Chapitre 21 : Esprit embrouillé

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Depuis son départ, j’ai essayé de ne pas y penser, tenté d’enfermer son souvenir quelque part, de l’éloigner de mon esprit, de m’accrocher à ma routine comme si elle pouvait effacer l’empreinte qu’il a laissée sur moi. Mais il est là, partout, dans les gestes les plus anodins, dans les ombres d’une présence qui n’est plus là mais qui me hante encore, dans la démarche assurée d’un inconnu traversant le hall de l’hôtel, dans le timbre d’une voix posée, maîtrisée, dans la simple sensation d’être observée, même si ce n’est pas lui. Tout est prétexte à me le rappeler, tout me ramène à cette tension silencieuse entre nous, à la façon dont son regard avait semblé fouiller en moi, comprendre des choses que je n’osais même pas formuler, à ce moment suspendu où il m’a laissée sur le fil, privée de ce que je voulais sans même avoir osé le demander.
Et la nuit, c’est encore pire.
Je m’endors avec cette fébrilité qui ne me quitte pas, cette impression que mon corps n’a jamais retrouvé son équilibre, que cette soirée continue de couver sous ma peau, alimentant une chaleur latente qui ne s’éteint jamais vraiment. Et puis les rêves viennent, imprévisibles et cruels, nourris de sensations plus que d’images, des bribes de souvenirs réels qui se mêlent à des fragments imaginaires, des murmures à mon oreille, une pression ferme sur ma nuque, une attente insoutenable. Dans ces songes, je ne résiste pas. Je n’ai pas envie de résister. Je laisse les choses arriver, je me perds dans l’abandon, dans cette soumission que je n’aurais jamais osé concevoir éveillée.
Mais le matin me trahit toujours.
Je me réveille en feu, tendue, brûlante sous le drap qui semble trop lourd sur ma peau, mes muscles crispés par un désir qui refuse de s’apaiser. Mon souffle est court, mon ventre noué, et je sais déjà que je n’aurai pas la patience d’attendre, que je vais chercher ce soulagement immédiat dont j’ai besoin. Mes doigts glissent sous l’élastique de mon short avec une familiarité qui m’effraie presque, cherchant, trouvant, accélérant… Mais ce n’est pas suffisant. C’est mécanique. C’est fade. C’est un simulacre de ce qu’il m’a laissé entrevoir. L’orgasme arrive trop vite, me laissant plus frustrée encore, comme si mon corps refusait de se contenter de ça. Ce n’est pas ce que je veux. Ce n’est pas ce que je cherche.
Ce n’est pas lui.
Alors je reste là, immobile, le regard perdu dans le plafond, le cœur battant dans un vide insupportable, les jambes encore tremblantes de quelque chose qui ne me satisfait pas.
Au travail, je me persuade que je vais reprendre le contrôle, que cette obsession va s’éteindre d’elle-même, qu’elle est passagère, qu’il suffira de quelques jours pour que tout redevienne comme avant. Mais même en pleine conversation avec un client, en rédigeant un e-mail ou en triant les réservations, il suffit d’un rien pour me happer, pour me ramener à lui, pour m’arracher à la réalité. Une simple posture, un parfum, une inflexion dans une voix. Mon esprit décroche, imagine, extrapole, et parfois, la chaleur monte si vite que je dois détourner les yeux, prendre une gorgée d’eau, me forcer à respirer lentement pour ne pas me trahir. Je croise mon reflet dans l’écran noir de l’ordinateur et je me vois : mes joues légèrement roses, mes lèvres entrouvertes, mes pupilles dilatées par quelque chose qui n’a rien à voir avec mon travail.
Et bien sûr, Gabi ne rate rien.
— T’es dans la lune, ma belle.
Je sursaute légèrement, repose ma tasse de café que je tenais sans y toucher, tente de retrouver une contenance.
— Hein ? Non, je t’écoute.
Elle me fixe avec cette attention trop précise qui m’agace, ce regard curieux et amusé qui me donne l’impression d’être une énigme qu’elle s’apprête à résoudre.
— Ouais, bien sûr. Tu décroches toutes les cinq minutes.
Je force un sourire, espérant qu’elle se lassera.
— T’abuses.
— Je t’assure que non.
Elle croise les bras, son sourire s’étire lentement.
— C’est qui ?
Je fronce les sourcils.
— Quoi ?
— Le mec qui t’a mise dans cet état.
Un étouffement, une gorgée de café de travers.
— Pardon ?
Gabi lève les mains en riant.
— Oh allez, me mens pas.
Elle me pointe du doigt, comme si elle venait de faire une découverte capitale.
— T’as le regard d’une fille qui pense à du sale en pleine journée.
Je détourne les yeux vers mon écran, mais mon rire nerveux me trahit immédiatement.
— Tu racontes n’importe quoi…
— Mmh-mmh.
Elle continue de me fixer avec insistance, et je sens la chaleur grimper le long de mon cou.
— T’es tendue, en plus.
Elle marque une pause, un sourire en coin, puis lâche avec désinvolture :
— Ça fait longtemps que t’as pas baisé ?
Je manque de recracher mon café.
— Gabi !
— Bah quoi ?
Elle rit franchement, s’appuyant sur le comptoir.
— T’as besoin d’un truc qui te réveille, c’est tout.
Je secoue la tête, exaspérée, essayant de repousser cette conversation, cette impression qu’elle peut voir à travers moi, qu’elle devine trop bien ce que j’essaie de nier.
Mais elle se trompe sur un point.
Ce n’est pas du sexe dont j’ai besoin.
C’est de lui.
Et il n’est pas là.

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