Chapitre 24 : L'essai

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L’heure tourne, les minutes s’étirent en longueur, mais je ne les ressens pas vraiment, enfermée dans une attente qui s’éternise et qui m’épuise plus que la journée de travail en elle-même. Assise derrière mon écran, je tente de donner le change, de me concentrer sur les réservations et les e-mails en attente, de répondre aux quelques clients qui passent encore en fin de journée, mais mon esprit s’échappe malgré moi, piégé dans l’attente insupportable d’un signe, d’une réponse qui ne vient pas. À chaque vibration de mon téléphone, mon regard s’accroche aussitôt à l’écran, chaque notification fait naître une tension fugace, une montée d’adrénaline aussitôt balayée par la déception. Rien.

Marc a lu mon message, j’en suis presque certaine. Pourtant, il ne répond pas.

Peut-être qu’il attend. Peut-être qu’il veut que je comprenne quelque chose, que je ressente ce silence comme une forme de contrôle, un premier jeu auquel je n’ai pas encore les règles. Ou peut-être que je me suis trompée. Que j’ai franchi une ligne qu’il ne voulait pas voir effacée. Que je me suis précipitée dans quelque chose que lui n’avait pas prévu d’entretenir.

Un soupir m’échappe, et mes doigts crispés sur la souris trahissent l’agitation intérieure que je tente de masquer.

— T’attends un truc important ?

Je sursaute, relève la tête. Gabi me scrute, un sourcil levé, mâchant distraitement son chewing-gum, le regard amusé d’une gamine qui a flairé quelque chose.

— Hein ? Non.

Elle ne me croit pas une seule seconde.

— Mouais…

Elle s’étire lentement, croise les bras et me fixe avec ce sourire satisfait qui me donne envie de disparaître sous mon bureau.

— Je dirais même… que tu t’impatientes.

Je tente un rire léger, pianote sur mon clavier sans regarder dans sa direction, espérant que la conversation meure d’elle-même.

— Tu dis vraiment n’importe quoi.

— Je dis surtout que t’as pas arrêté de mater ton téléphone depuis une heure.

Je roule des yeux, force un sourire qui sonne faux.

— Je suis juste fatiguée.

— Ouais, bien sûr.

Elle rit doucement avant de hausser les épaules, comme si elle me laissait croire que je pouvais encore lui mentir. Moi, je ne ris pas du tout.

La tension ne m’a pas quittée quand je rentre chez moi, bien au contraire. Elle s’est intensifiée, s’est accrochée à moi comme une chaleur persistante que je n’arrive pas à dissiper. Chaque pas résonne trop fort dans l’appartement silencieux, et lorsque je referme la porte derrière moi, c’est comme si je laissais dehors quelque chose d’indéfini, une partie de moi que je ne comprends pas encore totalement.

Je laisse mon sac glisser sur le lit, mais mon regard y reste accroché, comme s’il y avait quelque chose à l’intérieur qui m’appelait, une présence silencieuse que je ne peux plus ignorer. Je sais ce qui s’y trouve. Je sais ce que je vais faire.

Mes doigts effleurent la fermeture éclair, hésitent un instant avant de l’ouvrir lentement.

La petite boîte noire est toujours là.

Je l’attrape du bout des doigts, la porte à hauteur de mes yeux comme si elle contenait une vérité que je n’ai pas encore tout à fait acceptée. Je l’ouvre, et le bijou repose sur son écrin de velours sombre, lisse et froid sous la lumière tamisée.

Je l’observe un long moment, le cœur battant plus fort, consciente que ce simple objet est bien plus qu’un bijou. Il est une suggestion. Une incitation. Une invitation à franchir une limite que je n’aurais jamais imaginé approcher.

Je le prends entre mes doigts, le métal froid contrastant immédiatement avec la chaleur diffuse de ma peau, une sensation qui m’arrache un frémissement incontrôlable alors que je le fais lentement tourner entre mes paumes. Il est plus petit que je ne l’imaginais et pourtant, il impose déjà quelque chose en moi, une idée, une tension qui me noue le ventre, une attente dont je ne mesure pas encore toute l’ampleur.

Je me lève, traverse la pièce comme en flottant, consciente du poids invisible de ce que je m’apprête à faire, de l’irréversibilité de cette nouvelle étape, et pourtant, je ne ralentis pas, je ne remets rien en question. Mes pieds nus effleurent le tapis, et lorsque je me retrouve face au miroir, mon propre reflet m’arrête net.

Je me regarde, vraiment.

Mes joues sont légèrement colorées, mes lèvres entrouvertes, et dans mes yeux, il y a cette lueur trouble, cette lueur d’hésitation mêlée à quelque chose d’autre, quelque chose de bien plus profond.

Mes doigts glissent sur les boutons de ma chemise, les défont un à un avec une lenteur calculée, comme si mon propre corps voulait retarder l’inévitable, savourer chaque étape de cette découverte. Le tissu glisse sur mes épaules, effleure ma peau avant de tomber au sol dans un bruissement léger. Ma jupe suit le même chemin, et en quelques secondes, je me tiens là, presque nue, vulnérable devant mon propre reflet, les épaules légèrement crispées, le souffle plus court, la poitrine qui se soulève à un rythme irrégulier.

Je baisse les yeux vers mon string, la dernière barrière entre moi et ce que je m’apprête à faire.

Un instant, j’hésite.

Puis, lentement, je glisse mes doigts sous l’élastique, le fais descendre le long de mes hanches, le laissant glisser le long de mes jambes avant qu’il ne rejoigne les autres vêtements sur le sol.

L’air frais contre ma peau nue accentue la tension qui s’enroule autour de moi comme une vague silencieuse.

Je me détourne du miroir, m’approche du lit et m’agenouille sur le matelas, mes genoux légèrement écartés, les draps doux et frais frottant contre ma peau nue alors que je m’installe. Mon souffle est court, irrégulier, et je m’allonge lentement sur le dos, repliant mes jambes, les talons pressés contre le tissu, mes cuisses ouvertes dans une position qui me rend vulnérable, exposée à moi-même. Mon cœur bat plus vite, un tambour sourd dans ma poitrine, et je tends la main vers le bijou, mes doigts effleurant sa surface lisse, glacée, un contraste saisissant avec la chaleur qui monte sous ma peau.

Je le fais glisser sur moi, d’abord doucement, le long de mon ventre, puis plus bas, le métal froid frôlant l’intérieur de mes cuisses, envoyant un frisson involontaire dans mes reins. C’est étrange – plus étrange que je ne l’avais imaginé – une sensation étrangère qui me fait hésiter, mes doigts tremblant légèrement alors que je le positionne, son extrémité effleurant ma chair avec une délicatesse qui me coupe le souffle. Je respire profondément, tente de me détendre, mais mon corps résiste par réflexe, un pincement léger me figeant sur place, mes muscles se contractant autour de cette intrusion inattendue.

Je devrais arrêter. La pensée traverse mon esprit, claire, raisonnable, mais une autre voix – plus sourde, plus curieuse – me pousse à continuer. Je veux savoir. Je veux comprendre ce qu’il attendait de moi en me l’envoyant, ce défi silencieux qu’il a glissé entre mes mains comme une promesse trouble. Alors je force un peu, millimètre par millimètre, mes doigts crispés sur le drap, la brûlure initiale – fine, aiguë – me faisant serrer les dents, un mélange de gêne et d’une étrange envie pulsant dans mes veines. Mon souffle se bloque, puis s’échappe en un soupir tremblant alors que je relâche mes muscles, que je m’ouvre à la sensation au lieu de la combattre.

Le bijou avance, lentement, une progression presque insoutenable qui m’arrache des frissons, des sursauts involontaires, une tension sourde qui s’installe au creux de mon ventre, chaude, insistante. Le métal glisse, froid contre ma chaleur intime, et je sens chaque détail – la pression qui s’étend, la légère résistance de ma chair qui cède peu à peu, la façon dont mon corps s’adapte, hésitant puis accueillant. Mes cuisses tremblent légèrement, mes doigts s’enfoncent dans le drap, le tissu se froissant sous mes phalanges alors que je respire plus fort, un son rauque emplissant la pièce, un écho de ma propre voix que je ne reconnais pas tout à fait.

Un dernier mouvement, un effort délicat mais ferme, et il trouve sa place. Mon souffle se suspend, un instant figé où tout s’arrête – le bruit de ma respiration, les battements dans ma poitrine, le monde autour de moi. La pression est là, constante, diffuse, plus intense que je ne l’avais imaginé, un poids subtil qui pulse à chaque inspiration, chaque frémissement de mes muscles. Ce n’est pas douloureux – pas vraiment – mais c’est… envahissant, troublant, une présence qui me rend consciente de chaque parcelle de mon corps d’une manière nouvelle, presque dérangeante. Une chaleur monte à mes joues, brûlante, alors que je réalise que mon corps l’accepte, l’accueille, bien plus vite que mon esprit ne sait quoi en faire.

Je garde les yeux clos, m’imprégnant de l’instant, de cette sensation qui oscille entre l’inconfort et une étrange douceur, un frisson diffus qui s’étire sous ma peau, s’enroule dans mes reins, s’installe comme une caresse secrète au bord de ma conscience. Je serre les cuisses, un mouvement instinctif, et la pression change – un éclair subtil, une onde chaude qui remonte le long de ma colonne, me faisant frissonner jusqu’à la nuque. Je rouvre les yeux, teste un léger balancement des hanches, et mon souffle se coupe – c’est là, discret mais réel, une sensation qui s’ancre en moi, qui me traverse, qui fait naître une chaleur sourde, pas violente, mais profonde, insistante, comme un murmure qui promet plus sans jamais le dire.

Je m’assois lentement, étirant mes jambes pour sentir comment ça bouge avec moi, et un soupir m’échappe, mes doigts agrippant le bord du lit alors qu’une vague nouvelle me parcourt, un mélange de curiosité et d’excitation que je ne veux pas nommer. Mes cuisses se resserrent encore, et cette fois, c’est plus fort – un frisson qui me coupe le souffle, une tension qui pulse dans mon ventre, mes lèvres s’entrouvrant sur un son que je retiens à peine. Je suis troublée, je devrais être gênée, mais tout ce que je ressens, c’est cette conscience aiguë de moi-même, de ma peau, de ce désir étrange qui s’éveille sans que je puisse le contrôler.

Et puis, un bruit.

Un cliquetis métallique. Une clé dans la serrure.

Vincent.

La panique me frappe en pleine poitrine, balayant en une seconde toute trace de cette langueur délicieuse qui m’habitait un instant plus tôt. Mon cœur s’emballe, mes mains se précipitent entre mes cuisses, et j’arrache le bijou dans un geste trop brusque, trop précipité.

L’instant où il quitte mon corps me fait haleter. Un frisson violent me traverse, un choc inattendu qui m’oblige à mordre ma lèvre pour ne pas laisser échapper un son. Une chaleur insidieuse se propage sous ma peau, pas vraiment du plaisir, mais quelque chose d’intime, de trop intense. Mes jambes tremblent légèrement.

Je referme la boîte dans un claquement sec, l’enfouis dans mon tiroir et rabats rapidement ma chemise sur mon corps encore brûlant. Mes doigts fébriles referment les boutons sans logique, je me redresse d’un bond, les joues en feu, les cuisses encore pressées l’une contre l’autre comme si elles cherchaient à capturer un écho de ce qui vient de se produire.

La porte s’ouvre.

Vincent entre, fatigué, les épaules légèrement affaissées sous le poids d’une journée qui semble avoir été longue. Il ne remarque rien. Il ne voit pas que mon souffle est trop rapide, que ma posture est encore tendue, que mes mains tremblent légèrement sur le col de ma chemise.

— T’es déjà rentrée ?

Ma voix est rauque quand je réponds.

— Ouais… j’ai fini plus tôt.

Il hoche la tête distraitement, pose ses affaires, passe une main dans ses cheveux avant de s’étirer. Il ne me regarde pas vraiment, il ne cherche pas à deviner ce qui se cache sous ma peau, sous mes vêtements, sous mon silence.

Mais moi, je le ressens toujours.

La trace du métal, la sensation fantôme de cette pression intime, ce poids invisible qui ne me quitte pas.

Je me lève précipitamment, murmurant un vague "je vais prendre une douche" avant de disparaître dans la salle de bain.

Là, dos contre la porte, les paupières closes, j’inspire profondément.

J’ai failli être découverte.

J’aurais voulu l’être ?

Je passe une main tremblante sur mon ventre, laisse mes doigts s’attarder, hésiter.

Je suis allée trop loin.

Et pourtant…

J’ai envie d’y retourner.

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