Chapitre 2 : Pulsion

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L’hôtel est un écrin de luxe, une bulle feutrée où chaque détail a été pensé pour flatter les sens. Le marbre blanc des colonnes capte la lumière tamisée, projetant des reflets dorés sur les moulures délicatement ouvragées. L’atmosphère est légère, maîtrisée, chaque élément disposé avec une précision clinique. Ici, rien ne dépasse. Des fauteuils en velours profond encadrent la cheminée moderne, diffusant une chaleur discrète, tandis que des effluves boisés flottent dans l’air.

Et moi, j’appartiens à ce décor.

Ma silhouette s’intègre parfaitement à cette élégance maîtrisée : tailleur impeccable, chemisier parfaitement repassé, gestes précis et mesurés. À force, ce rôle est devenu une seconde peau. Un sourire poli, une voix posée. Je suis la façade impeccable d’un établissement où tout se doit d’être lisse, contrôlé, sans aspérités.

Un couple traverse le hall, tirant leurs valises derrière eux. Sans y penser, j’esquisse un sourire professionnel, automatique. La routine, bien huilée. Presque rassurante dans sa mécanique.

— T’as pas l’air réveillée.

Je tourne légèrement la tête et croise le regard pétillant de Gabi, appuyée nonchalamment contre le comptoir. Son uniforme est légèrement défait, quelques mèches échappées de sa queue de cheval. Un contraste saisissant avec ma propre rigueur.

Elle m’observe, les bras croisés, une lueur moqueuse au fond des yeux.

— J’espère que c'est pas Vincent qui t’empêche de dormir.

Son ton est léger, presque taquin, mais il y a autre chose sous l’amusement. Une certitude sous-jacente. Elle imagine ma vie amoureuse bien rangée, ordonnée, prévisible.

Et elle n’a pas tort.

Je hausse les épaules, esquissant un sourire évasif.

— Rien d’excitant, t’inquiète.

— Dommage.

Elle ponctue sa phrase d’un clin d’œil avant de se détourner, déjà absorbée par son écran.

Je me plonge dans le travail. Je trie les réservations, enchaîne les emails, mets à jour les tableaux de chiffres. Mais une gêne s’installe, insidieuse, s’étire sous ma peau.

D’abord imperceptible. Un frisson discret qui glisse le long de mes bras, un léger fourmillement dans mon ventre. Puis, lentement, cela s’ancre plus bas, en une pulsation sourde et entêtante.

J’essaie de l’ignorer. De la repousser.

En vain.

Sous le bureau, mes jambes se croisent imperceptiblement.

Qu’est-ce qui me prend ?

Ce n’est pas Vincent. Ce n’est même pas un souvenir précis. C’est autre chose. Quelque chose de plus flou, de plus troublant.

Un souffle fantôme effleure ma nuque. Un frisson électrique me traverse. La pression imaginaire d’une main invisible glisse sur ma peau, capture mes poignets, me retient sans me contraindre.

Mon souffle se suspend.

L’espace d’un instant, je ne suis plus là.

Puis, brusquement, je rouvre les yeux.

Non. Stop.

Je prends une inspiration discrète, tente de reprendre le contrôle. Il me faut une excuse. Un prétexte.

Mes doigts effleurent distraitement le tiroir sous le comptoir, et j’en extrais une clé magnétique que je fais tourner entre mes mains.

— Je vais vérifier une chambre, dis-je d’une voix maîtrisée.

Gabi relève un sourcil, intriguée.

— Elles sont censées être toutes prêtes, non ?

— Oui, mais j’ai un doute sur la 214.

Le mensonge glisse naturellement. Fluide.

— OK. Amuse-toi bien.

Elle ne pose pas plus de questions et retourne à son écran.

Je me lève calmement, quitte le comptoir d’un pas mesuré. À travers le hall, je conserve cette maîtrise feinte. Mais sous cette apparence de contrôle, quelque chose pulse en moi.

Un frémissement impatient.

L’ascenseur s’ouvre dans un silence feutré. J’entre seule et, dans le reflet des parois métalliques, je croise mon propre regard.

Trouble. Indéchiffrable.

Mon uniforme est toujours impeccable. Mon chemisier épouse la courbe de ma poitrine avec une discrétion étudiée.

Mon souffle est court.

Pourquoi est-ce que je fais ça ?

Mais la réponse est déjà là. Logée dans cette attente insoutenable qui me serre le ventre.

Les portes s’ouvrent sur un couloir désert.

J’avance jusqu’à la chambre. À l’intérieur, tout est impeccable. Parfaitement préparé. Comme toutes les autres.

Je referme la porte derrière moi.

Et aussitôt, l’air change.

Il devient plus dense. Plus chargé.

Le silence s’étire, vibrant. Il amplifie chaque battement de mon cœur, chaque respiration un peu trop saccadée.

Seule. Enfin.

Je glisse mes doigts sur la moquette moelleuse, laisse mes jambes fléchir doucement jusqu’à m’asseoir sur le sol.

La chaleur qui me ronge depuis tout à l’heure ne s’est pas dissipée. Au contraire. Elle s’est concentrée. Serrée en un nœud brûlant sous mon nombril.

Mes mains remontent lentement le long de mes cuisses, effleurent le tissu fin de ma culotte.

Mon souffle se suspend.

Ce n’est pas Vincent que j’imagine.

C’est autre chose.

Quelque chose de plus brut. De plus incontrôlable.

Un gémissement discret m’échappe alors que mes doigts frôlent mes courbes. Ma peau se tend sous leur passage. Mes paumes glissent, explorent, savourent cette réactivité troublante qui s’empare de moi.

Ma tête bascule en arrière, mes cheveux caressant la moquette tandis qu’une vague brûlante monte, lentement d’abord, puis plus insistante.

L’orgasme me prend par surprise.

Fulgurant.

Intense.

Il me laisse pantelante, tremblante dans le silence de la chambre.

Je reste là quelques secondes, les paupières mi-closes, le corps encore parcouru de frissons électriques.

Bien plus vite. Bien plus fort qu’avec Vincent.

Puis, la réalité me rattrape.

Comme une vague glacée venant heurter la chaleur de mon abandon.

Qu’est-ce que je viens de faire ?

Je me redresse précipitamment, les muscles engourdis par le plaisir, et ajuste ma jupe d’un geste fébrile.

Je dois sortir d’ici.

Avant que quelqu’un ne se doute de quoi que ce soit.

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