Chapitre 18 : Mensonge facile
Quand je tourne la clé dans la serrure, je retiens mon souffle, comme si le simple bruit du mécanisme pouvait trahir quelque chose de plus grand, de plus intime, de plus dangereux que mon simple retour tardif. L’appartement est plongé dans l’obscurité, seul le halo discret d’une veilleuse éclaire le couloir, projetant des ombres mouvantes sur les murs, des ombres qui me paraissent presque vivantes, comme si elles savaient ce que j’ai fait, comme si elles pouvaient murmurer à Vincent ce que je suis incapable de lui dire.
Je referme lentement la porte derrière moi, prenant garde à ne faire aucun bruit, mais même dans ce silence pesant, mon corps vibre encore, encore trop chaud, encore trop alerte. Mes pas sont feutrés sur le sol, je traverse le couloir avec une étrange sensation de flottement, mon esprit embrouillé par la culpabilité et l’euphorie, le désir encore imprégné dans ma peau, ce trouble persistant qui refuse de s’éteindre malgré la distance, malgré les minutes qui m’ont séparée de cette chambre d’hôtel, de cette porte refermée derrière moi, de cette voix qui m’a dit que c’était tout pour ce soir.
Je ne sais même pas ce que je ressens exactement. Tout se mélange en moi, une excitation coupable, un frisson de malaise, une sensation de vertige… et pourtant, sous tout ça, quelque chose d’encore plus troublant : une sorte de sérénité. Un bonheur étrange, que je ne comprends pas encore.
La porte de la chambre est à peine entrebâillée, une fine ligne d’obscurité me sépare de l’intérieur, et je me dis que si je me glisse dans le lit assez doucement, si je retiens mon souffle, si je ne bouge pas trop, peut-être que Vincent ne se réveillera pas. Peut-être que je pourrai juste m’endormir et effacer ce qui brûle encore sous ma peau.
Mais sa voix me fige.
— Cloé ?
Son ton est endormi, un peu rauque, un peu flou. Il remue sous les draps, sa tête émergeant à peine de l’oreiller.
Mon cœur rate un battement.
— Mmh… il est quelle heure ?
Je cherche une réponse, mais elle ne vient pas tout de suite. Trop de secondes passent.
— Euh… un peu tard. Il y a eu un problème à l’hôtel, j’ai dû rester plus longtemps.
Le mensonge sort si naturellement que j’en suis presque surprise. Aucune hésitation dans ma voix, rien qui tremble. Juste une explication, logique, évidente.
Vincent baille, se frotte les yeux d’un geste lent, puis hoche la tête sans la moindre méfiance.
— Ah… Ça va, t’es pas trop crevée ?
C’est tout.
Pas de soupçon. Pas de question. Rien.
Une confiance absolue.
Une confiance qui, à cet instant précis, me semble insupportable.
— Oui, ça va…
Je force un sourire, me détourne, traverse la chambre d’un pas mesuré pour déposer mon sac dans un coin. Derrière moi, Vincent se réinstalle sous les draps, s’étire lentement avant de refermer les yeux.
— Viens te coucher…
Je reste immobile un instant, les bras le long du corps, la nuque tendue, le regard perdu dans l’obscurité de la pièce.
Je n’aurais jamais cru qu’un mensonge pouvait être aussi facile.
Je me glisse sous la couette, mon corps encore trop chaud, ma peau encore trop sensible, et dès que je m’allonge, je sens le mouvement à côté de moi, le lit qui s’affaisse légèrement, le souffle paisible de Vincent contre mon dos.
Son bras passe autour de ma taille.
Un contact doux, familier.
Un contact qui, ce soir, ne me fait absolument rien.
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