Chapitre 4

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Les trois hommes arrivèrent dans l'infirmerie pour trouver le personnel en ébullition, courant vers la chambre de leur captive en lançant des flopées de directives, avant d'en ressortir généralement sur les fesses. Long-Shot dévisagea Papa qui haussa les épaules.

— J'ai dit qu'elle était réveillée, pas qu'elle était docile...

— Et elle n'aurait pas dû être entravée ?

— Mais elle l'était...

Les deux hommes sourirent devant les ressources de la jeune femme, et Long-Shot se remit en route, écartant le personnel médical de son chemin avec bienveillance jusqu'à atteindre l'entrée de la chambre. Il y trouva là une jeune femme brune d'origines latines aux grands yeux verts et aux lèvres fines pincées par la colère, le regard plein de haine et les cheveux collés par la sueur, maintenant contre elle un infirmier visiblement terrifié par le scalpel collé à sa gorge. Le vieux loup de mer analysa la situation en une fraction de seconde, et déjà un plan se dessinait dans son esprit. Souriant, il déplia les bras de son dos pour les croisés sur son torse musclé, avant de clamer de sa voix forte, qui paralysa la jeune femme.

— Lieutenant de Vaisseau Roquetot !

J entra dans la salle, et la prisonnière se crispa en reconnaissant celui qui l'avait mis dans cette situation. Sa voix claire à la colère mal contenue se fit immédiatement entendre.

— Si ce bâtard sans mère ne sort pas d'ici, vous aurez vite un mort sur les bras.

Le vieil Officier sourit.

— Je ne crois pas.

— Et pourquoi ça ?

— Vous ne sacrifierez pas votre seul otage. Il est votre bouclier et assure votre liberté. Sans lui, votre scalpel n'arrêterait plus grand monde. Donc maintenant, mon second va venir vous retirer cette arme, et nous allons faire connaissance. Et vous découvrirez vite que nous ne sommes pas les monstres que vous pensez.

La jeune femme assura son maintien sur sa victime comme sur son arme avant de crier.

— Je n'ai rien à dire à des pirates ! Vous n'êtes que des traitres aux Cités, c'est ce qui vous a valu ce mode de vie ! j'ignore ce que vous attendez de moi, mais vous n'aurez rien. Ni otage à échanger, ni informations, ni esclave, ni même mon cul !

Les deux Officiers ouvrirent de grands yeux avant de se dévisager mutuellement, pour reporter leur attention sur la farouche scientifique. Hochant doucement la tête, Long-Shot répondit.

— Votre... Cul... Ne nous intéresse pas. Et nous ne faisons pas dans la traite d'êtres humains. Non, pour être franc, nous avons besoin de vous pour sauver le monde des Créatures.

Ce fut au tour de la jeune femme d'ouvrir de grands yeux étonnés, et J sauta sur l'occasion et sur elle. La scientifique prit peur et recula instinctivement, butant contre le chariot de soins derrière elle, ce qui la déséquilibra juste assez pour qu'elle relâche quelques secondes sa prise et son attention, et le jeune Officier en profita. Avec la grâce d'un félin, il écarta l'infirmier d'une main pour saisir celle de la scientifique de l'autre et serra sa poigne jusqu'à ce qu'elle en cri de douleur, avant de relâcher la pression. Les doigts meurtris laissèrent tomber l'arme improvisée, et J posa le pied dessus avant de le faire glisser en arriver pour qu'il soit récupéré par Papa venu évacuer son subalterne à la gorge entaillée. Se tenant droit et fier face à la femme à genoux, J lui lança un regard mauvais, avant de se reculer pour laisser le passage à Long-Shot qui vint se mettre au même niveau que la victime, s'asseyant sans manières à même le sol, pour ensuite pousser un long soupir.

— Carla... C'est ton père qui nous a dit de faire appel à ton frère et toi...

La jeune femme avait redressé la tête à l'appel de son nom, mais très vite le masque de surprise laissa de nouveau place à de la colère.

— Mon père est mort lors de l'Émergence ! Alors, gardez vos mensonges pour vous.

Sans un mot, Long-Shot sortit une plaque en métal argenté et la mit entre Carla et lui avant d'appuyer sur une petite touche rouge, et un visage se matérialisa. Un homme d'un âge certain, une grosse barbe drue sur le visage, s'y exprima d'une voix synthétisée.

— Armand, retrouve Carla et Pablo. Ils sauront quoi faire.

Ce court passage tourna en boucle sous le regard incrédule de la scientifique qui tendit lentement la main pour s'en saisir, mais Long-Shot ne la laissa pas faire.

— Le début du message est trop important pour prendre le risque que tu l'effaces. Et la fin... Disons que je préfèrerais que vous la regardiez un jour où tu seras dans de meilleures dispositions... Mais si nous sommes aujourd'hui accusés d'insubordinations, de mutinerie et de nombreux actes de piraterie, dis-toi bien que c'est pour lui, pour les informations qu'il nous a données, pour vous retrouver et pour mener nos objectifs à terme.

Carla le gifla sans crier gare, et Long-Shot tendit la main paume ouverte vers J par réflexe alors que celui-ci s'apprêtait déjà à dégainer son pistolet.

— J... Tout n'est pas acte d'insubordination, je croyais te l'avoir déjà expliqué. Tu as fait ce que j'attendais de toi en la désarmant, maintenant je veux simplement que tu observes ce que veut dire être humain, et que tu apprennes comment être doux, gentil et prévenant.

Saisissant délicatement la jeune femme effondrée sous les bras, Long-Shot la releva avec gentillesse avant de l'aider à sortir de la salle.

— Excuse-le, c'est mon meilleur élément, mais aussi le moins humain du lot... Mon équipage originel est issu d'un programme militaire particulier, et celui-ci a été très efficace sur le Lieutenant de Vaisseau.

L'intéressé se renfrogna immédiatement avant de libérer totalement le passage pour ensuite emboiter le pas à son supérieur. Celui-ci s'arrêta devant le médecin, le regard inquiet.

— Comment la trouves-tu ?

Long-Shot aida Carla à s'assoir sur un fauteuil et Papa l'ausculta sommairement, passant une torche devant ses yeux puis un scanner à hauteur de son torse et de son crâne, jusqu'à ce que l'appareil bipe et émette une lumière verte.

— Elle va bien. Émotionnée, mais pas en état de choc. Mademoiselle, voudriez-vous un café ?

La jeune femme releva un visage vide d'émotion vers le médecin, avant d'articuler difficilement.

— Vous n'avez pas peur que je le jette au visage de quelqu'un ?

Papa sourit tout en faisant un signe de la main à un infirmier.

— Je peux vous le donner froid. Mais je choisis de vous faire confiance. Si Long-Shot le fait, alors moi aussi. Vous découvrirez vite que nous avons tous foi en lui.

A peine eu-t-il fini sa phrase qu'une tasse fumante était tendue à la jeune femme, accompagnée de sachets de sucre et d'une cuillère. La jeune femme dévisagea le serveur, l'infirmier qu'elle avait blessé à la gorge, et lui offrit un sourire triste et compatissant avant de le remercier et de prendre la tasse qu'elle porta à ses lèvres avant de faire une grimace, sous les rires des témoins.

— Oui, notre café est dégueulasse. Mais il est fort, et nous en avons besoin.

Une couverture fut déposée sur les épaules de la jeune femme, puis Papa l'aida à se relever.

— Allez, si vous voulez bien me suivre, nous allons vous conduire dans vos quartiers pour que vous vous reposiez, mais avant, nous allons vous montrer votre futur laboratoire.

Carla le regarda avec surprise, et Papa reprit en désignant le Capitaine de Vaisseau du menton.

— C'est lui qui a insisté.

La jeune femme tourna son visage vers Long-Shot qui précisa.

— Vous n'êtes pas prisonnière, et si vous souhaitez partir, vous le pourrez. À l'issue de la visite, d'une discussion et d'un peu de repos. Une chaloupe est déjà prête pour vous.

— Trop de moyens et d'énergie gâcher dans ce cas, si vous voulez mon avis. Si elle est trop bornée pour entendre ce que vous avez à dire, qu'elle rentre donc à pied.

Long-Shot soupira.

— J... je vais finir par ordonner deux opérations chirurgicales pour toi... La première consistera à te greffer un cœur, et la seconde à te retirer le balai qui t'a été enfoncé dans le cul à la naissance.

Le Lieutenant de Vaisseau s'immobilisa, bouche légèrement ouverte, tandis que Carla et Papa rigolaient sous cape. Tournant lentement la tête vers la jeune femme, Long-Shot se mit à sourire à son tour.

— Donc, tu es capable de sentiments joyeux même en présence de pirates, voilà qui est agréable. Nous ne devons pas être les monstres dépeints par les gouvernements des Cités, si ça se trouve.

Long-Shot reprit sa marche, ses bras quittant son torse pour retourner dans son dos, ce qui fit sourire Papa. Le médecin connaissait assez le Capitaine de ce navire pour savoir que ses bras étaient son indicateur de stress. Tant qu'ils étaient dans son dos, tout était sous contrôle, et Armand avait capacité exceptionnelle à tout garder sous contrôle. Il l'avait déjà vu affronter cinq destroyers en même temps sans que ses bras bougent d'un iota. Cet homme était un roc.

Après quelques mètres, Carla se sentit la force de marcher seule et accéléra le pas pour rejoindre Long-Shot.

— Mon Capitaine...

Armand lança un bref coup d'œil amusé à la jeune femme.

— Oui Carla ?

— Comment connaissiez-vous mon père ?

— Qui a conçu ceci d'après toi ?

La scientifique regarda l'Officier Supérieure avec une surprise non feinte.

— Mais... Sa spécialité, c'était les interfaces synaptiques pour asservissement des commandes.

Le sourire de Long-Shot s'étira.

— Oui, c'est exactement ça.

Une puissante alarme retentit alors à travers toutes les coursives, tandis qu'une voix sortait des haut-parleurs.

— Le Capitaine est attendu sur au poste de commande.

Armand lança un regard inquiet à J et Papa, et tous trois partirent en courant alors qu'ils sentaient le Briseur d'Essaims changer de cap, suivis de peu par Carla, pour arriver au poste deux minutes plus tard.

— Responsable d'artillerie, au rapport.

Le Lieutenant de Vaisseau Carroteau se mit au garde-à-vous en répondant.

— Huit navires de guerre en approche, par paires, frégate, destroyer, cuirassé et croiseur. La télémétrie du pilote automatique les garde à distance raisonnable pour l'instant, mais nous ne pourrons jamais atteindre l'Oasis s'ils ne bougent pas. Ils sont en plein milieu du chemin, Mon Capitaine.

Long-Shot lança un regard vers le responsable des radars qui opina du chef, avant de reprendre.

— Pirates ou Cités ?

— Cité des Armes, Monsieur.

Le vieux loup de mer serra les mâchoires. Il connaissait le Vice-Amiral d'Escadre responsable de la flotte des Armes, et savait que la partie s'annoncerait difficile. Se dirigeant vers son fauteuil, il donna ses ordres.

— Papa, prépare tes hommes. Lieutenant de Vaisseau Grif, que toute l'Infanterie se prépare à un possible abordage, et que le blindage du pont extérieur soit déployé. Responsable d'artillerie, faites activer les batteries. Barreur, à la barre. Préparez-vous au combat.

Tous les hommes répondirent par l'affirmative pour se rendre à leurs postes en courant, tandis que Long-Shot indiquait un siège à son invité.

— D'ici, tu pourras admirer les prouesses de ton père.

J et R s'assirent à leurs postes respectifs, le premier s'emparant des commandes du vaisseau et le second enfilant ses gants de commande, quand une nouvelle alarme s'éleva dans le vaisseau, prévenant les occupants du combat à venir. Observant son écran de contrôle, J prit la parole.

— Réserves énergétiques à leur maximum, et toutes les batteries auxiliaires et de secours chargées. Puis-je replier les mats ?

— Bien entendu.

J enfonça quelques touches avant de clamer.

— Repli terminé dans dix secondes. Cinq. Replis terminé.

R précisa.

— Blindage de pont extérieur déployé, batteries prêtes et opérationnelles, dans l'attente d'ordre d'ouverture du feu. Dragon chargé à quatre-vingt-dix-huit pour cent et chaloupes prêtes à être larguées.

Long-Shot opina du chef.

— Bien. Déployez les réacteurs et le système de propulsion anti-grav, mais ne les activez pas encore. Peut-être qu'ils nous laisseront gentiment passer.

J s'exécuta en silence, peu enclin à croire à un tel dénouement, tandis que les deux casques de réalité virtuelle s'abaissaient devant leurs yeux en même temps que des broches en métal se plantaient dans leurs tempes et dans leur nuque. Carla dévisagea alors le Capitaine de Vaisseau Armant.

— Mais c'est ?

— Le système de votre père, oui.

— C'est pour ça qu'ils commandaient déjà si vite avant le branchement... Ils connaissent l'interface utilisateur sur le bout des doigts.

— Non jeune fille... C'est là le secret de ce projet militaire. Les interfaces ont été conçues autour d'eux, pour eux. Elles ne sont plus des hardwares, mais une simple extension d'eux-mêmes pour permettre à leur conscience de littéralement s'accroitre et devenir celle de ce navire.

J prit alors la parole.

— Monsieur, code morse lumineux, je vous le transfert à l'écran.

L'écran de vision panoramique zooma sur le destroyer de tête d'où parvenait des éclairs lumineux à intervalles variables, et le Capitaine se mit à rire.

— J'espère qu'ils ne sont pas sérieux...

Carla l'observa avec surprise, presque effrayée.

— Que demandent-ils ?

Le ton de Long-Shot se fit froid, sérieux et sans appel.

— Que nous nous rendions. Messieurs, autorisation d'attaquer.

Les réponses fusèrent en même temps que le siège du barreur pivotait en avant, et Long-Shot activa le communicateur radio de son poste.

— Équipage du Briseur d'Essaims, ici votre Capitaine. Nous allons possiblement battre notre record en nous défaisant de huit navires de guerre. N'oubliez pas nos actes passés, n'oubliez pas notre cause. N'oubliez pas notre code d'honneur, car il nous définit. Pas de morts inutiles, pas de vaisseaux survivants, et aucun respect des conventions de la guerre. Les gouvernements ont fait de nous des pirates, battons-nous comme tel. Qu'importe que nos noms soient souillés à jamais, car pour le bien de notre mission, à chaque combat seule compte la victoire. Je n'attends qu'une seule chose de vous tous : Le meilleur de vous-même.

Les cris de bataille de l'équipage résonnèrent à travers le vaisseau, arrachant un sourire de plus au Capitaine qui coupa les communication en reportant son attention sur l'écran.

— Responsable d'artillerie. Détruisez ce navire. Ses appels de phare me fatiguent.

— À vos ordres.

La gueule dorée du Dragon s'ouvrit lentement alors qu'une épaisse fumée noire commençait déjà à s'en dégager, et le navire face à eux entama une manœuvre d'évitement aussi rapide que son gabarit et sa formation rapprochée avec les autres engins de guerre le lui permettaient, quand une explosion assez puissante pour immobiliser quelques secondes le Briseur d'Essaims aveugla tout le monde. Dans la seconde qui suivie, le destroyer s'immobilisa, le flanc gauche de la coque percé d'un immense trou fumant, avant d'être déchiré de l'intérieur par une violente explosion qui fit tanguer les navires autour. Le sourire de Long-Shot disparut.

— Vice-Amiral d'Escadre, dites-moi que cette démonstration de force suffit pour vous ramener à la raison, je vous en prie...

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