Chapitre 19 : L'illusion du plaisir
L’aube filtre doucement à travers les rideaux, répandant sur les draps une lumière dorée et mouvante, une clarté douce qui contraste avec la lourdeur de mon esprit, incapable d’apaiser cette tension sourde qui pulse encore sous ma peau, incapable de refermer la parenthèse de la veille, incapable de retrouver l’innocence tranquille de ces matins sans conséquence, ceux où je me réveillais aux côtés de Vincent sans sentir ce vide oppressant qui, aujourd’hui, s’étire dans ma poitrine comme une évidence que je refuse d’admettre.
Allongée sur le côté, je l’observe, son corps étendu sur le dos, sa respiration lente et profonde, son visage parfaitement détendu dans l’abandon du sommeil, et tandis que je le regarde, une impulsion monte en moi, un désir étrange, mécanique, presque expérimental, une tentative absurde d’effacer cette frustration qui me consume, de raviver en moi quelque chose que je ne reconnais plus, d’ignorer ce manque insupportable qui me ronge depuis hier soir.
Alors je bouge.
Je me glisse sous les draps avec précaution, effleurant sa peau tiède du bout des lèvres, déposant un baiser sur son ventre, descendant lentement, effleurant du bout des doigts l’élastique de son boxer avant de le faire glisser juste assez pour libérer son sexe. Je le prends entre mes lèvres, d’abord avec une douceur mesurée, hésitante, mais une urgence monte en moi – je veux qu’il ressente quelque chose, qu’il me ressente, moi, qu’il me donne un signe, n’importe quoi, pour chasser ce vide qui me ronge depuis hier soir, cette frustration qui brûle sous ma peau quand je repense à Marc, à ce qu’il a éveillé en moi sans même essayer.
Je me donne plus de mal, cette fois. Mes lèvres s’enroulent autour de lui, plus fermes, plus décidées, et je creuse mes joues, ma langue glissant sur sa longueur avec une précision appliquée, cherchant les endroits qui pourraient le réveiller, le faire frémir. Je descends plus bas, l’enfonçant dans ma bouche jusqu’à ce que ma gorge se serre, jusqu’à ce que je sente une légère résistance, et je force un peu, un défi silencieux à moi-même, à lui, pour qu’il réagisse, pour qu’il tende le dos, qu’il gémisse, qu’il me guide comme Marc l’aurait fait. Mes mains s’ajoutent, une caressant son ventre, l’autre serrant doucement à la base, et j’accélère, mes mouvements plus rapides, plus intenses, une tentative désespérée de raviver quelque chose, de prouver que je peux encore désirer, être désirée, que cette chaleur peut revenir.
Mais Vincent ne bouge presque pas.
Un soupir léger, un grognement endormi, à peine audible, alors que je m’applique, que je mets tout ce que j’ai dans cet acte, que je pousse mes lèvres plus loin, que ma langue tournoie, que mes doigts pressent avec une insistance presque fébrile. Je veux qu’il se tende, qu’il m’attrape les cheveux, qu’il murmure mon nom, qu’il me montre que je ne suis pas seule dans ce moment, que ça compte, que ça vit. Mais il reste là, passif, son corps mou sous mes efforts, et une amertume froide monte en moi, un goût acide qui se mêle à celui de ma salive.
Je continue quand même.
Parce que j’ai commencé. Parce que je refuse d’abandonner si vite. Parce que s’il jouit, s’il me donne ne serait-ce qu’un frisson de satisfaction, peut-être que ça suffira, que ce vide se remplira, que je retrouverai une parcelle de ce que j’ai perdu hier soir sous son regard à lui. Alors j’accélère encore, mes joues creusées à en avoir mal, ma langue jouant plus vite, plus fort, et enfin, un gémissement rauque lui échappe – faible, étouffé, mais réel. Il est proche, je le sens dans la tension légère de ses hanches, dans le souffle saccadé qui brise son sommeil, et quand il jouit dans ma bouche, un spasme rapide traversant son corps avant qu’il ne retombe mollement contre le matelas, je déglutis lentement, avalant avec une mécanique froide, mes lèvres encore serrées autour de lui.
Mais je ne m’arrête pas tout de suite. Mes lèvres glissent encore sur son sexe, plus doucement maintenant, prolongeant le contact quelques secondes, ma langue caressant son gland sensible, cherchant une dernière étincelle, un frisson, un signe qu’il pourrait se réveiller, qu’il pourrait me donner quelque chose – un murmure, un geste, une chaleur qui comblerait ce vide qui pulse en moi. Je continue, obstinée, mes joues effleurant sa peau tiède alors que je le suce encore, espérant absurdement qu’il durcisse à nouveau sous mes efforts. Mais il ramollit vite, son sexe redevenant mou dans ma bouche, un poids inerte qui me force à m’arrêter enfin. Je me recule, passe ma langue sur mes lèvres, mais ce n’est pas de l’envie que je goûte – c’est une amertume sèche, un vide qui ne s’est pas comblé.
Vincent soupire, se frotte le visage d’une main paresseuse, puis marmonne dans un souffle endormi :
— Mmh… merci bébé…
C’est tout.
Il ne me regarde même pas. Il ne se redresse pas. Il ne cherche pas mes yeux.
Il se tourne sur le côté, ramène les draps sur lui, s’abandonne à nouveau au sommeil.
Et moi, je reste figée.
Je ne sais pas ce que j’attendais.
Peut-être un regard plus intense, un baiser, un contact, un murmure qui aurait réveillé quelque chose en moi, quelque chose de réel, de vibrant. Peut-être une envie mutuelle, un instant partagé, pas ce simple geste exécuté comme une tâche que je devais accomplir. Peut-être… autre chose.
Mais ce n’est pas autre chose que je voulais.
Ce n’est pas lui que je voulais.
Un frisson me traverse, non pas de plaisir, mais d’un froid glacial qui me remonte le long de la nuque, et avant même d’y réfléchir, je me lève, repoussant les draps, enfilant un t-shirt, filant dans la salle de bain où je fais couler l’eau sans même attendre qu’elle chauffe, laissant mes mains trembler légèrement contre le rebord du lavabo.
Ce n’est pas cette eau qui me lavera de ce que je ressens.
Ce n’est pas elle qui me débarrassera de cette évidence.
Parce que Marc est encore là, dans mon esprit, imprimé dans chaque battement de mon cœur, dans chaque frisson de ma peau, et que je le veuille ou non, il n’a même pas eu besoin de me toucher pour me posséder entièrement.
Annotations
Versions