Chapitre 22 : Un cadeau inattendue

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L’hôtel est étrangement calme ce soir-là, comme si la Saint-Valentin retenait les clients ailleurs, dans des restaurants aux lumières tamisées ou des chambres décorées de pétales de roses et de champagne tiède. Loin des effusions amoureuses, le hall semble baigné d’une atmosphère figée, presque endormie, et je me retrouve devant l’écran de l’ordinateur à scroller sans vraiment lire, incapable de me concentrer sur autre chose que cette lassitude sourde qui m’accompagne depuis le matin.

En face de moi, Gabi est affalée sur son siège, une main plongée dans un paquet de bonbons qu’elle grignote sans la moindre retenue, son menton appuyé contre son autre main, l’air de s’ennuyer profondément.

— Putain, la Saint-Valentin, c’est quand même la plus grosse arnaque commerciale du siècle.

Un sourire distrait effleure mes lèvres.

— T’as l’air de bien la fêter, pourtant.

— Je compense mon célibat avec du sucre, laisse-moi tranquille.

Elle enfourne un ourson gélifié dans sa bouche, mâche avec une lenteur exagérée, puis reprend, la bouche à moitié pleine :

— Mais sérieux, t’as vu les mecs aujourd’hui ? Tous avec des bouquets de roses, des boîtes de chocolat, des airs faussement concernés, comme si ça effaçait un an d’oubli.

Je hausse les épaules, plus pour répondre que par réelle conviction.

— Y’en a qui aiment bien.

— Ouais, et y’en a qui attendent quelque chose et qui n’auront rien, aussi.

Je sens son regard se poser sur moi avant même qu’elle ne parle. Et je sais. Je sais déjà qu’elle va poser la question.

— D’ailleurs, Vincent, il a prévu un truc ?

J’essaie de ne pas réagir, de ne rien laisser transparaître, de répondre avec ce détachement que je veux croire sincère.

— Non.

— Rien du tout ?

— Rien du tout.

Gabi pousse un soupir théâtral, levant les yeux au ciel.

— J’en étais sûre. Ce mec est une plaie.

Je hausse une nouvelle fois les épaules, feignant l’indifférence, mais la vérité est là, tapie sous la surface. J’aurais aimé un message. Un geste. Une attention. Juste quelque chose pour me rappeler qu’il me voit encore. Mais non. Rien. Pas même une question sur ce que je fais ce soir.

— Au moins, t’es fixée, commente Gabi, un sourire en coin sur les lèvres.

— Fixée sur quoi ?

— Sur le fait qu’il est chiant comme la pluie.

Un rire m’échappe malgré moi, léger, mais avant que je ne puisse répondre quoi que ce soit, la porte de l’hôtel s’ouvre sur un coursier en uniforme. Une boîte noire mate repose entre ses mains.

Il s’avance vers le comptoir, jetant un regard rapide à son bordereau avant de lever les yeux vers moi.

— Livraison pour Cloé Renaud.

Mon prénom résonne dans l’espace soudain trop silencieux, et je cligne des yeux, déconcertée.

— Pour moi ?

— C’est bien vous ?

— Euh… oui.

J’attrape la boîte avec hésitation, son poids léger dans mes mains contrastant étrangement avec la lourdeur qui s’installe au creux de mon ventre. Une sensation étrange, une anticipation dont je ne comprends pas encore la nature. Je n’attends rien.

Gabi se penche aussitôt, les yeux brillants d’une curiosité non contenue.

— Oh ! Un admirateur secret ?

Je fronce les sourcils, effleurant le ruban rouge du bout des doigts. L’emballage est sobre, élégant, raffiné… et totalement étranger.

Ce n’est pas Vincent.

Ce n’est pas son style, pas son genre de faire des surprises, encore moins de les envoyer sans prévenir. Et pourtant, une partie de moi veut croire que ça pourrait être lui, un sursaut de spontanéité, un élan inattendu qui prouverait qu’il me connaît encore un peu.

Mais je sais déjà que ce n’est pas possible.

— Ça vient de qui ? demande Gabi en mâchant un autre bonbon.

— Aucune idée…

— Bah ouvre, on va voir !

J’inspire discrètement, retenant un frisson d’appréhension. Pourquoi est-ce que mon cœur bat plus vite ? Pourquoi ai-je cette impression de franchir une limite invisible, de basculer dans quelque chose qui m’échappe ?

Mes doigts dénouent lentement le ruban, et alors que je soulève le couvercle, mon regard se pose sur l’objet à l’intérieur.

Je referme la boîte aussitôt maladroitement.

Un geste trop brusque.

Je sens la chaleur me monter immédiatement aux joues, mon souffle se bloquer une fraction de seconde, mon cœur accélérer sans raison valable alors que mes doigts referment précipitamment le couvercle de la boîte, comme si son contenu venait de me brûler. Je vois déjà l’expression de Gabi changer, son regard se faire plus curieux, plus malicieux, comme si ma seule réaction suffisait à lui donner toutes les réponses qu’elle cherche.

— C’était quoi, ça ?

Sa voix danse entre amusement et impatience, et je déteste la façon dont mon corps continue de me trahir, dont mes joues restent brûlantes, dont mes mains se crispent sur le couvercle comme si j’espérais que ça suffise à effacer ce que j’ai vu.

— Rien !

C’est sorti trop vite, trop brusquement, et bien sûr, Gabi ne me croit pas une seule seconde.

— Tu blagues ? Montre-moi !

Elle tend la main vers la boîte, et je recule instinctivement, la serrant contre moi comme si j’avais entre les doigts un secret que je ne pouvais pas partager, un objet interdit dont la seule existence remettrait en cause tout ce que j’essaie de contrôler.

— Non !

C’était trop catégorique, trop défensif.

Et bien sûr, elle éclate de rire.

— Oh bordel de merde, si tu réagis comme ça, c’est forcément du sexe.

— Mais pas du tout !

Je me lève brusquement, agrippant la boîte comme si elle pouvait m’échapper, comme si la garder dans mes mains pouvait empêcher Gabi de lire en moi, de voir ce que je ne veux pas qu’elle voie.

— Je vais voir ce que c’est. Je reviens.

— Attends, attends, attends—

Mais je ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase, je tourne déjà les talons, traverse le hall d’un pas rapide, la chaleur montant encore dans mon corps, la honte se mélangeant à quelque chose de plus troublant, plus insidieux, un mélange d’adrénaline et d’anticipation qui me serre la gorge alors que je m’engouffre dans le couloir menant aux bureaux.

Je pousse la porte d’une petite pièce vide et la referme immédiatement derrière moi, collant mon dos contre le bois, le souffle court, les doigts toujours serrés sur la boîte, le cœur battant bien trop vite.

C’est absurde.

C’est juste un colis. Juste un cadeau.

Rien de plus.

Alors pourquoi cette sensation étrange, pourquoi cette fébrilité dans mes gestes alors que je rouvre la boîte, cette fois avec plus d’attention, plus lentement, comme si mon corps savait déjà ce que j’allais y trouver mais que mon esprit refusait encore d’y croire ?

Je soulève le couvercle, et mes yeux se posent sur l’objet.

Un instant, je ne respire plus.

Un plug anal.

Petit, en métal argenté, délicatement brillant, avec un bijou rose éclatant incrusté à sa base, posé sur un lit de velours noir.

Mon ventre se contracte violemment.

Je ne touche pas tout de suite.

Je le fixe, comme si l’objet lui-même me regardait en retour, comme s’il portait en lui une intention, une marque invisible qui me traverse déjà, qui enflamme quelque chose sous ma peau.

Je déglutis difficilement, puis mes doigts glissent sur la surface froide du métal, une caresse hésitante, une prise de conscience, et mon souffle tremble légèrement lorsque je remarque une carte glissée sous le tissu.

Je l’attrape lentement, mes doigts glissant sur le papier cartonné.

Quelques mots seulement.

Écrits d’une main soignée.

"Je pense que ce bijou t’ira parfaitement."

Pas de signature.

Juste une initiale.

M.

Une vague de chaleur remonte immédiatement dans ma nuque.

Je repose la carte comme si elle brûlait, comme si ce simple morceau de papier confirmait tout ce que je redoutais et tout ce que je désirais à la fois.

Lui.

Marc.

Il est là.

Il s’immisce dans ma vie, s’impose dans mon esprit, jusqu’à toucher mon corps sans être présent, jusqu’à me posséder sans même avoir besoin de me voir.

Je referme précipitamment la boîte, mon souffle saccadé, le cœur cognant violemment contre ma cage thoracique.

Sous mes vêtements, ma peau semble s’être éveillée d’un coup.

Je n’ai plus froid.

J’ai chaud.

Trop chaud.

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