76 - anticipation
En 1976, j'ai compris que chacun est irrémédiablement seul : mon meilleur copain devait déménager, partir, s'éloigner, et dans mon âme interdite c'était la déflagration, je commençais à peine à m'habituer à
l'amitié : cet étrange lien qui ne s'explique pas, qui apparaît comme une compréhension immédiate, telle une intuition complice où la promesse d'échange, de partage, d'attention, de protection, coule de source,
naturellement. Avais-je, déjà si jeune, la connaissance de la valeur sacrée de l'amitié ? Disparaître était le sacrilège et je me résolus dès cet instant à me penser seul : ce monde était incertain.
Trop peu sûr, tout me semblait sable qui glisse entre les doigts, la déroute de la confiance était ainsi assurée : j'ignorais tout de la vie et pourtant les arbres et les animaux m'avaient parlé.
Et pourtant les mots circulaient sous mon crâne, trop peu eux aussi pour dire la réalité sentie du monde, les recoins oubliés ou ignorés, les pans sombres de souvenirs d'autres vies, d'autres réalités, le futur...
1979 : je me suis coupé le pied droit, et deux ou trois semaines après c'est le pied gauche que j'ai brûlé : je fis ainsi l'expérience de la loi d'attraction sans en connaître le nom.
Le mot — qui consiste à penser et à voir réaliser sa pensée : on attire ce qu'on pense — les enfants sont prompts à la pensée magique car ils ne maîtrisent rien : l'enfance est démunie face au monde immense,
elle se sent vide de toutes les aspirations que, pourtant, elle charrie, menée par sa calèche innocente, pour tracer des routes imaginaires, faute de savoir lire les cartes adultes ; 76 ans, visage ridé, inatteignable, presque figure d'une fébrile immortalité...
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