu serais déjà canonisée.

Malgré sa rudesse, Mère Hortense était toujours juste et bonne envers ses pensionnaires. Elle gérait la congrégation de Sainte-Geneviève des Fourches depuis bientôt quarante ans, et avait vue passer des centaines de jeunes religieuses en quête de spiritualité.

- Pour la peine, tu seras de corvée de vaisselle pour le reste de la semaine en plus de remplacer Sœur Eugénie dans son office. C’est la moindre des choses.

Sœur Marie Eudoxie s’incline en guise d’acceptation, après tout, c’était le troisième matin d’affilé que Sœur Eugénie lui sauvait la mise en cuisine, elle lui devait bien ça.

Petit à petit, la pièce se remplit des autres Sœurs, tandis que Mère Hortense se tient debout devant sa chaise, au bout de la table. Chacune gagne sa place et joint les mains devant elle pour le Pater Noster matutinal.

- Notre Père qui est aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour, pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés, et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal. Amen.

Le mélodieux récital laisse place au brouhaha des chaises qui glissent au sol. C’est Mère Hortense elle-même qui sert le repas en bénissant chaque assiette.

Soudain, un vrombissement mécanique se fait entendre, se rapprochant de plus en plus. Les murs tressautent, faisant tomber au sol vaisselle et ustensiles posés sur les étagères çà et là, tandis que la lourde table en chêne et les chaises se promènent dans la pièce.

Affolées par le vacarme assourdissant, les Sœurs se regroupent instinctivement autour de la plus grande d’entre elles, Sœur Eugénie, lorsqu’un pan de mur s’effondre sous leurs yeux écarquillés.

Dans l’épais nuage de poussière transpercé de l’aveuglante lumière du jour levant, une énorme machine infernale s’avance dans un mélange de cliquetis et de pétarade.

Brusquement, la cacophonie ambiante cesse, laissant place à un silence funeste.

Un immense char d’assaut vient de défoncer la bâtisse en pierres centenaires, et trône à présent dans ce qu’il reste de la cuisine du couvent.

Dans un grincement digne des plus grands films d’horreur, le volet du tourelleau bascule en laissant s’échapper une fine fumée grisâtre.

- Ah, je vous tiens, agent Morel ! s’exclame un grand homme chauve avec un fort accent allemand.

Vêtu d’un uniforme militaire bleu canard paré de nombreuses médailles rutilantes, l’homme se visse un élégant képi surmonté d’un aigle doré sur la tête en toussotant, chassant la poussière volante d’un geste de la main.

- Vous devez faire erreur, il n’y a personne de ce nom-là ici, lance Mère Hortense en s’avançant prudemment, vous êtes dans un couvent et…

- Ecartez-vous ! hurle Sœur Eugénie en repoussant sa capeline sur ses épaules, dévoilant un fusil automatique, vous pensiez pouvoir récupérer le diamant en défonçant ce couvent ? Grand mal vous a pris, il n’est pas ici, ah ! ah !

La voix déjà masculine de Sœur Eugénie s’aggrave soudainement, et les poils sur ses jambes dénudées ne dupent plus personne.

- Dans moins d’une minute, les services secrets seront là pour vous arrêter, général Manenffried. Tout est fini pour vous.

Dans un mouvement d’une rapidité déconcertante, le malotru se jette au sol et empoigne Sœur Marie Eudoxie en passant son bras autour de son cou, pointant un pistolet argenté sur sa tempe.

- Arf, vous me prenez pour un amateur, agent Morel. Vous allez me restituer le diamant des Rois d’Orient maintenant, ou votre amie va rejoindre son Seigneur prématurément !

Voyant le désarroi dans les yeux de l’agent Morel sur le point d’abdiquer, Sœur Marie Eudoxie se rappelle soudain qu’elle connaît une prise de self défense pour se débarrasser d’un agresseur. D’un geste rapide et chorégraphié, elle attrape le bras du général et le projette par-dessus sa tête, s’emparant de son revolver au passage.

- Je crois que la partie est terminée, général, dit-elle en pointant son arme sur lui.

Quelques secondes plus tard, une dizaine d’hélicoptères apparaissent et déposent des centaines de personnes en uniformes aux alentours du couvent éventré.

Après avoir menotté le général, l’agent Morel s’approche de Sœur Marie Eudoxie et lui tape sur l’épaule.

- Les services secrets français auraient bien besoin de femmes de votre trempe ! Vous nous avez sauvé, en plus de protéger le trésor inestimable qu’est le diamant des Rois d’Orient !

- Oh, vous êtes gentil, agent Morel, mais ma place est ici, avec mes Sœurs.

- La foi avant tout, hein ?

Sœur Marie Eudoxie lui sourit et le bel homme regagne l’un des hélicoptères qui décolle aussitôt. Agrippé à la carlingue, il l'honore d’un salut militaire en arborant un sourire d'une blancheur Hollywoodienne, puis lui lance subrepticement un clin d’œil malicieux.

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